Se pointant à l’opposé de là où on les attendait, ces jeunes péquenauds signent l’un des plus beaux disques d’une année pourtant déjà riche en sensations. Epoustouflant.


Bigre, que le temps file. Déjà un an depuis Limbo, Panto, premier album des britanniques Wild Beasts. Cette année n’avait pourtant rien enlevé au voeu pieu qui nous émettions au moment de porter cet album au pinacle, enfin, en tout cas à l’autel des premiers albums brillants mais casse-gueule. Inutile de préciser que le premier contact avec ce deuxième album si rapidement offert ne laissait rien présager de bon. On voyait d’ici le carnage : le quatuor n’aurait pas pris le temps de digérer le succès du premier jet qu’il capitalisait déjà sur son atout weird, la voix incroyable d’Hayden Thorpe, jouant tout sur les caracolantes escalades dont il est capable. Un album brise-nerfs de castrat moderne s’annonçait. Tout faux !

Two Dancers est peu ou prou à Limbo Pinto ce que The Bends fut à Pablo Honey, le disque qui déjoue tous les pronostics, qui amène ses auteurs ailleurs, et qui impose au public un regard bien différent de la première impression. Wild Beasts semblait un groupe original, aventurier mais un brin frimeur, déjà sur la pente de la décharge publique tant on voyait les ficelles arriver avec cette pop aux quatre vents et cette voix exceptionnelle à plus d’un titre, capable d’attirer les foules comme les meutes. Mais c’était sans compter sur la capacité à se remettre en question et en jeu qui se cache chez Hayden Thorpe, Tom Fleming, Benny Little et Chris Talbot.
Cette fois-ci, les gars de Leeds ont recentré leurs propos, musclé leur jeu et canalisé leur énergie. Soit précisément ce qu’il fallait faire en telle situation. Si Two Dancers apparaît d’abord comme un disque compact et homogène, il se révèle progressivement dense et plutôt complexe. Au moment de sortir l’artillerie lourde à même d’accrocher le passant qui passe, Thorpe et sa troupe mettent le paquet, mais ne débordent pas. Après l’évident single “Hooting & Howling”, ça sera à l’hybride et décomplexée “All the King’s Men” que reviendra la charge de défendre les couleurs de cet album bariolé, et l’on comprend pourquoi tant le chant brille de mille feux, mis en avant par des arrangements spaciaux et elliptiques. La mélodie semble couler comme une cascade de lait, laissant aux harmonies vocales le soin de créer des arabesques infinies autour des guitares irréelles des complices. Ces deux chansons, ainsi que “We Still Got The Taste Dancin’ On Our Tongues”, résument parfaitement les capacités du groupe à allier les enluminures baroques du chant aux lignes épurées et ultra-actuelles d’arrangements livides et paraissant comme hors-champ. L’art du contraste dans toute sa splendeur.

Toutefois, si cette pop passionnément onirique et aguicheuse est séduisante pour le chaland, elle n’est pas grand-chose en regard de moments plus so(m)bres et profonds de ce deuxième album. On pense beaucoup, ici, dans l’esprit, à un disque stupéfiant de finesse chez un autre maître chanteur, Regeneration (2001) de The Divine Comedy, cette perle noire d’une discographie plutôt portée sur le mascara et qui déstabilisa tant de « fans ». Le diptyque qui donne son titre à l’album, “The Fun Powder Lot” en ouverture, “This is our Lot”, “Underbelly” ou “Empty Nest” captent l’ouïe comme une éclipse solaire capterait le regard, brûlant la cornée alors même que la lumière semble agréable et chatoyante. Ces plages plus en retrait, qui ne sautent pas aux oreilles dès le départ, détiennent un pouvoir magnétique qui passe par bien autre chose que les capacités simplement vocales du leader. Il y a d’abord un souci de la composition parfaitement affirmé, avec pour ambition, une fois encore, l’épure, la ligne droite, le son mat. Cette musique résolument visuelle offre mille détails, mille étoiles qui créent cette galaxie qu’une vie ne suffirait pas à couvrir du regard. Wild Beasts, sous la houlette de l’inquiétant Richard Formby, se révèle un groupe souverain dans son espace sonore, soucieux de l’occupation de l’espace, et surtout, contre toute attente, parfaitement sobre dans ses arrangements.
In fine, quand on écoute ce magistral coup de force, on ne peut s’empêcher de penser : « vivement leur Ok Computer »…

– Le site officiel

– En écoute, “The Fun Powder Lot” :