Comment passer le cap délicat du deuxième album pour un groupe attendu au tournant ? En frappant fort. Très fort.


On se souvient encore des émois provoqués par From Here To There en 2004, un premier album onirique, chaleureux, charnel et cultivé. Girls In Hawaii effectuait alors une entrée remarquée dans le landernau pop-rock avec ses petites chansons accrocheuses, tantôt caressantes, tantôt renfrognées, mais toujours portées par une mélodie qui planait bien au-dessus des cieux. Quatre ans plus tard, c’est avec toujours autant de délectation que l’on se plonge dans cet album modeste, sincère et parfaitement homogène. Mais, après un succès commercial estimable et mérité qui les a menés à l’autre bout du Monde, on ne doutait pas un seul instant de la suite que donnerait le combo belge à ce premier effort.

De fait, Plan Your Escape cloue littéralement sur place dès la première écoute. La tempête a sérieusement dû bousculer la tête du sympathique sextet pour qu’il fasse montre d’une telle hargne. La mélancolie qui trônait sur From Here To There a creusé son sillon et fait le lit de la colère. Celle-ci se réveille sur Plan Your Escape, avance masquée, drapée d’enluminures psychédéliques. Les Girls In Hawaii n’ont pas bu que du lait pour grandir de la sorte. Ils ont dû tâter de la ciguë, goûter au fiel et lamper à grands coups de langue de pleins bols de désillusions.

Pourtant, il se dégage toujours de leurs chansons une évidence mélodique faramineuse, celle des grandes heures de Grandaddy ou celle, lumineuse, de Sparklehorse. Leur pop-Ovomaltine, très régulièrement traversée de fulgurances électriques sidérantes, fait beaucoup penser au parcours initiatique et néanmoins remarquable (pour l’instant) de Midlake. Direct, frontal, parfaitement lisible et pourtant si profond, Plan Your Escape est l’oeuvre d’un grand groupe, un disque en tout point abouti.

Dès le titre d’ouverture, l’énorme “This Farm Will End Up In Fire”, le ton est donné. Batterie cavaleuse et basse en feu tracent un chemin rocailleux à la voix chevrotante d’Antoine Wielemans. On sent l’orage gronder, et pourtant le soleil lutte, darde le sol humide de quelques rayons rebelles. Mais les guitares viennent mettre tout le monde d’accord, d’abord avec une série d’accords cinglants, pour ensuite tout laminer sur leur passage au détour d’un refrain angélique. L’album est ainsi parsemé de ces contrepoints entre chant fragile, livrant des textes d’une candeur blessée toujours désarmante, et guitares énormes appuyées par des rythmes martiaux. Que ce soit sur des morceaux ramassés, concis, voire carrément brutaux – “Bored”, “Birthday Call”, l’instrumental “Road To Luna” -, ou de simples envolées pop, – “Sun of the Sons” qui semble tirée d’une démo des Beach Boys, ou “Summer Storm”, un des sommets de Plan Your Escape -, les Girls In Hawaii se concentrent avant tout sur l’efficacité.

On sait aujourd’hui qu’ils ont souffert avant de se lancer dans l’écriture de ce deuxième effort, et qu’ils ont tout lâché dès la première étincelle. Le résultat est là, la spontanéité du jeu se sent dans la moindre mesure, l’effervescence a été judicieusement canalisée pour composer avec énergie des chansons aux strates si complexes et au rendu si limpide. Le travail d’orfèvre de Jean Lamoot (Noir Désir, Bashung…) n’est pas innocent, élaborant un mur du son fait de chaume, scrutant les petites aspérités pour leur donner leur chance de participer à la fête. Dès lors, que ce soit sur les brûlots ou les ballades champêtres si sereines, dont les Belges ont le secret, on navigue en confiance dans un univers familier, certes, mais toujours aussi bon à retrouver. Et les Wallons ont tellement souffert pour atteindre ce degré de confiance qu’ils se permettent même quelques expériences étonnantes, comme cette rythmique celtique (que l’on aurait peut-être aimée plus courte) dans le finale de “Fields of Gold”, des chansons squelettiques et ténébreuses – formidable “Couples on TV” -, ou l’ajout de petits bruitages et autres incursions sonores du meilleur effet. On regrettera peut-être la décision de sortir du tracklisting final “Coral”, un interlude insidieux, et surtout “Grasshopper”, une bombe power rock de moins de deux minutes qui jetait un jerricane d’essence sur le feu. Mais ces chansons, présentes sur la version promo, puis finalement retirées, seront mises à disposition tôt ou tard.

Ainsi, il est toujours possible pour un petit groupe prometteur de livrer un deuxième album majeur, balisé certes, mais authentiquement explosif. Girls In Hawaii devra maintenant assumer son nouveau statut, celui des Grandaddy de la vieille Europe. On a la preuve aujourd’hui, grâce à ce disque, leur Sophtware Slump à eux, qu’ils ont toutes les qualités requises. Un petit pas pour l’Humanité, un pas de géant pour Girls In Hawaii.

– Lire également l’interview de Girls In Hawaii

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– Le lien vers Bang!, leur distributeur belge

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