Retour majestueux du groupe lyonnais avec un album organique et fantasmagorique. Un rêve éveillé, ni plus, ni moins.


Souvenez-vous. Il y a quelques temps, nous nous épanchions sur Sound Inside, un album sombre et magnifique, alliant l’électronique la plus raffinée à l’acoustique d’une forêt à la tombée de la nuit, après un jour d’orage. Immune avait alors frappé un grand coup, si ce n’est sur le plan commercial du moins musical, tant nous étions peu habitués à une telle musique dans notre beau pays. Nous pensions ces sonorités irréelles uniquement possibles chez Mark Hollis ou Hood et voilà que Gary Soubrier et ses comparses posaient délicatement sur notre paillasson le fruit de leur imagination, un disque proprement insensé. Pour autant, si nous n’avions jamais perdu de vue Immune, nous commencions sérieusement à nous inquiéter. D’abord, les tracas de label les empêchaient d’évoluer sereinement. Pire, un disque solo de Jean-Sébastien Nouveau, le terrifiant et néanmoins envoûtant Recorded Home, nous laissait penser que le groupe partait en déliquescence psychologique. Mais c’était sans compter sur sa capacité à marier les genres, à alterner les plaisirs, et surtout à persévérer dans sa recherche formelle d’une musique à la fois intangible et pourtant tellement intime.

Not Until Morning, deuxième volet d’une aventure que l’on sait maintenant plus que prometteuse, démontre combien les lyonnais sont maîtres dans la transcription musicale d’une anoxie paradoxalement vitale. Musique de l’aube, bande son de l’avant-naissance (du jour, de l’Homme), l’album déroule ses arpèges de guitares sans provoquer le moindre souffle. Chaque note, chaque accord, chaque syllabe chantée prend doucement possession de l’atmosphère et se substitue à l’air ambiant, pas à pas, seconde après seconde.

Dès “Lie Awake”, son entrelacs de voix, son frottement subliminal et sa basse sinueuse, on est happés par une force invisible et irrésistible. Et les quelques percées du saxophone au loin finissent de nous hypnotiser. Captif, on ne ressortira pas de Not Until Morning avant d’avoir entendu tout ce qu’il a à nous dévoiler. Cette entrée en matière magistrale n’est que prémices tant ce qui suit glisse sans effort, pour peu que l’on accepte un voyage dans une dimension encore inconnue des scientifiques.

La grande réussite d’Immune est pourtant basée sur une idée simple : troquer l’électronique pour l’organique. Si les claviers n’ont pas été complètement abandonnés, la part belle est offerte à la six-cordes, la batterie, le piano et surtout la basse qui joue ici un rôle essentiel. Une basse qui ne fléchit pas, qui en impose. Mais qui ne s’impose pas pour autant, préférant offrir un écrin précieux et cotonneux aux mélodies délicates qui enchantent littéralement les huit titres de Not Until Morning. L’écriture a gagné en profondeur, rognant pas à pas la place de l’ambiance. Mélodies ruisselantes sur harmonies vaporeuses. Le fond et la forme. En atteste la grande pièce de ce deuxième effort qu’est “Hello”, avec son orgue martial, sa batterie métronomique, son piano en apnée et son chant absent, un titre qui extirpe Arab Strap du marécage Philophobia pour lui offrir un voyage en pleine lumière – on n’exagère pas en décrétant que “Hello” est une merveille.

L’autre grande avancée du combo est à chercher du côté de la production, majestueuse et évanescente, maîtrisée jusqu’au moindre détail. Avec le recul on peut s’autoriser la confidence : Sound Inside était un peu empêtré dans une production trop lo-fi pour son ambition (pas réellement un choix artistique, assurément). Et derrière un premier abord glacial, par la grâce de cette production, son successeur désinhibe complètement l’auditeur dont le seul rôle à jouer est celui de l’hôte, invité qu’il est à se noyer dans ce méandre de sensations à la fois inconnues et familières. Un bien-être évident dont on ne connaît ni l’origine ni la nature. Ce dont on se moque finalement.

En se donnant des moyens qui l’affranchit des contraintes du post-amateurisme, en tissant patiemment une oeuvre profonde et intelligente, et en mariant la réflexion artistique à l’émotion pure, Immune inscrit durablement ses membres dans la lignée des compositeurs sur lesquels il faudra désormais compter. Not Until Morning est un album qu’il faut prendre la peine de découvrir. Un beau et grand disque.

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