Eternellement juvéniles, les écossais s’acoquinent à un duo japonais également humble, passionné par la pop contemplative. Passerelle entre Glasgow et Tokyo, Two Sunsets est le fruit pimpant de ces amours ludiques en milieu naturel.


Les Pastels sont une espèce musicale rare. Un groupe à éclipses, discrètes et furtives, quasi clandestines. Leurs apparitions plongent dans une douce béatitude quelques milliers d’amoureux transis, tout autour du monde. Des fans pasteliens qui connaissent la puissance d’évocation enivrante d’un groupe pourtant si peu tapageur. Les Pastels jouent depuis 22 ans sur des oeufs ; ils leurs arrivent même de jongler avec. On a souvent dit que Stephen
McRobbie avait la bouille et l’apparence d’un oisillon juste sorti de sa coquille. Toujours en équilibre instable, la bestiole Pastel n’est pourtant jamais tombée du nid. Très tôt elle a appris à voler, mais à sa façon, non académique, un peu de traviole, n’empruntant pas les couloirs aériens attendus, inventant ses propres courbes et arabesques. Un style souple et libre, entre planantes célestes et plongée sous marine ; car les Pastels sont aussi proches du poisson que de l’oiseau, leur musique étant aujourd’hui autant aquatique qu’atmosphérique.

Un premier single en 1982, Songs For Children, comme possible définition dans le titre de l’art pastelien. Puis cinq albums modelés en vingt-deux ans — dont une bande originale de film, The Last Great Wilderness, en 2003 — plus deux compilations (Suck On The Pastels,
couvrant la période 83-85, mais publiées en 1988 et A Truckload Of Trouble 86-93) et de multiples singles et collaborations entre temps. Les Pastels ne produisent pas si peu, mais à un rythme d’escargot. Ce qui leur permet — et à nous également — de voir évoluer (grandir) leur
musique peu à peu, par paliers de décompression. Up For A Bit With The Pastels (1987) et Sittin’ Pretty (1989) furent deux détonations d’adolescence turbulente, candide autant qu’acide, comme des giclées de peinture sur un mur écossais. Mobile Safari (1995) et Illumination (1997) ont ensuite dessiné la maturation des Pastels, une ligne de fuite combinant éclats mélodiques et abstractions cotonneuses. Pour qui veut s’abandonner à ses charmes
singuliers, Illumination demeure une source infinie de volupté onirique. Les Pastels donnent naissance à une musique bienveillante et gracieuse, semblant si fragile, pourtant échafaudée sur des bases solides et complexes, mais totalement fluides. Un art d’équilibre aquoiboniste.

Six ans après The Last Great Wilderness, nouvelle oeuvre pointilliste, mystérieuse et sans parole (si ce n’est le merveilleux “I Picked a Flower”, hit scin/sau tillant interprété par Jarvis Cocker) revoici donc Stephen, Katrina — Aggi ayant apparemment quitté la barque — et tous
leurs amis. Parmi eux, Saya et Ueno, soit les Tenniscoats, duo pop nippon. Two Sunsets est le fruit de l’amitié entre les deux groupes, une collaboration à l’image de l’univers pastelien, décontracté, artisanal, ingénieux, hors modes.
Tout en étirements matinaux, Tokyo Glasgow sonne comme le voluptueux réveil d’une longue hibernation. Le voyage immobile peut commencer. Il sera doux et calme, fondé sur le partage, la patience et l’attention, soit à contre courant de notre époque. Car il faut tendre l’oreille pour saisir les subtilités harmoniques, rythmiques et mélodiques de cette musique.

Les Pastels ont trouvé en les Tenniscoats des frères et soeurs experts dans l’altitude zen et l’amour du détail. Les vignettes Yomigaeru, Modesty Piece et Hikoki font ainsi de délicates pièces d’origami musicales. “Two Sunsets” est une chanson délicatement montée en neige. La voix ravissante de Saya est entourée de flocons de piano et de réverbérations cotonneuses de guitare. La langue japonaise offre son lot de dépaysement charmant. Sur “Song For a Friend” on entend Stephen s’appliquer à chanter comme jamais, comme pour ne pas érafler le filet délicatement posé de Saya. Le morceau se termine telle une balade champêtre. Chanson ping-pong à la suavité élastique, “Vivid Youth” est un classique d’écriture pop céleste et solaire d’ici, comme Yomigaeru ou Sodane peuvent apparaître tels des instantanés de la pop made in pays du soleil levant.
En reprenant “About You”, des faux durs frangins Reid de The Jesus & Mary Chain, Stephen et Katrina adressent une caresse au savoir faire écossais, dont le regard semble souvent tourné entre l’ouest américain (fantasmé, Gerard Love et Norman Blake, du Teenage Fan Club étant également de la partie) et … la lune ! “Mou Mou Rainbow” se déroule lentement, avançant au rythme d’une chenille sous acide. Pour clore la virée, “Start Slowly So We Sound Like A Loch” agit comme une effluve de chloroforme ; bonne nuit les enfants.

Plus que jamais les Pastels sonnent tel le groupe de l’infiniment petit, microcosmos où les fourmis sont dotées d’une étrange coupe de cheveux, de type bol de terre, à l’image de celle, immuable, de Stephen. Et Two Sunsets — album non fondamental d’un groupe génial et adorable — figure finalement un minuscule palais des glaces végétal, dont les parois reflètent une douce luminosité scintillante. « Blossom trees have beautiful dance We were falling petals once » (“Yomigaeru”).

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– Le clip de « Vivid Youth » :