Les orpailleurs de Fargo ont trouvé une pépite. Alela Diane chante comme si elle était seule au monde, ne s’encombre d’aucun effet et laisse sa voix faire le reste. Divin.


Médusé, on assiste à une scène de rêve. Une jolie brune, dans une robe légère, repousse ses nattes derrière ses épaules, empoigne sa guitare, et chante pour le feu qu’elle vient d’allumer. Et les chansons livrées aux flammes sont tellement habitées que la nature cesse son bruissement et écoute religieusement, se contentant ça et là d’offrir à cette chimère quelques voix, et parfois de taper du bout des doigts pour accompagner ses chansons de rien. On ne bouge pas de crainte de rompre le charme.

Alela Diane a 23 ans à l’heure de la parution de ce premier véritable album, mais a commencé à jouer de la guitare à 19 ans. Soit seulement 4 ans de gestation et d’apprentissage pour atteindre un tel niveau d’excellence. Mais en fait, issue d’une famille de musiciens, la petite Alela a toujours chanté, forgeant sa culture au son de Patsy Cline, Grateful Dead ou Paul Simon, soit une certaine idée du folk élégant et léger. Curieuse et frondeuse, elle remonte peu à peu le temps en quête des racines du folk, s’imprégnant de l’esprit et du corps de cette musique si américaine, et découvre que le texte est au moins aussi essentiel que la mélodie, le chant aussi vital que le jeu de guitare. Le reste, c’est de la littérature. Dont acte.

Pas à pas, elle se penche sur sa guitare et se met à composer tant et plus, modelant ses chansons sur les scènes anonymes de San Francisco, ville qu’elle a rejointe après avoir quitté sa Nevada City natale. A peine un an plus tard, ses petites histoires sont enregistrées, et les CD vendus à l’issue des concerts ou donnés aux copains. Comble de l’ironie, c’est en Europe qu’est publié ce premier album. Les malins qui ont eu la bonne idée de jeter une oreille sur la très jolie compilation de Fargo, Even Cowgirls Get The Blues, ont eu la chance d’apprécier “The Pirate’s Gospel”, la redoutable chanson titre.

Alela Diane conte des histoires de personnages disparus comme si elle montait à cru. Accrochée à la crinière du folk des grandes plaines, elle chante le plus simplement du monde, sans artifice vocal. Dès “Tired Feet”, le dépouillement est extrême, Alela y décrit les stigmates d’une longue marche introspective sur ses pauvres pieds, accompagnée d’une guitare sobre et de quelques choeurs mixtes venus de nulle part. “The Rifle” lui emboîte le pas en l’accélérant à peine, prolongeant le rêve sur une mélodie intemporelle. Et c’est enfin autour de “The Pirate’s Gospel” d’offrir ses charmes : un banjo, une guitare, une mélodie lancinante, des claquements de mains et surtout ce refrain dont les onomatopées pénètrent la moëlle épinière et nous transportent littéralement 250 ans en arrière, dans les grandes plaines du Nevada.

Ainsi, la chronique d’une Amérique perdue s’écrit dans la poussière de la pointe d’un éperon, une main sur le coeur et l’autre en porte-voix. Cette Amérique-ci, on s’en doute, n’est pas celle des nantis et des boursicoteurs en herbe, mais celle des petites gens et des exclus de la course effrénée au soleil. La poignante “Can You Blame The Sky” dépeint avec une sobriété vertigineuse le déchirement d’une mère obligée d’abandonner son bébé, ne pouvant subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Cette histoire, terrible, élaborée sous la forme de questionnement, est épargnée par le ton larmoyant qui aurait été utilisé entre d’autres mains. Seule la mandoline évoque, à la rigueur, un soupçon de tristesse. Le poids des mots et la force de la mélodie, une fois de plus, se suffisent largement, et confèrent la gravité nécessaire à un tel sujet sans pencher le moins du monde dans le pathos.

Qu’à cela ne tienne, la musique est joyeuse aussi, d’où la ritournelle sifflotée de “Something’s Gone Awry” qui, en à peine 1’12, irradie le visage de la jeune artiste, poussant l’auditeur à en faire autant. Juste après, « Pieces Of String » (et ses enfants) résume à elle seule toute la force de The Pirate’s Gospel, soit une musique crue, dont la nudité ne gêne pas, une nudité plus naturelle qu’exhibitionniste, la vie tendue à de fines cordes (de guitare). Plus loin, même quand l’époque entre dans la musique d’Alela Diane, c’est sur la pointe des pieds, comme avec cette basse sur “Clickity Clack”, chef-d’oeuvre de poche, une chanson folk comme Cat Power ne sait plus en écrire depuis quelques années déjà.

Alela Diane plante ainsi, en quelques arpèges et une voix chaude et profonde, des chansons polies par le temps et brûlées au soleil, remontre la voie à suivre, rappelant à ses contemporains que le folk est d’abord et avant tout une histoire de tripes, et qu’il n’est pas né sur les bords de Woodstock à la fin des années 60. Pas besoin de grosses guitares ni de batterie, encore moins de déguisements pseudo-hippie pour faire authentique, puisque le chanteur qui s’y attaque sera de toute façon l’élément artificiel, le tâcheron. A lui de s’adapter à cette musique, sinon, qu’il passe son chemin. Si la femme est l’avenir de l’homme, Alela Diane démontre avec force qu’elle peut aussi être son passé. Brûlant et somptueux.

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