Y aura t-il un jour quelque chose à comprendre à Ariel Pink ? Si on s’en tient à cet entretien, probablement pas…


Ce 8 juin 2010, Ariel Pink donne des interviews à la pelle à toute une presse qui veut voir le phénomène de près, espérant lui tirer enfin un peu les vers du nez.
Mais Ariel n’est là pour personne. Il est bien sûr physiquement présent, mais définitivement aux fraises. Il répondra de loin, un peu à côté de ses sabots qu’il porte ce même jour — faisant fi d’une reconnaissance qui lui tend les bras. Finalement, nous lui avons quand même posé quelques questions, mais pas trop longtemps, car le garçon est d’humeur fébrile. Il a peur et ne sait pas répondre à toute cette attente. Alors qu’avons-nous au final ? Une interview au rabais ? Un peu. Mais un rendez-vous avec Ariel Pink est également une rencontre mémorable, que nous n’aurions manquée pour rien au monde. Alors, malgré l’urgence, le vent dans le micro et les hurlements des sirènes provenant de la caserne des pompiers à proximité, voilà le compte-rendu d’un entretien éclair à des années-lumières d’ici.

Pinkushion : Maintenant que tu as été signé chez 4AD, te sens-tu « comme à la maison » ? Penses-tu avoir trouvé le bon endroit pour toi ?

Ariel Pink : Et bien, je pense comme beaucoup de monde qu’il n’y a pas vraiment de « maison » pour un artiste.

Ressens-tu une quelconque satisfaction à recevoir la reconnaissance que tu estimais méritée ?

Oui j’ai voulu la mériter, même si je pense que je serais également heureux si je ne l’avais pas.
Mais je suis très chanceux !

Est-ce que tu ressens une différence dans ta façon de faire de la musique, maintenant que tu travailles dans de meilleures conditions ?

Je me sens un peu plus… (hésitation) J’ai le sentiment de travailler pour l’argent que je gagne, ce qui est vraiment très peu. Mais c’est assez pour me rendre heureux.

Comment as-tu rencontré et formé ton groupe les Haunted Graffiti ?

Beaucoup d’entre eux sont originaires de Los Angeles, tous les gens du groupe y vivent depuis de nombreuses années. Certains sont des amis de longue date. Moi j’y vis depuis que je suis né. À l’exception de Joe Kennedy (guitare) qui lui est né en Floride (rires) !

D’après toi, est-ce qu’il serait possible de considérer ta musique comme un pur « rejet » de Los Angeles — belle et en même temps effrayante ?

Oui ! Un pur rejet, oui ! C’est comme le fait d’être Américain. Être Californien en Amérique, c’est une vraie merde…

Ariel Pink, Juin 2010

L.A est-elle un bon endroit où vivre ?

Le meilleur ! Le meilleur parce que c’est le seul endroit où les gens sont réellement dingues.

J’ai lu que tu n’aimais pas tellement que l’on qualifie ta musique de « lo-fi ».

J’aime ce style de musique. La manière dont je me la figure à plus à voir avec Sebadoh, ainsi que la musique des années 90. En quelque sorte, ce style de productions est vraiment apparenté à l’indie rock. Quelque chose de très spécifique à Lou Barlow ou bien encore Pavement.

Je trouve que ton dernier album a une approche vraiment rétro futuriste…

Rétro futuriste !

D’où te vient cette fascination pour les sons « rétro», les années 80 ?

Je suis fasciné par le passé.

Tu as une fascination pour le passé. Toujours le passé ?

Oui toujours le passé. Le passé, c’est la seule chose que nous avons ! Pas de futur, mais un passé…

Mais tu es le futur ! Pour moi, c’est ce que tu incarnes.

Oh là et bien merci ! Bon alors je suis le futur et aussi le passé ! (ndlr : Ariel partant dans un début de délire cosmique) Tu sais, le passé c’est tout ce que nous avons. Accrochez-vous à votre passé…

(Le concert débutait alors dans 1 heure et sentant qu’il fallait peut-être en rester là)

Très bien Ariel, merci beaucoup et bon courage pour ce soir !

* En me quittant, Ariel (qui manifestement ne sait jamais rien faire comme tout le monde), me gratifiera cependant d’une déroutante accolade — sorte de free-hug aussi improbable que spontané et finalement tout à fait logique de la part d’un garçon décidément peu commun !

Compte-rendu du concert

La prestation scénique qui suit comporte aussi de multiples facettes. Ariel arrive sur scène avec des couettes et un pull rayé enfilé à l’envers. Ce n’est ni drôle, ni même étonnant, mais un état constant chez lui. Ce qui, avec d’autres, passerait pour de la loufoquerie, voire pour une attitude « arty » de façade, semble être chez Ariel Pink d’une légitimité confondante. Certains rient, d’autres s’étonnent. Mais, c’est entendu, le garçon n’est pas là pour amuser la galerie. Il s’expose crûment et sans artifice à la foule venue le voir.

Pathétique et flamboyant à la fois, le jeune homme trimbale encore avec lui ce soir tous les fantômes avec lesquels il a l’habitude de vivre depuis l’âge de 10 ans. Il éructe, gémit, et crache ses mots tordus, tentant d’évacuer ce trop plein de musique qui remplit sa tête depuis tant d’années. Cette matière pop, malléable comme de la pâte à sel, qu’il triture et démolit à longueur de temps et à laquelle il tente, au final, de redonner un semblant d’apparence.
De cette musique défigurée, épouvantable et si belle en même temps, il fabrique des poèmes défoncés, aux coutures apparentes, et les jette en pâture à la face du monde comme on jetterait une bouteille à la mer, espérant un jour que quelqu’un tombe dessus et les comprenne un peu.
Le titre « For Kate I Wait » est une chanson tragique, un titre à bout de souffle — une histoire de rendez-vous manqué. À la fin de la chanson, Ariel se jette au sol, se roule par terre, pleurniche après cette fille, qui répondra, à jamais, aux abonnées absentes.

Ariel Pink, Juin 2010

Hésitant et mal à l’aise au début du set, il se connecte petit à petit au public qui lui fait bon accueil. Soutenu par son groupe — les impeccables Haunted Graffiti — il prend peu à peu possession des lieux et arrive enfin en pleine lumière à servir un « Gettin’ High in the Morning » ardent, véritable boursouflure cramée, chauffée à blanc.
Si les « tubes » “Round and Round” et “Bright Lit Blue Skies” (une reprise des Rockin’Ramrods), séduisent particulièrement un public néophyte, ce sont ses numéros en équilibre sur un fil qu’on aime le mieux chez Ariel Pink. Assister aux circonvolutions et sorties de piste de “Flying Circles” (tiré de House Arrest) ou le voir s’attaquer à la face nord de son softrock anguleux lors du dangereusement inquiétant “Poultry Head” (Lover Boy) et d’un Strange Fires (The Doldrums) à la brillance ravagée.
L’esprit trouble et le regard fiévreux, Ariel fait le spectacle. Seul et isolé comme toujours, il se bat à mains nues avec un monstre tentaculaire qui pourtant ne parvient jamais à le dévorer. En grand tragédien pop, il est capable de jouer la carte de l’artiste indie fruste, comme un peu plus tard celle de l’outrance glam étincelante, un double-jeu qui prête volontairement le flanc à la moquerie autant qu’à la fascination.
C’est même presque effrayant par moments, car il grille, mine de rien, quelques fusibles en direct live. Une trépanation sans anesthésie, la boite crânienne ouverte au quatre vents et la cervelle exposée à tous. Très près de l’os, cette musique grave, d’une beauté un peu trop aveuglante pour bien en saisir immédiatement les contours, apaise autant qu’elle gifle et cogne, laissant son monde gisant à terre la gueule ouverte.

La plus grande méprise à propos du cas Ariel Pink serait de ne voir en lui qu’un hypster amuseur de public — un bouffon pop et cool. Le Californien, qu’on se le dise, n’est ni fun, ni décalé. Il est simplement d’une vérité bouleversante.
Et si Dan Treacy (Television Personalities), autre grand flingué de la pop à tiroirs, prétendait connaître le lieu de villégiature de Syd Barrett, nous autres pauvres hères, sommes bien obligés d’admettre que nous ne connaissons toujours pas à ce jour l’adresse de résidence d’Ariel Rosenberg.

– Lire également la chronique de Before Today (4AD/Beggars)

– Lire également la chronique de The Doldrums (2005)

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