C’est un secret de polichinelle : à deux aussi on peut faire beaucoup de bruit. Et même des étincelles.


Il fut un temps fort lointain, au mitan du siècle dernier, où les comédies musicales au cinéma étaient de vraies merveilles, notamment par la grâce de chorégraphies un brin kitsch mais littéralement magnifiées par les danseurs. Parmi ceux-là, il y eut des hommes, et il y eut des femmes, dont deux particulièrement, qui se disputèrent le bras du sémillant Fred Astaire (pendant que Gene Kelly attendait son tour) : la divine Cyd Charisse et la fantasque Ginger Rogers. Cette dernière s’entraînait tellement, dit-on, que ses chaussons de danse finissaient toujours couverts du sang de ses pieds. Et c’est de cette anecdote que les Blood Red Shoes ont tiré le nom de leur duo. L’inspiration s’arrête là, car pour la musique, c’est plutôt aux sources du punk et du grunge qu’ils ont puisé leur énergie. Grand écart pour le moins étonnant.

Il faut dire que Laura-Mary Carter et Steven Ansell s’ennuyaient ferme dans leur jolie cité balnéaire de Brighton – « It’s getting boring by the sea », c’est eux qui le disent sur la chanson du même nom. La paire décide de tuer cet ennui en empoignant sa guitare pour elle, ses baguettes pour lui. Ainsi, ce nouveau duo homme/femme tirant vers le rouge va s’acharner, avec un minimum de moyens, à faire un maximum de bruit. Et de ce point de vue, leur premier album Box Of Secrets est réussi. Leur punk-rock est aussi explosif que pouvait l’être, par hasard, le premier effort de Placebo (1996) auquel on pense très fort ici. Même urgence dans l’interprétation, même tension vocale chez Steven Ansell que chez le Brian Molko post-ado des débuts, et même sécheresse des riffs. On a vu pire comme début de carrière.

Carrière qui a d’ailleurs commencé très fort, sur la foi d’une poignée d’EP frondeurs (tous réunis ici), bien qu’assez peu originaux. Tout dans l’efficacité, beaucoup moins dans l’inventivité. C’est peu ou prou un bon résumé de Box Of Secrets. Laura Mary-Carter et Steven Ansell se débattent comme des beaux diables pour tout dévaster dans le studio en tentant de faire oublier une écriture scolaire. Une sensation de déjà entendu colle à la semelle tout au long de ce premier opus, mais cette sensation n’est bizarrement pas désagréable tant la fraîcheur du duo, sa vivacité et sa croyance en sa musique font plaisir à entendre. Certains titres relèvent même du petit tube en herbe – “You Bring Me Down”, “This Is Not For You”, “Try Harder” – avec leurs mélodies accrocheuses, leurs guitares fracassantes et un son franchement massif.

Si l’homme se taille la part du lion en ce qui concerne le chant, la jeune fille s’en tire très bien avec cette voix calibrée ultrabrite-pop, atténuant un tant soit peu une interprétation parfois théâtrale, excessive. Plus exercice de style maîtrisé que style personnel cultivé. D’ailleurs, leur grunge primaire n’est pas toujours de première fraîcheur, et certains roulements de batteries gagneraient à être plus courts, notamment sur “Forgive Nothing” et “Hope You’re Holding Up”, les deux titres qui clôturent ce premier effort.

Box Of Secrets est ainsi un premier album de punk/grunge/rock basique, sans autre prétention que le plaisir de l’exécution, avec tout ce que ça sous-entend d’approximations, lourdeurs et autres sorties de route. Il ne faut donc, à son écoute, rien y chercher d’autre que ce même plaisir galvanisant, cette jouissance débridée de l’instant. D’autant que Blood Red Shoes traîne déjà une réputation de feu-follets sur scène, et on sait combien les planches patinées de toutes les salles de concert et autres festivals du monde ont contribué, avec le temps, à raboter le rock et tous ses courants les plus roboratifs. Nous collerons donc les Blood Red Shoes à la culotte, regrettant juste pour la forme qu’ils n’aient pas plus regardé les comédies musicales avec Cyd Charisse, ils y auraient sûrement gagné en finesse.

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