Ce quatuor new-yorkais définit sa musique comme « world ». Nous parlerons plutôt d’une jungle folk, electro-tribal, ambient incantatoire, une fusion nucléaire. Essayer Yeasayer, c’est l’adopter !


A quoi ressemblent Anand Wilder, Chris Keating, Ira Wolf Tuton et Luke Fasano ? Les quatre de Yeasayer entretiennent le mystère sur leur image. Aucune photo ne filtre sur leur page MySpace. Et ne parlons pas de la couverture « fauve » d’All Hour Cymbals, présentant le portrait troublant d’un homme sans visage, l’apparence nomade. A vrai dire, ces musiciens n’ont pas besoin de présenter leur identité, leur musique est sans frontières.

Une chose est certaine, Animal Collective ne doit plus se sentir isolé dans son quartier de Brooklyn depuis que les excentriques Yeasayer s’y sont installés. Yeasayer est la première signature du label We Are Free, subdivision du label américain Monitor Records, et au sein duquel brillent notamment Battles et Early Man. Au regard de leurs collègues insaisissables, serions-nous plus avancés sur les origines musicales de Yeasayer ? Non, et le contraire nous aurait étonnés. La musique, en revanche, parle. Dès leur fulgurant single « 2080 »/ »Sunrise » (généreusement offert sur leur site) on songeait aux Talking Heads convoquant les guitares assouf du clan rebelle Tinariwen et les percussions/choeurs interstellaires de Sun Ra dans une transe mémorable. Enfin, des nappes de clavier post-punk venaient prêter le flan à cette danse millénaire. Avec l’Afrique en ligne de mire, les perspectives musicales expérimentées par ce groupe semblaient sans limite et nous capotions littéralement devant tant d’intensité dégagée.
Dans la grande lignée des cannibales du rock new-yorkais – Talking Heads en passant par ESG et toujours perpétué par Blackdice, TV On The Radio – Yeasayer crée une musique impulsive, sauvage, indomptée. Longtemps, le rock a puisé dans les racines de l’Afrique. Avec Yeasayer, c’est le phénomène inverse qui se produit : l’Afrique colonise le rock. L’afrobeat déboussole nos vieilles guitares électriques, claviers et batteries avec une intelligence rare.

Contrairement à ce que pourrait laisser supposer le titre All Hour Cymbals, la cymbale n’est pas l’instrument roi. Non, l’élément dominant ce sont les voix : Anand Walker (clavier), Chris Keating (bassiste), Ira Wolf Tuton (guitariste) et Luke Fasano (batteur) chantent à l’unisson d’une manière totalement tribale. La puissance vocale du quatuor, ostentatoire, est vraiment terrassante. Sur les édifiants “Ah, Weir” et “Forgiveness”, même “Kyp Malone”, « la » voix de TV On The Radio, ne pourrait pas lutter face à cette supériorité numéraire. Cette communion nous transporte à mille lieux d’ici, en plein milieu d’une cérémonie de pleine lune, où des sorciers maculés de dessins de guerre dansent autour d’un gigantesque bûcher, invoquant les dieux du ciel pour faire tomber la foudre. On rentre en transe dès “Sunrise”, sur un choeur gospel greffé sur des clappements de mains et des percussions exorcistes. Yeasayer cherche constamment le soleil, figuré par des nappes synthétiques éthérées initiées par Brian Eno. La dérivation instrumentale “Worms”, dans un état de pure catalepsie synthétique, doit aussi manifestement beaucoup aux travaux visionnaires de My Life In The Bush Of Ghosts. Sur “Wintertime”, l’Orient nous appelle, c’est la parade majestueuse des éléphants du Pakistan qui manquent de nous écraser. Nous venons de traverser un continent entier, et pourtant le voyage n’a duré que trois minutes.

« C’est le déluge d’après moi, arrêtez l’acide », chantait Rodolphe Burger sur une chanson de Kat Onoma. Dieu sait pourquoi, ses paroles nous reviennent à l’écoute de All Hour Cymbals. Comme pour décrire cette sensation de tsunami sonique qui vient de balayer nos esgourdes. Ecoutez ce disque, écoutez le bien.

– La page Myspace

– Le site officiel