Lapidaire dans sa formulation, le titre du nouvel album de la pianiste Marilyn Crispell ne saurait cacher bien longtemps les beautés architecturées qu’il dissimule modestement. L’Américaine qui fit ses débuts aux côtés d’Anthonny Braxton a développé au fil des vingt-cinq dernières années un langage parmi les plus passionnants du piano contemporain, hérité en grande partie de figures tutélaires comme Cecil Taylor et Paul Bley, mais aussi influencé par l’art sensoriel et les nuanciers sonores de Claude Debussy. L’exercice en solo – son premier enregistré sur ECM – lui permet aujourd’hui de se recueillir autour de son instrument de prédilection, d’allier dans un même élan dynamique économie et sensibilité, sans perdre des doigts la trame d’une modernité toujours à reconstruire. Les trois premiers morceaux situent d’ailleurs d’emblée les enjeux esthétiques du disque : aux tonalités percussives marquées et au temps dilaté de l’abstrait “Vignette I”, succède la clarté mélodique et onduleuse de “Valse triste”, puis le débordement émotionnel de “Cuida Tu Espiritu” (une reprise de Jayna Nelson). Trois approches nullement aux antipodes, si l’on considère qu’elles sont chacune une façon de composer avec le silence, de le mettre en exergue ou de le plier aux aléas de l’improvisation. Épousant ces trois courbes qui se recoupent, se chevauchent et se fondent (notamment sur “Sweden”) le lyrisme de la pianiste affleure comme rarement, notamment sur les sublimes “Ballade”, “Time Past” et “Little Song For My Father” en fin de disque. Les accents subtilement romantiques, voire baroques, du jeu innervent un jazz qui fait en permanence l’économie d’une virtuosité se suffisant à elle-même : au service d’une mélancolie dépourvue de sentimentalisme et d’un raffinement sans afféteries, elle se déplie au contraire avec une majesté proprement éblouissante.

– Le site de Marilyn Crispell
– Le site de ECM