Sur son troisième opus solo, l’ex Arab Strap badine avec l’amour.


S’il y a des musiques inspirées, rares sont les musiques de l’expiration qui, comme Sleight Of Heart, sont telles un souffle de récupération, une stase dans le mouvement, une saisie cathartique, comme la purification à l’égard du passé. Il y a déjà deux ans, Arab Strap se séparait et nous laissait après Ten Years Of Tears. Quatrième album, et après le remarquable A Brighter Beat il y a un an à peine, Malcolm Middleton revient ainsi avec sa langueur monotone, sa voix traînante mais indispensable, comme l’intime confident et porte-parole qu’il est devenu de nos chagrins amoureux. D’emblée, l’oeuvre produit cette impression de familiarité, de proximité avec des sentiments, des émotions, des êtres que l’on avait laissés en plan, qui subsistaient au fond, qui sommeillaient, qui nous manquaient mais que seuls nous ne pouvions réveiller, ou même atteindre. Différence dans la répétition, les sonorités désormais se font plus épurées, substituant aux guitares électriques la délicatesse d’accords acoustiques, la prégnance de violons et l’intermittence ombrageuse et salvatrice de quelques notes de piano. Répétition dans la différence, le chant de Middleton demeure comme un fil d’Ariane, scandant sa solitude et sa mélancolie et auquel, comme un soutien, comme un contrepoint, vient se superposer la voix de Jenny Reeve. Tout l’album dessine ainsi une communication ouverte entre les voix et les instruments, une trouble litanie, un récit de perdition, de séparations, d’ivresse, de désaveu, d’amertume à conjurer.

Dès l’ouverture, “Week off”, l’émergence successive de la batterie puis des arpèges, les fébriles attaques de violon et la boucle de piano semblent autant de poussées, de mises en abyme pour isoler la voix caverneuse et hagarde de Middleton, la rendre pénétrante, et transmuer lentement une aspérité en une saillance. Exemplaire est alors le second titre de l’album, “Blue Plastic Bag”. Succédant à la seule présence de Middleton, l’alternance des cordes, la multiplication des interruptions puis des silences avèrent l’âme de toute l’oeuvre en lutte constante contre le spleen et le désenchantement. Le désespoir ne valant, lui aussi, que s’il est partagé, c’est à deux que les voix déclameront leur inénarrable solitude.

Cette communication, comme une existence redoublée, en transparence, accomplit le dynamisme de chaque titre, et compose une ballade sur les débris fumeux de stupides orgies ou d’amours langoureux.

Le disque surprend aussi car en son sein résident des reprises, dont celle, déchirante et méconnaissable, de “Stay” de Madonna. Conduite par une guitare presque désaccordée, la complainte s’est débarrassée des arrangements clinquants et artificiels pour ne dégager que le pathétique des regrets, la désespérance devant l’irréversible séparation, devant la découverte par trop tardive de la beauté d’un passé qui, lointain pourtant, ne passera jamais. De même, “Marguerita Red”, chanson composée originellement par King Creosote, presque neurasthénique, est animée ici de la même logique de la rupture. Sémillant et enjoué, le titre évoque maintenant un Mexique de pacotille, où la batterie rythme le galop de ce Don Quichotte de la vie amoureuse à la conquête de ses Dulcinées. C’est toujours au coeur de ses obsessions, ou de ses obsessions de coeur, que paraît composer Middleton. “Loves Comes in Waves” orchestre ainsi cette fascination même pour le désir d’être préféré, à jamais, d’être aimé et d’être emporté par cet amour au point d’achever cette course frénétique démuni, dénué de tout, seul sur une île. Marin rejeté par la mer, ressassant son amertume et jurant que l’amour est un mensonge, tout en rêvant, en secret, d’être de nouveau, un jour, dans le doux creux de la vague.

Certes, la traversée à laquelle convie le disque n’est pas sans monotonie, mais c’est la vertu de l’intimité de pouvoir être à la fois dans l’oeil du cyclone et de revêtir la forme et la sérénité d’une mer d’huile. Assurément Malcolm Middleton est notre intime, Robinson de nos amours déchues, et pour dix ans encore pleurons avec lui.

– Le site de Malcolm Middleton