C’est avec le cabas plein de victuailles de première fraîcheur que le grand Howe Gelb nous revient. Au menu, des produits indémodables, mitonnés comme les mets les plus rares, et livrés dans vos esgourdes sans intermédiaire, directement du producteur au consommateur. Vous en reprendrez bien un peu ?


Le Giant Sand. C’est dans cet article, « le », que réside toute l’influence de l’émanation la plus connue du sensationnel Howe Gelb. Car finalement, le simple nom de Giant Sand se suffit pourtant largement à lui-même. Mais non, les amateurs disent, non sans ostentation, « le » Giant Sand, comme s’il était évident que le projet du résident le plus cool de Tucson, Arizona, était nécessairement devenu un lieu par tous connu, un repère forcément inévitable et que le moindre pékin trouverait sans difficulté, comme on parle de « la » mairie ou de « la » Poste ou encore de « la » gare, ces points cardinaux indéboulonnables de la moindre bourgade de plus de 1000 habitants (encore que pour les deux derniers services publics, il semblerait que ce ne soit plus qu’une question de temps). Il faut dire que parler de l’alt-country ou du desert-rock des 30 dernières années sans évoquer Giant Sand, c’est un peu comme retracer l’histoire du rugby français depuis les années 80 en faisant l’impasse sur Abelatif Benazzi, ce joueur surcapé, qui n’a jamais beaucoup fait parler de lui et sans qui pourtant les stars n’auraient pas leur palmarès (les Blanco, les Sella, les Mesnel).
Sans revenir sur la longue et passionnante histoire du Giant Sand, rappelons juste que Howe Gelb, lorsqu’il enregistre son premier EP à la fin des années 70, est le fondateur bien involontaire, non pas d’un courant, mais à tout le moins d’une communauté dont les ramifications ne cessent de s’accroître aujourd’hui. Une invasion végétale sournoise fondée sur une certaine idée versatile du folk, de la country et de l’americana, et dont le fruit le plus célèbre s’appelle Calexico. Juste préciserons-nous, pour les néophytes, que si Howe Gelb est le seul membre permanent de Giant Sand, il utilise aujourd’hui son avatar pour ses albums à « invités » et qu’il signe de son propre nom ses productions d’ermite, dont les plus radicales. Sans parler de ses projets parallèles plus ou moins pérennes, comme OP8, auteur de l’unique et magistral Slush en 1997 — avec la paire Burns/Convertino et surtout la divine Lisa Germano –, ou encore The Band Of Blacky Branchette, plus redneck que Tom Joad et auteur de trois albums en 20 ans — dont les deux derniers sont séparés de 19 ans.

Même s’il convient d’aborder l’oeuvre d’un artiste par tous ses visages pour espérer en maîtriser les contours, on ne peut que constater que Giant Sand demeure son projet le plus solide, son plus régulier, et son plus mainstream aussi. Et ce n’est pas Provisions qui cassera cette image. Enregistré entre Tucson, le Canada et le Danemark où il réside la plupart du temps, le nouvel opus du grisonnant bonhomme ne lorgne pourtant que vers son Amérique chérie, celle de la bière sans goût, des crotales, des cactus et du soleil empereur, mais aussi et surtout l’Amérique de Woodie Guthrie, de Johnny Cash et de Bob Dylan. Sans oublier l’ineffable Lee Hazlewood avec qui il partage une voix ténébreuse, enfumée et irrésistible dans sa torpeur, sans parler d’un sérieux penchant pour les duos mixtes. Il y aussi son Amérique honnie, celle de sa violente rupture à la fin des années 80 — dont il semble encore payer un lourd tribut intérieur –, celle des milices, du Ku Klux Klan et des corps calcinés des migrants mexicains en quête du fameux rêve.

Provisions est un disque cramé comptant son lot de cavalcades au long cours, au son de six-cordes titillées juste ce qu’il faut pour soulever la poussière bien au-dessus des épaules du cavalier. Ce solitaire a d’ailleurs souvent envie de partager sa monture, invitant des amazones — Isobel Campbell, Neko Case, Lonna Kelley, la Danoise Henriette Sennenvaldt et même une jeune chanteuse du Territoire Nunavut (ne cherchez pas, c’est au Canada), Lucie Idlout. Côté mercenaires, le plus notable est aussi un de ses fans les plus extrêmes, l’inestimable M. Ward qui vient se tirer une bourre avec le maître sur “Can Do”. Et c’est ainsi que l’on a pu lire ici et là que Provisions serait l’album le plus pop de Giant Sand. Et mon c…, c’est du poulet ? Il y a ici, comme on pouvait s’y attendre, autant de pop que de country dans un disque des Leningrad Cowboys. En revanche, Provisions est probablement son disque le plus accessible.
En effet, les dix premiers titres s’étirent dans un classicisme certes relatif, mais conférant à la musique du géant encore bien vert un aspect intégralement humain. On y retrouve ses ballades pianistiques les plus touchantes — sublime “Spiral” — atténuer la frénésie de pièces autrement plus enlevées, le tout plongé dans un bled paumé au fin fond de l’Arizona. De l’impression d’y passer une journée qui se partage entre amicale partie de chasse, déjeuner bien arrosé, sieste bien méritée, le tout s’achevant lors d’un bal transi sous la lumière réfléchie par la Lune.
Mais ce tableau était trop idyllique pour être vrai. Il faut en effet attendre le onzième titre pour voir l’orage déferler. “Saturated Beyond Repair” vient le déchirer de part en part, un vilain sourire sanglant aux lèvres, nous laissant titubants dans un “World’s End State Park” (c’est beau comme du Gus Van Sant). Même la conclusion de “Well Enough Alone”, une vignette par ailleurs assez banale, vient nous rappeler combien tout ce bonheur tient à un fil. Heureusement, avec des gars comme Howe Gelb, ce fil n’est pas près de se rompre.

– Le site officiel

– La page MySpace du groupe