Balancé entre compositions folk/americana solitaires et tessitures plus rock, Marissa Nadler se réinvente sur ce quatrième album, plus hypnotique que jamais. Essence diabolique.


Le titre, déjà est une porte d’entrée : Little Hells, joli jargon de géologue pour désigner de petites éruptions volcaniques, détournées ici pour dépeindre les dégâts des geysers sentimentaux. Nul alors ne s’étonnera d’apprendre que sur ce divin quatrième album la troublante songwriter de Boston y creuse encore et toujours son spleen. Mais un spleen, entendons-nous bien, qui s’emploie à prospecter d’autres terroirs sonores.

Ce tournant était attendu après avoir achevé une trilogie impeccable, à la beauté dépouillée et spectrale — Ballads Of Living And Dying (2004), The Saga of Mayflower May (2006), Songs III: Bird On The Water (2007). Marissa Nadler, en artisane exigeante et maîtresse de son art, ne pouvait continuer de délayer son écriture sous une seule et même forme d’expression. Sans doute aussi, confessons-le, était-ce le moment de se défaire de cette image diaphane de chanteuse folk ascétique, un brin austère. Quitte à risquer de briser le charme de sa sorcellerie.

En contraste avec son producteur prédécent Greg Weeks — très proche de sa famille acid-folk — elle confie pour Little Hells ses introspections aux soins de Chris Coady, producteur plutôt expert de la chose rock littéraire (Blonde Redhead, Grizzly Bear). Si le son clair rebutera sur quelques titres les puristes — qui se feront rapidement une raison quant à la qualité des nouveaux morceaux — Little Hells est un disque foisonnant, donnant, avec le recul, à entendre une grande leçon de folk désinhibé et d’une grande densité musicale. Eu égard aux trois albums précédents, ce quatrième opus se veut à multiples facettes, plus lumineux et rythmé, bouscule les habitudes et entraîne vers différentes pistes, différents états d’âmes, différentes histoires — elles s’appellent Mary, Rosary, Sylvia, Leila, et toutes ne font qu’une. Marissa Nadler avoue volontiers qu’elles incarnent différentes périodes de sa vie. Ces personnages apportent, outre leurs leurres d’amour, disparitions, désillusions et chagrins non apaisés, de nouvelles couleurs à son univers.

Take her back to the days of colour »)

Instru(mentale)ment, le fumet de la six-cordes sèche, maîtresse triste et incontestée des lieux jusqu’alors, s’estompe en partie. L’américano-russe se débarrasse — en partie — de ses chers oripeaux pour des explorations inédites au contact de musiciens d’orfèvres : le batteur esthétisant Simone Pace de Blonde Redhead (moteur non négligeable de ce renouveau), de même que « Farmer » Dave Scher aux claviers, ex Beachwood Parks qui a travaillé notamment avec Elvis Costello… Né de cette association, Little Hells est hâlé de quelques touches d’orgue, clavecins et Wurlitzer (“Heartpaper Lover”), et nappes atmosphériques dissimulées. La chanson la plus surprenante, “Mary Come Alive”, voit s’aventurer Marissa Nadler dans un vieux cabaret décadent qui n’est pas sans rappeler celui de Blonde Redhead. Transformée en meneuse de revue gothique, elle nous incite à la suivre derrière le rideau. Dans une mise en scène inhabituelle, nous la retrouvons esseulée sur un piano bancal avec “The Hole is Wide”, cernée de choeurs fantomatiques qui entraînent l’auditeur irrémédiablement vers la perte des sens. Sur la piste suivante, elle tente d’échapper à ses démons et se dirige vers la frontière mexicaine des desperados avec un somptueux “River Of Dirt”, (El Camino !) flatté d’une lap steel stratosphérique.

Le sommet du disque, “Ghost & Lovers”, est paradoxalement l’une de ses chansons les plus dépouillées. Quelques arpèges acoustiques graves dévalent une montagne de tourments, avec en point d’orgue cette voix qui ne cesse de répéter « Ghost Lovers, they will haunt you for a while ». De là, une bonne poignée de ballades solitaires déchirantes sont à recenser : “Little Hells” perce l’émotion dans les aigus, se veut moins pesant, et libère même quelques notes imprégnées de sérénité. “Loner” revient à la formule atmosphérique et sans fioriture des premiers albums, pervertie par un orgue étrange dont le son évoque les ondes Martenot. Mais nous ne sommes pas préparés au finale : “Mistress”, une ballade ultime (dans tous les sens du terme) où toujours cette voix hypnotique de haute voltige s’abîme sur une mer de reverb bouleversante… Libérée, elle chante ses adieux à la souffrance (« Goobye Misery »)… Quelle perte immense, hélas, se serait pour nous.

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Myspace

– Lire également la chronique de Songs III : Bird On The Water (2007)