Superflu n’en a pas fini avec ses chroniques amères et désabusées d’une vie souvent morne, parfois mortelle. Rencontre avec Nicolas Falez, le chanteur et parolier principal, un personnage à l’image de sa musique : crépusculaire.


Superflu est un groupe discret, peut-être un peu trop à son goût. Il existe malgré tout deux catégories de gens : ceux qui ont écouté Superflu depuis leurs débuts, et les autres. Venu d’à peu près nulle part (enfin si, Lille) en 1998, Et Puis Après On Verra Bien a bouleversé la vie des premiers, et l’auscultation a continué en 2000, avec Tchin Tchin. S’ensuivirent pour le groupe sept ans de silence discographique avant la parution inespérée et miraculeuse du magnifique La Chance. Cette rencontre nous permet de revenir sur cette traversée du désert relative, tout au long d’une conversation avec un passionnant passionné.

Pinkushion : Les sept ans qui séparent Tchin Tchin de La Chance ne sont pas forcément le résultat de votre choix. Que s’est-il passé, sachant que vous avez continué la scène malgré tout ?

Nicolas Falez : Le premier album est sorti en 1998, le second en 2000, ça s’est bien enchaîné. Et donc, voyant cet enchaînement, on a voulu s’octroyer un peu de temps. Le problème, c’est qu’en laissant trop de temps couler, quand on a vu quelque chose qui ressemblait à l’amorce du troisième album, nous n’avions plus de maison de disque. On a aussi perdu du temps car on aurait aimé qu’on nous l’annonce de façon plus franche, sans nous laisser prendre l’eau sous la pluie. Mais ce n’est pas grave, ça n’est pas facile d’annoncer ce genre de choses.

C’était le Village Vert ?

Tout à fait. Je garde personnellement de notre collaboration avec Le Village Vert de très bons souvenirs liés aux deux premiers albums. On s’est donc mis en quête d’un nouveau label, mais en vain.

Puis en 2004 le groupe est sorti de sa léthargie, on n’avait rien fait de concret jusque-là, pas même travailler de nouveaux morceaux. On s’est pris par la main, on a organisé une série de trois concerts au Sentier Des Halles. Et on a senti à ce moment-là qu’il y avait une attente et on a rencontré les Belges de Top5 Records au même moment. Donc on a senti que ça bougeait.

Il a fallu le temps que les choses se fassent, on a enregistré l’essentiel en janvier 2005, et le processus – mixage, etc… – a été très long. Mais ça n’a pas été vain. Ce qui a été jeté, on est contents de l’avoir jeté. Quand on a fait du neuf, même tardivement dans le processus, on en était contents également. Et l’album est sorti au printemps 2007. C’est ça l’histoire.

Et ça fonctionne bien ?

(Silence) On découvre ce qu’on avait senti venir avec nos deux premiers disques : le début de la crise du disque. On n’est pas dupes, ça s’est aggravé. Donc en terme de quantité, non, plus ce serait mieux. En revanche, nous refusons de nous définir par rapport à notre valeur marchande. Et de toute façon, c’est aussi comme ça qu’on a survécu, on a tous un boulot à côté, quelque chose qu’on revendique. Nous sommes fiers d’avoir un boulot « alimentaire », ça nous a permis de traverser le désert pendant à peu près 5/6 ans et de constater qu’aujourd’hui on a attendu, on a tenu et on est toujours debout, il y a un nouvel album, et voilà…

A la différence près que cette traversée du désert est vue de votre côté. Lors d’une vraie traversée du désert, le public se délite. Et ça n’a pas du tout été votre cas, puisqu’on sait qu’il y a eu une vraie attente vous concernant, tellement l’impact du premier album a été durable sur ceux qui l’ont écouté.

Nous sentons qu’il y a un vrai groupe solide de gens qui nous suivent, qui étaient impatients de la sortie de ce disque. Je crois qu’on a aussi beaucoup tenu pendant toutes ces années grâce à Internet : en recevant tous les mois des messages du type «Quand est-ce que vous rejouez ? Quand sortez-vous un disque ?» On avait d’abord le rapport direct, sans label, ou autre interlocuteur ou partenaire, pour recevoir ces messages qui nous tombaient à la maison directement. La série de concerts de 2004 a été la concrétisation de ce phénomène, puisque dès qu’on organisait quelque chose, les gens venaient, dont certains de Suisse – on les a invités finalement…

Alors ça crée quelque chose de nouveau dans le paysage, malgré le rôle d’Internet dans la crise du disque. Ce lien direct qui s’établit fait qu’on a une perception, une sensation directe de l’attente de notre public, et ça a été très important pour nous.

Superflu au Sentier des Halles, 2004

Etes-vous conscients du fait que cette attente est liée à l’impact de vos chansons sur un public d’une génération précise ? Vous devez avoir entre 30 et 35 ans en moyenne…

… On chante 35 ans maintenant, en effet. (rires)

… Et quand vous avez chanté “25 ans”, ceux de 25 ans ont été marqués. L’acuité du texte, l’impact des chansons… On en connait peu qui y sont restés insensibles.

Je te rassure, j’en connais qui sont restés insensibles.

Est-ce qu’en tant que chroniqueurs de nos petites vies de trentenaires qui évoluent exactement dans les schémas que vous décrivez et que vous avez pressentis, vous n’avez pas la sensation d’avoir créé une attente du public qui se demandait : «Quand est-ce que Superflu va revenir pour écrire notre journal» ?

C’est intéressant. Ce qui est sûr, c’est que malgré la crise du disque et bien qu’on fasse tout pour faire connaître notre projet, on en est conscients et ça nous touche toujours. Les gens nous le disent souvent, ceux qui aiment nos chansons, en tout cas. Plutôt que de vendre beaucoup de disques, je suis content de faire des disques que les gens aiment beaucoup dans leurs discothèques. J’ai la prétention d’avoir ce sentiment-là. Ceux-là sont ceux qui nous suivent sur la durée. Et ça me touche, c’est évident. Ce ne sont pas des disques faits avec le dos de la cuillère, sans difficultés et sans émotion. Et le fait que de l’autre côté ça marche, ça fait du bien, tout simplement.

La musique de Superflu autorise l’auditeur à affirmer, avouer sa sensibilité. Il ressent le droit d’être paumé. Vous êtes l’exutoire de la sensibilité de votre public. Il faut être fort, il faut paraître, dans la vie de tous les jours, dans l’entreprise. A 25 ans on faisait des cartons, on était fauchés, et à 35 ans on travaille sans passion. Sept ans après, votre discours est toujours très juste. A titre personnel, “Le Nombril” m’a frappé de plein fouet.

C’est justement un des morceaux qui fait la continuité et qui fait l’évolution. C’est à ce titre une chanson importante du disque. C’est un chapitre du feuilleton. Après, c’est vrai que sans relativiser l’importance des chansons, sans les hiérarchiser, j’ai l’impression qu’il y a 10 ans, quand on faisait la chronique pop-folk du quotidien, c’était relativement rare, alors qu’aujourd’hui c’est plutôt répandu. Dans l’inflation de ce genre, on n’est pas ceux qui ont ramassé la mise. Mais peu importe, je ne suis ni frustré ni amer. Je ne dis pas non plus qu’on a inventé le genre, mais ça prenait forme à cette époque, on était moins nombreux et là on est dans le fond de la photo. Et c’est comme ça.

Et dans le travail d’écriture, puisque tu y fais référence, j’ai toujours pensé que décrire le quotidien c’est passionnant, à condition de ne pas s’y cantonner tout le temps. La première chanson du premier album, c’est “Le Cheval De Peine”, avec un couplet très cru sur une relation très difficile, peut-être coupable, mal vécue, très quotidienne, et un refrain très onirique où on parle de cheval. Même si la mettre en première chanson du premier album n’était pas volontaire, on ne savait pas où irait le reste des autres albums. Mais dans le premier couplet et dans le premier refrain, il y avait deux voies que j’essaie de mener de front et peut-être d’imbriquer. J’aime bien aussi qu’il y ait du fantastique, de l’onirique, du poétique, allez, n’ayons pas peur du mot, sans renier pourtant la première veine que tu mentionnes.

Justement, en réécoutant tout à l’heure Et Puis Après On Verra Bien, je me suis dit que ce qui est incroyable dans cet album, c’est que dès sa première chanson, on rentre complètement dedans. Je me rappelle m’être fait la réflexion à l’époque. C’est limpide d’entrée, le reste coule franchement. Alors que normalement, il y a une entrée chiadée sensée emmener l’auditeur dans sa musique. Surtout pour un premier album. Mais là c’est direct, on accroche ou on n’accroche pas.

Il y avait une vraie volonté de cette crudité, de réussir ça. En terme de réalisation, il y avait quelque chose d’assez neuf. Maintenant, des sons très boisés, des enregistrements dans différentes pièces, avec des sons dont on entend le grain, c’est complètement universel, le fait que le premier morceau commence tout de suite avec un accord de guitare et immédiatement avec le texte. Sur La Chance, on souhaitait au départ montrer qu’il y avait une évolution musicale, mais en commençant par “Le Vide”, c’est finalement le même début (rires).

Vous avez un truc pour les débuts d’albums. Le premier mot qu’on entend sur le dernier album, après 7 ans d’absence, c’est «le vide», en effet. L’impact est franchement réussi car ça conditionne d’emblée l’écoute de la suite. Ce n’est donc pas fait exprès ?

C’était un bon morceau d’ouverture, mais en même temps risqué car ce n’est pas en couplet/refrain, mais un long morceau en deux parties. Mais si ça te parle, tant mieux.

Pour revenir à ce côté novateur en France, n’est-il pas lié à vos collaborations, notamment avec Jim Waters ?

Jim Waters a mixé Tchin Tchin. On a en revanche travaillé avec Dominique Brusson qui travaillait déjà avec Dominique A. Ils étaient déjà sur cette problématique, avec Christian Quermalet des Married Monk, qui lui avait déjà travaillé avec Jim Waters. On était déjà dans la problématique de comment apporter quelque chose d’américain dans la sonorité, la prise de son, dans l’absence d’effets qui crée d’autres effets, mais sans copier, sans faire western spaghetti.

C’est la même époque que The Jim Side de The Married Monk, justement. C’est 1998 ?

On l’a enregistré en 1997, année de sortie de The Jim Side, leur premier album enregistré avec Jim Waters (et leur second, bien qu’ils aient fait physiquement disparaître le premier de la circulation, ndlr).

La folk débarquait en force en France. Avec Calexico, Elliott Smith, Palace qui était déjà bien installé…

Il y a aussi Smog que j’écoutais beaucoup.

Vous êtes de fait parmi les premiers à l’avoir « importé » sur des textes français. C’était un style déjà très apprécié à l’époque, et du coup il y a eu une sorte de transfert naturel de la part du public, non ?

Déjà, c’était le contraire d’une démarche marketing. J’ai toujours aimé la démarche d’écriture de textes centraux autour desquels la chanson s’articule et pas l’inverse, c’était fondamental. Et à cette époque là je baignais dans ces disques, Palace, Smog… Et par ailleurs, deuxième facteur logique, il y avait une évidence de moyens. On répétait chez moi dans le 18ème, c’était guitare/tambourin/harmonica. On ne faisait pas semblant de faire du folk ! C’était vraiment avec les moyens du bord.

Tu trouves franchement que cette veine est aussi fréquente que ça dans la scène française ?

(Silence) Aujourd’hui, des albums avec des guitares à la Calexico, des cuivres mariachis, des références au folk et à la pop américaine bien digérés, il y en a plein. Je ne suis pas sûr d’avoir été pionnier, même si j’ai été un des premiers, mais plein d’autres l’ont fait depuis, peut-être mieux que nous. Beaucoup de gens digèrent ça, après selon le public, il jugera si c’est fait bien ou moins bien, en privilégiant l’aspect exotique ou l’aspect local. Mais finalement, il y a beaucoup de réussites dans cette rencontre-là. Après, il faudra inventer la suivante.

Il y a trois journalistes dans le groupe.

Oui, au départ, et sur les trois qui se sont connus à l’école de journalisme à Lille, nous ne sommes plus que deux suite aux différents changements, Sonia et moi.

Votre profession influe-t-elle sur vos textes qui sont très photographiques ? Leur expression est directe, on croirait une photo de Cartier-Bresson, quelque chose de très simple et concret mais qui emmène ailleurs.

Paradoxalement, c’est une question de mots. C’est le choix des mots qui appelle les images, qu’il les appelle sur quelque chose de très concret ou quotidien, ou alors quelque chose de fantasque et onirique. Un enchaînement de mots réussi, des choix d’arrangements appellent des images. Et si on peut les faire circuler de quelque chose de très terre à terre à autre chose de très poétique, tant mieux. C’est cette circulation que j’aimerais travailler.

Cet aspect photographique est très net sur l’iconographie de vos disques, notamment des deux derniers, avec ce côté terriblement réaliste, ces photos totalement déshumanisées, ces voitures abandonnées. Et c’est pourtant très raccord avec l’ambiance générale, et même avec vos textes.

Finalement, un paysage comme ça, comme les photos d’albums, tu y mets toi-même ce que tu veux. Tu projettes dessus, que ce soit un paysage accueillant ou au contaire désolé et hostile. Chacun a son interprétation, avec son humeur du moment. Mais c’est aussi ça, une chanson qui fonctionne bien, une chanson sur laquelle on peut projeter une émotion, un ressenti, des angoisses.

Vos thèmes sont-ils choisis ? Les petites difficultés du quotidien qui sont tout de suite des montagnes pour chacun ? Tu as travaillé au Proche-Orient, on est donc très loin de ton autre métier, est-ce que ces thèmes te servent d’exutoire, ou au contraire font-ils référence à ce que tu aurais plus envie de vivre de manière inconsciente ?

(Long silence) J’aime bien l’idée de ne pas se limiter dans les sources d’inspiration. C’est une histoire de détonateur, il y a toujours une impulsion qui crée l’enroulement de ce que sera une chanson. Et quelques fois, ça peut être très prosaïque. Par exemple, “Quand Homme Blanc Coupe Du Bois” a été enregistrée après l’enregistrement de l’album, car elle répondait à une commande pour une compilation sur le thème du pique-nique. Et on nous a rétorqué que ça n’avait aucun rapport avec le pique-nique, mais on a répondu qu’il n’était pas écrit qu’elle devait parler de pique-nique ! C’est comme ça qu’elle est née, on s’en fout du rapport ! La commande c’est ça, la chanson c’est ça, on en est contents, on en a même fait un single. Elle est arrivée après.

En fait, je suis de plus en plus sensible aux stimuli extérieurs. Et ce ne sont pas les seules sources de la chanson, elle cristallise plein de choses qui étaient là, ça peut être extérieur, comme très intérieur. Déjà, il faut avoir envie d’écrire une chanson, et ça nous vient dans les cinémas, dans les concerts qui me remuent souvent, et me poussent à jouer de la guitare en rentrant. D’ailleurs, dans tous les albums, sans faire quota, il y a toujours une chanson qui est sur le thème du voyage. “Mr Paul” sur le premier album, “Independance Park” sur le second, et “Jourdain” sur le troisième, bien que finalement elle n’apparaisse pas. Et celle sur le retour du Proche-Orient est sur le troisième également, mais ça ne s’entend pas (sourire).

On sent musicalement, sur La Chance, un son plus rêche, “Le Monde Entier” est même franchement agressif, et c’est surprenant a priori. Mais à bien y regarder, on entend, au fil des disques, monter de manière lente et progressive une certaine violence musicale. C’est délibéré ?

Ce qui est délibéré, c’est de ne pas se mettre de barrières. Pouvoir faire une chanson piano/voix comme “Le Nombril”, faire un morceau rock comme “Quand Homme Blanc…”, un morceau en deux parties très abouties comme “Le Vide”, pouvoir faire une espèce d’ovni comme “Le Monde Entier”. De même qu’il y avait un ovni dans le premier album, “Elle & Lui”, ce mélange de boîte à rythmes techno et de guitare saturée, ou encore l’ovni textuel comme “La Ferme” sur le deuxième, un des textes les plus inquiétants qu’on ait faits. C’est moins une démarche d’aller vers quelque chose que de refuser les obstacles. Ne nous empêchons rien, ne nous refusons rien.

Sonia Bricout, 2007

Es-tu le seul à écrire ? Il y a une différence entre les textes que tu chantes et ceux que Sonia chante.

Sonia a écrit un texte pour chacun des deux derniers albums, “Chamaloc” sur le dernier. Mais il n’a jamais été dit que je devais écrire tous les textes, ça s’est trouvé comme ça, tout simplement. Après, pour la méthode sur la majorité des titres, j’arrive avec quelque chose de pas arrangé, ou très peu. Et c’est ensuite avec le groupe qu’on emmène ça où on veut même très près de l’arrangement initial, comme “Le Nombril”.

C’est à deux étages. Le groupe amène sa musique, et ensuite on travaille avec Christian Quermalet qui est le spécialiste pour prendre un morceau sous son bras et l’emmener là où on ne l’attendait pas. Il y a eu des révolutions successives sur les morceaux, sur lesquels je ne m’empêchais aucun avis, mais c’est sur le troisième album que je me suis senti bien avec cette liberté-là. Il m’a fallu trois albums pour être heureux de l’explosion d’un morceau et sa recomposition en autre chose. Sur le premier je ne lâchais rien, le deuxième a été l’album des tiraillements, et sur le troisième, c’est celui de «il est interdit d’interdire». Et son temps de réalisation a favorisé ce phénomène, on a pu écouter, retravailler, abandonner, revenir en arrière. L’évolution des techniques aussi a joué en notre faveur : les deux premiers albums ont été faits en studio, le troisième à la maison, pour le mix en tout cas, par informatique et sur Pro-Tools. Et ça permet de s’approprier le morceau, faire écouter aux autres, travailler collectivement. Les facteurs temps et technologique ont été dans le sens d’une grande liberté, qui par ailleurs était dans le cheminement de la logique et du collectif.

Est-ce que vous avez tous les mêmes influences dans le groupe ? Tu parlais du folk américain pour toi.

Oui, comme Herman Düne (rires). Je rigole, mais c’est un vrai concentré de folk américain, le meilleur groupe de folk américain peut-être, malgré leurs origines franco-suédoises.

Quoi d’autre ? Du jazz, par exemple ?

Notre formation actuelle est récente, et si tu fais le tour de tout le monde, tu as une discothèque hyper éclectique. Notre batteur et notre contrebassiste (respectivement Bertrand Lafarge et Xuan Lindenmeyer, ndlr) viennent du jazz, notamment expérimental, et musicalement ils sont très évolués. Ils ont dépassé le stade de la prétention musicale, approchent la chanson comme une matière nouvelle pour eux, avec beaucoup d’humilité. Et le résultat, c’est vraiment la classe. Il y en a donc qui écoutent des trucs très barrés, qui jouent en lisant comme ça une partition, en jouant la bonne note au bon moment dans la bonne intensité, alors qu’on peut mettre des plombes à trouver, avec des mots, comment on va jouer ce truc-là. Et ça m’émeut beaucoup. Quelles que soient les influences, on peut aboutir à un résultat très réussi, et en ce moment, on y est clairement.

Sylvain Rifflet, de Rockingchair, en parlait dans une récente interview pour le webzine : c’est être au-dessus de sa technique pour être libre ?

C’est tout à fait ça, alors que je suis dans une trajectoire totalement inverse. J’ai toujours revendiqué mes faiblesses, une approche très instinctive et mes limites.

Ce qui donne aussi un côté naturel à votre musique.

Oui mais ce sont des limites assumées mais pas complaisantes, j’ai la volonté réelle de progresser. Alors que ces musiciens viennent de l’excellence. Et, aujourd’hui, on se parle, avec des mots ou musicalement. C’est un bonheur quotidien de répéter et d’être sur scène avec eux. Ce sont deux conceptions de la musique qui sont loin d’être étanches, et notre groupe fonctionne à fond sur ça. C’est un plaisir intense.

Et la scène, aujourd’hui, c’est important ? On vous y sent vraiment à l’aise.

Oui, mais ça a été quelque chose de douloureux au début. Ce côté naturel et limité assumé, revendiqué même, nous a, certains soir, abîmé la fête. Si on n’a pas renoncé à cette caractéristique, on atteint à une certaine régularité, notamment apportée par nos nouvelles recrues. Sans être plus commercial ou easy-listening, on se sent plus accessibles. C’est ça la bouteille, vieillir ça n’a pas que des avantages, mais en musique ça compte. Il ne faut pas perdre de fraîcheur, mais pas non plus renoncer à mûrir. Ceci dit, exposer nos faiblesses en live, ça a été quelques fois un peu dur. Les gens jouaient le jeu, mais d’autres ne rentraient pas dedans, et je comprends très bien, je ne leur en veux pas du tout, j’accepte complètement.

Je pense que le public français accepte ça d’un groupe fançais, d’un point de vue musical, mais pas du tout au niveau des textes, alors que c’est exactement l’inverse pour les groupes anglo-saxons dont on ne tolèrera aucune faiblesse musicale, et le niveau des textes, on s’en moque globalement.

Il faudrait voir avec des exemples concrets.

Pour la nouvelle scène française, des artistes ont une musique balisée, parfois cool, mais des textes impossibles. Alors que certains groupes anglais qui ont récemment marché ont une originalité musicale réelle, mais des textes consternants.

Les choses qu’on accepte de l’étranger et pas des groupes de chez nous, c’est exactement l’attaque d’un article très juste paru aujourd’hui, dans Le Monde, sur Luke et Eiffel (« Eiffel et Luke affirment un rock français dense et puissant » de Sylvain Siclier, Le Monde du 24 novembre 2007 ndlr ). Quoiqu’on pense de ces deux groupes ou des groupes anglo-saxons, c’est tout à fait vrai. Mais bon, on ne va pas refaire le monde des critiques.

Le public qui vous écoute et qui vous suit, si on en croit les blogs et autres forums, semble écouter Dominique A, Miossec, un peu Zézé Mago et un peu Murat. Te reconnais-tu dans ce quartet de musiciens qui ont beaucoup en commun, notamment des influences anglo-saxonnes marquées ?

Zézé Mago est un mec en or massif. Dominique A, tout a été dit et écrit sur lui, à juste titre. Aujourd’hui, bien que fan de lui, je me sens plus proche de Sylvain Vanot ou Bertrand Betsch, musicalement, et peut-être aussi sur un plan commercial et médiatique (rires). Dominique A est devenu un monument, et un monument, soit tu lui rentres dedans en bagnole pour éviter le bus, soit tu le contournes doucement, soit tu te mets au garde à vous… Ce qui ne lui enlève rien, c’est un type immense. Miossec, bon, pourquoi pas. Quant à Murat, j’ai mis très longtemps à l’écouter, du fait qu’il soit une sorte d’icône pour la critique lui aussi, ce qui est un peu encombrant. Et j’ai commencé à vraiment l’écouter avec Mustango, et je n’en décroche plus. Ce mec est, lui-aussi, immense.

Ecrire pour les autres, une idée qui te tente ?

Tu parles… J’ai écrit une chanson pour Autour De Lucie déjà (“Chanson De L’Arbre”, sur Faux Mouvement, 2000, ndlr). Il m’arrive de composer pour des films, mais dans l’absolu, oui, ça serait quelque chose qui me passionnerait. Du moment qu’il faut écrire, de toute façon…

Dernière question avant le couperet : Monsieur Paul a-t-il existé ?

« Monsieur Paul »… c’est Paul Bowles (Un Thé Au Sahara…) qui venait souvent, m’a-t-on dit, dans ce café sublime de Tanger où j’ai eu l’occasion de m’asseoir un jour, il y a 12 ou 13 ans.

Enfin, la question traditionnelle, peux-tu me citer cinq albums phares pour toi ?

Pixies, Doolittle

Jacques Brel, Les Marquises

John Lennon, Imagine

Enio Morricone, ses musiques de western

Palace Brothers, There Is No One What Will Take

– Lire la chronique de La Chance