Envoyés dans les plumes. KO. Avec Nous (en) sommes encore là, le trio emmené par Michel Cloup (guitare, voix, machines), Fransico Esteves (basse) et Patrice Cartier (batterie) continue de nous travailler au corps avec son rock tendu et son verbe contestataire. Un quatrième opus qui ne baisse pas la garde, renvoie les coups, frappe fort, et boxe hors-catégorie dans le paysage sinistré du rock (en) français.


C’est dans sa nature. Jamais totalement pour, jamais totalement contre, Michel Cloup est un musicien qui ne cache pas son esprit de contradiction. Franc et sincère. A prendre ou à laisser. Que l’on adhère ou pas, cette franchise séduit, car le meneur d’Expérience ne parle pas pour ne rien dire. Quelques heures avant son concert au Point Ephémère, adresse prisée du canal St-Martin, il évoque cette nouvelle configuration en trio (à ses côtés durant l’entretien, Esteves et Cartier resteront effacés), parle de ces sessions d’enregistrement rêvées à Chicago, s’interroge sur ses engagements sociaux… Le tout terminé d’un rire qui relativise ses propos.

Pinkushion : En omettant l’album de reprises Positive Karaoke With A Gun, cela fait déjà quatre ans qu’Expérience n’avait pas enregistré un album avec des compositions originales.

Michel Cloup : C’est pour cela que le nouveau est conséquent (rires). Il y avait déjà des compos qu’on jouait à l’époque d’Hémisphère Gauche. C’est juste qu’on avait enchaîné sur le projet Karaoke assez rapidement, soit un an après. Un peu par jeu d’ailleurs avec cet album de reprises, mais aussi avec le DVD qu’on proposait. Entre-temps, comme on a beaucoup tourné, c’est vrai que cela a pas mal décalé le projet d’un vrai disque.

Avec le recul, que pensez-vous de cet album de reprises. Quelle place tient-il dans la discographie du groupe ?

Comme un truc à part, une récréation. C’est un peu mon rêve de faire un jour un album de reprises. Après, c’est peut être plus marrant à faire qu’à écouter, je n’en sais rien (rires). J’aime bien ce genre de disque, et puis ça s’est fait tellement spontanément, en deux semaines, très facilement, très rapidement. Dans la joie et la bonne humeur. En fait, ça fait longtemps que je ne l’ai pas réécouté. Maintenant, en terme de son, je pense que c’est nettement moins bon que le nouvel album (rires). Vu que l’album de reprises a été enregistré dans notre local de répétition, sur ordinateur.

Généralement dans la carrière d’un musicien, on observe que l’album de reprises intervient chez l’artiste à un moment où l’inspiration est un peu en berne, non ?

Non, comme je te l’expliquais, on a beaucoup tourné sur Hémisphère gauche et on a enchaîné sur Karaoke, puis la tournée d’un an et demi. En 2006, on a complètement arrêté les tournées, il y a eu un changement dans le groupe (ndlr : le départ du guitariste Widdy). Je pense que cela faisait déjà quelques mois que cela traînait, depuis début 2006. Donc je pense que cela a un peu ralenti le processus, l’album aurait pu sortir plus vite en 2007. Je n’en suis même pas sûr, puisque le fait que Widdy s’en soit allé et qu’on se soit retrouvé en trio, cela a aussi pas mal contribué a ce que l’écriture de Nous (en) sommes encore là ait avancé assez rapidement. Simplement, il y a eu un délai entre le moment où il a décidé de partir et son départ effectif. Et puis après, il y a eu vraiment un projet de vouloir enregistrer à l’étranger. Si tu veux, l’album était déjà près depuis début 2007, fin 2006, écrit et « maquetté ». Il a fallu attendre décembre 2007 pour que le studio se libère. C’est un peu le problème, les studios sont réservés 6 à 8 mois avant. Il aurait fallu qu’on s’y prenne plus tôt, mais on a un peu traîné la patte (rires).

Cette formule en trio s’est imposée d’elle-même, ou bien avez-vous essayé de recruter un nouveau membre ?

Fransisco Esteves (basse) : On s’est posé la question, mais très vite on a enchaîné sur des répétitions. On a essayé de faire tourner les morceaux à trois pour voir ce que l’on était capable de faire. Je pense que le fameux album de reprises nous a décomplexés. On partait sur des nouvelles voies, on a creusé le sillon à trois.

Michel Cloup : En fait, il y avait aussi une envie de faire un album différent d’Hémisphère Gauche, qui était un disque très chargé en termes d’arrangements. Il y avait beaucoup de samples, de guitares – deux guitares donc à l’époque. C’est un album assez compact, ramassé, dix titres, beaucoup de textes, de voix. Là, on avait envie de faire quelque chose de beaucoup plus aéré, plus simple en terme d’arrangements. Mais, en même temps, on voulait garder une intensité ou une efficacité, et aussi une volonté d’avoir un album qui parte dans des directions plus différentes, un peu comme un trip. Sortir du cadre 10 titres/40 minutes. Là, il y a 14 titres/65 minutes. Il y avait vraiment une envie de proposer autre chose que sur les deux premiers disques. Et cette épuration musicale se retrouve aussi dans les textes. Par moment, il faut laisser un peu parler la musique. C’est pour cela qu’il y a des instrumentaux et des morceaux assez longs. Essayer de faire des pauses vocales pour… faire du bien quoi ! (rires)

Sur le plan instrumental, on sent qu’il y a une volonté d’aller vers quelque chose d’efficace. Moins agresser l’auditeur sans non plus tomber dans le formatage.

Il y avait une envie de plus de nuances aussi. On était sur un mode très rouleau-compresseur et il y a avait une lassitude de notre part. On se rendait compte que même en terme de live, c’était un peu répétitif. Apporter un peu plus de nuances dans les chansons, peut-être avec des morceaux plus calmes. En fin de compte, cela reste Expérience, mais on a essayé des choses nouvelles. Sur cet album, il y a deux intervenants qui apportent des voix. On appréciait bien Psykick Lyrikah à l’époque du premier album, on a contacté Arm, puis on s’est rencontrés. En fait, ça s’est fait assez facilement, en trois ou quatre jours sur “La République invisible”.(ndlr : et aussi la contribution de Mary Jane qui pose sa voix sur “Something Broken” et “Retrouvée”).

Experience au Texas. De gauche à droite, Patrice Cartier (batterie), Fransico Esteves (basse) et Michel Cloup (guitare, voix, machine),

Retour à Chicago. Comment s’est passée la rencontre avec le producteur américain Greg Norman (Guided By Voices, Wedding Present…), notamment par rapport aux textes en français ?

C’était très nouveau, il était très curieux.

Fransisco Esteves : Il voulait tout le temps savoir ce que cela voulait dire.

Michel Cloup : Alors des fois c’était un peu compliqué à traduire (rires). Je pense qu’il était assez conscient de l’impact des paroles. Après, les américains ont une conception un peu différente du rock. C’est vrai qu’en France, avec un groupe comme Expérience, on focalise pas mal sur les textes. Les Américains sont globalement un peu moins comme ça. Pour eux, c’est un ensemble. Malgré le fait qu’il ne pigeait pas ce qu’on raconte, j’ai l’impression que la musique lui suffisait. Il nous a dit qu’il trouvait ça assez original, déjà du fait d’avoir des morceaux très différents sur l’album et puis cette manière de chanter sur cette musique globalement assez rock et en même temps un peu plus machines. Ça l’a pas mal excité. Après, en studio, ça été un peu comme un conte de fée. Tout s’est fait très simplement, sans stress : on a branché les amplis, joué et enregistré en quatre jours, puis mixé en quatre jours. Cela a été presque comme un concert. Presque un peu trop court (rires).

Enregistrer à Chicago au Electrical Audio studio de Steve Albini, c’est quelque part le prolongement de l’album Positive Karaoke With A Gun avec votre reprise de Shellac.

Oui, il y a une suite, mais ça s’est fait tout de même un peu par hasard. On aimait beaucoup les disques qui étaient sortis de ce studio, l’esprit en fait. Ce qui est agréable avec Greg Norman, c’est quelqu’un qui aime bien tout ce qui est « vintage », le vieux matériel, les vieilles bandes, etc. Mais il était aussi intéressé par les machines, on a travaillé à Electrical avec tout le parc matériel vintage mais en utilisant aussi un ordinateur. C’était quand même une expérience assez intéressante, même pour lui je pense, car il ne travaille pas forcément sur machines. Mais c’est vrai qu’après avoir passé une semaine dans les locaux, c’était comme un rêve de studio. L’endroit n’est ni trop petit, ni trop grand. Ça sonne super, les gens sont très compétents. Il y a une grosse culture musicale qui se rapproche de nos affinités. Et une éthique qui est plutôt bonne.
Après, c’est vrai que je déconseillerais à des groupes d’aller là-bas sans être prêts. Ce n’est pas du tout un travail de production, ça va vite. C’est-à-dire que si tu arrives et que tu joues mal, et bien le résultat sonnera mal. Greg ne va pas te prendre la guitare des mains. Si tu arrives avec un son de casserole, et bien lui pense que c’est le son que tu as rêvé d’avoir. Et en même temps, c’est cela qui est intéressant aussi, car il ne viendra pas te voir pour te dire « non, il ne faut pas que ça sonne comme ça, mais plutôt comme ça »… Tu assumes ton son et tes chansons. Tu portes ton truc tout seul, eux se chargent de placer les micros et de capter le son qui sort des instruments. On avait tout maquetté au préalable avant de rentrer en studio.

Fransisco Esteves : L’ambiance, ce n’est plus du genre à éditer tous les morceaux sur Pro-tool. C’est direct, du live, quasiment sans rajouts de prises.

C’est étonnant, car quand on écoute le disque, et surtout ce que tu fais à la guitare, on a l’impression qu’il y a justement plusieurs parties de guitares. Tu fais beaucoup de choses en tout cas.

Michel Cloup : Non, non, il n’y a qu’une guitare. Au contraire, c’est vraiment le truc le plus simple qu’on ait jamais fait. Avant, on avait la fâcheuse tendance d’entasser des couches de guitares, de rythmiques samplées, etc… Enfin, c’est aussi ce qui faisait notre son. Hémisphère Gauche, c’est vraiment le summum de ce truc-là. Cette espèce de magma. Quand tu écoutes les chansons, il y a une partie de guitare d’un côté, une de l’autre, un son qui arrive au fond… Après, on y reviendra peut-être, mais là on voulait partir sur quelque chose de plus épuré.

Un morceau comme “Une larme dans un verre d’eau” est assez riche en trouvailles, d’un point de vue sonore.

Il n’y a qu’une seule guitare sur ce morceau. Mais des fois ça ne sert à rien d’en mettre quatre. On s’est aussi rendu compte de cela. Ce n’est pas en les superposant que tu auras forcément un plus gros son. Une guitare avec un bon son, ça va, ça suffit (rires). Si tu veux, c’est l’espace que tu fais pour cette guitare qui la rend grosse. S’il n’y a quasiment rien et que ta guitare arrive très fort, et bien c’est suffisant.

La notion d’espace tient une place importante.

Tout à fait. Mais bon, comme je te disais. C’est quelque chose qu’on assume. Je suis très content d’avoir fait ça. Et sur Hémisphère Gauche, je pense qu’il y a aussi un son particulier. Plus ça va aller, plus je pense qu’on va aller vers cette épuration du son, vers un son plus éthéré. Ne garder que l’essentiel et ne pas empiler des couches inutiles.

Ce qui change aussi avec Nous (en) sommes encore là, c’est qu’il y a moins de défaitisme dans les paroles. Un texte comme “Il y a une lumière”, véhicule un peu d’espoir.

Disons que cette chanson, ce qu’elle dit en substance c’est que même s’il n’y a pas d’espoir, il faut toujours en trouver un, essayer de trouver une étincelle. Baisser les bras, c’est perdre, se gâcher la vie, perdre du temps. Il vaut mieux être dans une autre logique. Au niveau des textes, ce que j’ai toujours bien aimé, ce n’est pas forcément d’être très logique. Comment dire… J’aime bien me contredire en fait dans mes paroles. Je pourrais très bien faire “Il y a toujours une lumière” et puis enchaîner sur “Ils sont devenus fous”, qui est quand même un morceau assez plombé. Je ne me réveille pas le matin avec l’envie de me pendre. Je ne me réveille pas non plus le matin en ayant envie de prendre ma guitare sèche. Il y a des jours avec et des jours sans. J’aime bien le fait d’avoir cette liberté de ton et de pouvoir même éventuellement me contredire. Je ne supporte pas les textes d’artistes qui ne sont que d’un bloc. Qui sont uniquement dans quelque chose de sombre, ou uniquement dans quelque chose de positif. Pour moi, je ne trouve pas ça réaliste.
Même le gars le plus dépressif du monde, à un moment donné il y a un jour où il se lève et vient avec le soleil et ça va un peu mieux. Quitte à me contredire, quitte à avoir des incohérences par moment, à ce que l’auditeur se perde un peu et se dise « mais attends il y a trois minutes il me disait autre chose, qu’est-ce qu’il est en train de me dire là… ». Je préfère cela. C’est très important de garder cette liberté-là. Pour moi, une chanson c’est une humeur. Par exemple, un jour tu arrives chez toi et tu as envie de prendre ta batte de base-ball pour casser les vitres des magasins. C’est bien, il faut écrire une chanson là-dessus (rires). Je pense qu’il y a des gens qui passent aussi par ce genre d’état et qui ont envie d’entendre ça. Mais il n’y pas que ça, donner des coups de batte de base-ball, tu peux exprimer autre chose en faisant de la musique.

Sur scène, comment ressens-tu la réaction du public ?

On est toujours dans un parti pris plus rentre-dedans. Même si l’album est vachement nuancé, avec des choses plus calmes, je pense qu’on reste malgré tout… (ndlr : il mime une explosion). Après vis-à-vis du public, je ne sais, ça dépend des fois. Il n’y a pas de règle. Même notre public est assez différent. On a des gens qui viennent d’horizons musicaux différents. Des fois, il y a plus d’humeur, des fois on ne parle pas, des fois on discute.

C’est intéressant ce rapport de communication avec le public sur scène. Pascal Bouaziz de Mendelson, par exemple, prend du recul entre les morceaux, il plaisante beaucoup, comme pour relativiser, faire retomber un peu cette pression.

Mais il est très marrant de toute façon. Il est très très drôle Pascal. Je l’ai vu sur scène, je trouve ça bien, mais je pense que parfois ça peut surprendre des gens. Mais pourquoi pas, ça ne me pose aucun problème. Après, si c’est systématique, les gens peuvent peut-être s’en lasser aussi. Il faut essayer de leur montrer que tu n’es pas un martien, un extra-terrestre, que tu ne vas pas sortir un fusil pour leur tirer dessus. Bien que… Par moment nous aussi on aime bien jouer sur les deux tableaux. C’est-à-dire d’un côté essayer d’aller vers les gens et de faire un peu d’humour. Et par moments, leur mettre une petite claque, c’est pas mal aussi. Dans l’ensemble, les gens réagissent plutôt bien, il y a toujours un peu d’humour. Même si parfois c’est un peu méchant. Etre sur scène, c’est un peu un jeu.

Pour “Les aspects positifs des jeunes énergies négatives”, qu’est-ce qui t’as inspiré les paroles de ce morceau ?

C’est une formule en fait. C’était un moment où l’on nous parlait du rôle positif de la colonisation. Et puis il y a cette formule qui est arrivée toute seule. Les énergies négatives, si tu veux, c’était un peu un condensé d’hommage au rock – ou tout ce qui s’y apparente avec de l’énergie. En tout cas, pas une eau de toilette, un jean à 200 euros ou des chaussures pointues ! (rires) Non, un vrai esprit rock. Donc ça commence par tout un tas de choses. Comme quand je vais par exemple au supermarché et que j’ai un peu envie de jouer au bowling avec les caddies. Ou alors des fois je rentre et j’ai envie de m’enfuir ou de crier des choses complètement absurdes (rires). Donc c’est un peu un hommage à la jeunesse, mais qui n’est pas forcément une question d’âge. Juste une énergie, ce n’est pas de la philosophie non plus. C’est dédié aux gens qui foutent les amplis à fond, fument des clopes dans leur garage en faisant de la musique. Et les gens qui viennent fumer des clopes avec eux pour les écouter (rires).

C’est quoi qui te met en rogne actuellement ? Ou qui te donne envie d’écrire ?

(Silence) Ça n’a jamais été bien joli joli, mais là c’est vrai que c’est assez pathétique. En fait, ça a commencé en 2002, où c’est parti en vrille. Mais là, on atteint vraiment des sommets. C’est quoi qui me met en rogne ? Moi, c’est à peu près tout. Je devrais peut-être plus en parler, là j’arriverais à faire une liste qui serait assez courte.

Il suffit simplement d’allumer la télé…

Il suffit juste de regarder la télé même sans le son. Déjà rien que les médias… Je ne peux même pas rentrer dans les détails tellement c’est la catastrophe. Après, ce que je trouve le plus inquiétant, ce n’est pas tant au niveau politique, social – on parle des sans-papiers, des réformes sociales – le pire, c’est vraiment les gens, l’immobilisme, ça c’est vraiment terrible.

« Le pire c’est les autres »… C’est une chanson de Mendelson (ndlr : il ne relève pas).

Non, parce que on a notre part de responsabilité là-dedans. Moi, c’est pareil. A part écrire mes chansons, à part faire exciter deux ou trois personnes dans leur chambre, ça ne sert pas à grand chose. Personnellement, je suis dans une position où je commence à me dire, c’est bien joli de faire ta musique, mais à un moment donné il faudrait peut-être passer à autre chose. Pousser le bouchon un peu plus loin. Juste écrire des chansons, faire des disques, c’est bien, mais il y a peut-être d’autres choses à faire plus intéressantes.

Tu envisages de te politiser ? Entrer dans une association militante ?

Et bien il y a plein d’options : travailler a un niveau associatif, rentrer dans une organisation politique, ou dans une organisation terroriste. Des fois, je me pose vraiment des questions (rires). Ce qui a de plus terrible, c’est l’immobilisme. Tu vois, je prends un exemple tout con, cette interdiction de fumer dans les lieux publics, les bars et les boîtes, j’ai l’impression que c’est une manière de soumettre les gens. De leur faire accepter petit à petit de plus en plus de choses, réduire les libertés. Et je me rends compte qu’en fait les gens ne réagissent pas. Je n’ai vu personne réagir à cette loi qui en soit n’est pas… enfin il y a bien pire quoi. Je trouve que c’est assez significatif : on grignote sur la liberté des gens, et surtout on les habitue. C’est inquiétant pour le futur. Je pense qu’il se passe des choses assez inquiétantes. Je ne veux pas rentrer dans les détails car je ne suis pas un homme politique. Je trouve que chaque fois qu’un artiste en parle, qu’il commence à s’énerver sur le sort des sans-papiers, ça me fait pitié. Je sais qu’il y a plein de choses qui me mettent hors de moi. Quand je vois tellement de policiers dans la rue, de discriminations… A priori, ce ne sont pas des choses vraiment originales, mais je ne veux pas non plus rentrer dans une espèce de pamphlet. Parce que ça ne servirait pas à grand-chose de toute manière.

Est-ce que tu as déjà reçu des critiques frontales à l’égard du discours tenu par Expérience ?

On a toujours été assez critiqués. Il y a toujours eu des gens qui nous détestent. Ce qui est bien, c’est qu’en contrepartie il y a des gens qui nous adorent. C’est une balance que je trouve plutôt intéressante que cette mollesse, ce consensus qu’il y a sur plein de groupes. Tout le monde emmagasine, tout le monde trouve ça génial mais sans exprimer d’idées vraiment intéressantes. Nous on a toujours été très appréciés et très détestés. En général, les gens qui nous détestent, ce n’est pas étonnant, c’est même plutôt rassurant pour nous. (rires)

EXPERIENCE 2007. Crédit photo : Béatrice Utrilla


Quel est votre opinion autour de ce qui se passe sur Internet avec les webzines et les blogs musicaux ?

C’est vachement bien. Moi tu vois j’ai connu la musique dans les années 90, par rapport aux moyens de diffusion de l’époque, c’est vachement intéressant. Après, on ne va pas faire pareil en relançant le discours sur Internet en disant « ouah ! c’est génial ». Les aspects positifs d’Internet, c’est une évidence. Le bémol, ce que je trouve un peu dommage, c’est que dans les années 90, il fallait taper à la machine à écrire, coller des trucs, photocopier, découper, envoyer des courriers, téléphoner aux gens, placer des trucs en boutiques… J’ai l’impression qu’il y avait un peu plus de rigueur sur le contenu. Aujourd’hui, il y a tellement de webzines qu’il y a peut-être un peu moins de rigueur sur la globalité. Je veux dire qu’il y a des webzines qui ressortent et à côté de ça tu en as plein qui… des fois j’ai envie de dire, bon c’est bien les gars, mais allez-y, creusez un peu. C’est le seul reproche que je pourrais faire.

C’est le même reproche aussi que je pourrais faire à MySpace, qui est un outil assez intéressant mais en même temps, j’ai l’impression qu’on peut écrire une chanson en trois minutes et monter son MySpace en autant de temps, et puis voilà tu fais partie du réseau. Des fois, c’est pareil quoi. Peut-être avant de monter ton MySpace et essayer de faire grimper ton nombre de visites, essaye d’abord de faire avancer ta musique avant de faire avancer ta page (rires).

Surtout, il en ressort que la longévité des groupes signés sur MySpace, et maintenant en général, a considérablement raccourci. Souvent, un groupe n’est même pas encore signé que le buzz prend. Puis arrivé à la sortie de l’album, il n’y a plus personne.

Oui, et il y a aussi un truc horripilant, c’est ce système de notes et du nombre de visites sur MySpace et sur les sites de musique en général. Le nombre de visites que tu as sur ta page, sur ta chanson, ta vidéo… Le nombre d’étoiles que laissent les gens. Notre album a même été chroniqué sur certains trucs avec rien d’autre que des étoiles. On te donne des notes, comme à l’école. Si j’ai fait de la musique, ce n’est pas pour me retrouver dans une entreprise où tu es noté au mérite. Parfois, c’est vraiment à la gueule du client. Si je fais de la musique, c’est pour que les gens l’écoutent et pour sortir de ce monde du travail et de ce fonctionnement assez inhumain. Cette espèce de libéralisme ambiant se reproduit dans la musique. Enfin, tout cela est biaisé, il y a des gens qui passent leur vie à faire des clics pour être vus, mais personne ne regarde vraiment leur page. C’est un peu bidon tout ça. Sinon, d’être en contact direct avec les gens, c’est assez drôle.

Et le phénomène aussi se répercute avec des sites communautaires comme Facebook : plus tu as d’amis, plus tu es cool, plus tu existes. Tout le monde affiche ses photos de vacances mais plus personne ne se voit.

Alors ça, je trouve que c’est absolument traumatisant. Après, peut-être que je suis vieux, trop vieux. Mais moi, de toute façon, je ne le ferai pas (rires).

Cinq albums favoris d’Experience :

Michel Cloup :

Royal Trux – Cats and dogs

Ultramagnetic MCs – Critical Beatdown

Sonic Youth – Daydream Nation

The Velvet Underground – White Light/ White Heat

Dr Doom – First Come First Served

Fransico Esteves :

My Bloody Valentine – Loveless

Engine Down – Eponyme

NTM – Authentik

Sonic Youth – Daydream Nation

Diabologum – #3

Patrice Cartier :

Smog

TV on The Radio

Neil Young

Bonnie Prince Billy

Melvins

-Site officiel
Myspace

-Lire également la chronique de Nous (en) sommes encore là

– Lire également la chronique de Positive Karaoke With A Gun