Quand, après presque 20 ans de carrière, l’un des papes de la pop-folk lo-fi redessine les bases de son oeuvre, reconstruit ses fondations, l’effet est saisissant.


« I’m ready for my close-up » (« Je suis prêt pour mon gros plan ») chante The Mountain Goats (traduire les chèvres de montagne), alias John Darnielle, sur le dernier morceau d’Heretic Pride, “Michael Myers Resplendent”. Cette référence au héros de la série ciné Halloween (et particulièrement au second opus) et cette simple affirmation sonnent, le disque digéré, comme un aveu. John Darnielle, presque vingt ans de carrière, a tombé le masque. Sa mue achevée (du lo-fi ou hi-fi), il donne ce qu’il a de plus sincère.

Au tout début des années 90 à Claremont, Californie, John Darnielle commence à se produire sous le nom The Mountain Goats, en référence à la chanson « Yellow Coat » de Screamin’ Jay Hawkins. Il a traversé les deux décennies avec classe, sur une quinzaine d’albums. Comme le laissaient deviner ses deux derniers opus (Get Lonely et The Sunset Tree), l’homme a bien changé, passant d’une introspection interminable, d’un enfermement dans une tour d’apparats et d’avatars à un coming-out épatant, libérant paroles et musiques, glissant du livre d’images au confessionnal. Il se rend compte que sa petite personne peut être replacée au centre de son oeuvre.

Sixième album sur le label 4AD, coaché par Scott Solter et John Vanderslice, Heretic Pride est une production taillée brute, urbi et orbi (pour lui et pour le monde), marquant une plénitude dans son oeuvre. Ici pas de séries sur le couple « Alpha » (les aventures d’un couple marié au bord du divorce, surtout présent sur Tallahassee) ou ses tics « Going To » (Bogota, Buffalo, France…), comme il avait l’habitude d’en livrer pour exprimer l’envie d’une échappatoire.

Dès “Sax Rohmer #1”, en à peine une minute, Darnielle nous fait fondre. Son offensive, guitares tendues, est magnifique et le crescendo, agrémenté de petits arrangements audacieux et sublimé par la voix invasive de l’auteur, finit par gagner notre coeur. Touché. D’un coup franc et sec, Darnielle a gagné notre attention. Presque surpris de sa hargne, il est comme le jeune garçon qui, goguenard, s’approche de la mare sur la pointe des pieds pour y jeter le plus gros galet. Et de s’émerveiller alors des vaguelettes qui s’échouent à ses pieds et déforment son visage.

Avec sa voix à la tessiture si particulière, proche de celle de Colin Meloy, le leader des Decemberists, il chante sa fierté d’être en vie sur Heretic Pride. Avant d’ouvrir un nouveau chapitre évoquant son mal-être. “Lovecraft In Brooklyn” est l’un des sommets de l’album. Ce morceau tendu jusqu’à la déraison fait référence à HP Lovecraft, l’un des pères de la littérature fantastique et d’épouvante du XXe siècle, auteur torturé des mythes de Cthulhu. Il évoque plus précisément son passage raté à New York, raconté dans la nouvelle Cool Air. Guitares électriques acérées, tempo ardent et un John Darnielle qui finit par se déchaîner au troisième couplet avec rage. Il démontre en quatre minutes qu’il est capable de tout. Et aujourd’hui, il se sent comme Lovecraft, mal à l’aise : « She asks me how I feel today, I feel like Lovecraft in Brooklyn ».

La joue encore rougie par la claque reçue, Darnielle nous rafraîchit ensuite avec “Tianchi Lake”, ballade rappelant quelques faits d’armes des Ecossais de Belle & Sebastian. Puis il reprend les grands travaux, rythmés par des cordes et un piano aigu sur “How To Embrace A Swamp Creature” pour finir sur le chef d’oeuvre dont nous parlions en introduction, “Michael Myers Resplendent”, son refrain magnifique et ses cordes puissantes.

Sans couper la branche sur laquelle il s’était assis, d’une assurance lettrée confinant parfois à la monotonie, John Darnielle est passé en trois albums à des hésitations personnelles qui donnent une toute nouvelle dimension à son songwriting, une insouciance dont on sait maintenant qu’elle était indispensable.

– Le site de The Mountain Goats

– Le Myspace de The Mountain Goats