Second album des Texans de Balmorhea qui dévoile qu’il y a des musiques douces comme des chairs d’enfants.


Balmorhea est d’abord un lieu, et plus précisément un parc naturel, sorte d’enclave paisible, aérée, où serpentent rivières et fontaines au coeur même d’un Texas que l’on dit si aride, si brute, si peu accueillant. Oasis, espace en rupture, qui donnera son nom au projet de Michael Muller et Rob Lowe. Ils livrent avec ce second album, River’s Arms, une musique qui s’écoule, et qui s’écoute, avec sérénité et plénitude, comme une mise en creux, une mise à l’écart du bruit et de la fureur de la comédie humaine. Aux bras éponymes de la rivière le disque emprunte la fluidité et les circonvolutions, les soudaines modifications de cadences, les bouleversements de rythme, et alterne sans cesse densités sonores et intensité en convoquant guitares, violoncelle, piano et violons, afin d’exprimer au plus près l’agitation et la limpidité aqueuse, l’écume de surface et les courants des profondeurs.

A cette base instrumentale classique et acoustique se superposent quelques accords de banjo, des notes de guitares électriques et d’éphémères samples de rires d’enfant, de conversations lointaines, de crépitement de feu comme si chaque mouvement était une coupe transversale dans le murmure du monde. Ainsi, chaque composition, minimale, s’apparente à un instantané peuplé et vivant, et l’ensemble de l’oeuvre à une succession régulière de fixations et d’absences, à une musique du temps perdu.

Cette impression d’évanescence retenue s’avère indéniablement redoublée par le syncrétisme cohérent constitutif de River’s Arms. Du romantisme sourd et épuré d’Arvö Part au lacis des arrangements et des résonances de Max Richter, du dynamisme des harmonies de Michael Nyman à la sensualité froide et directe de Peter Broderick, les mélodies de Balmorhea semblent la fragile collusion de genres, d’inspirations et de motifs qui sont les linéaments d’une certaine histoire de la musique classique contemporaine.

Portant le nom d’un lieu (“San Solomon”) ou d’une saison (“Winter”, “Summer”), d’une variation musicale (“Lament”) ou d’un état d’âme, chacune des 14 pistes est animée d’une palpitation propre, d’une prégnance envoûtante et néanmoins fugitive. Tout se passe, en effet, comme si les notes et les accords tenaient lieu de signifiant absolu, épuisaient le sens, et comme si l’hiver et l’été désormais ne pouvaient naître qu’au son de ces harmonies. La musique, comme par magie, fait jaillir les choses et leur ineffable beauté, leur authentique essentialité, les peint et les fixe, nous les faisant sentir, percevoir, éprouver, entendre, en produisant une exquise, fragile et instable évocation toujours imminente. Chaque titre est alors un schème organisant bruits et thèmes (“Context”, “Process”), de façon concentrique, ramenant, resserrant, rassemblant les instruments, permettant leur entre-expression, chacun semblant appeler l’autre afin d’exister, et même de persister.

L’architecture de River’s Arms repose alors sur la démultiplication d’effet de différences : saut de gamme, contraste ou changement d’instruments, par la latence des leitmotivs et la simplicité mélodique, chaque modulation devient un évènement, une nouvelle histoire. Rarement, les accords d’un piano n’ont vu leur amplitude, leur puissance d’évocation dépendre autant des quelques notes lancinantes de guitare électrique (“The Winter”), ou les attaques déliées d’un violoncelle procéder d’un piano qui en serait la matrice (“Baleen Morning”). Plus que jamais chaque instrument requiert et appelle les autres, existe par et pour eux (“Limmat”). Règne ainsi en tous les mouvements une tension organique interne, une communication qui est désir de la suite, et où chaque instrument prend en charge, à sa mesure et en son temps, notre déambulation.

Entre stase et mouvement, chaque titre devient dès lors l’expérience du défilement d’un panorama mental. Véritable explorateur Balmorhea déploie à nos oreilles ébahies une cartographie mélodique que nous explorons autant qu’elle nous pénètre.

– Le site officiel

– Leur Myspace

– Le site de Western Vinyl