Tout en demeurant ancré dans l’americana, Kurt Vile fait partie de ces musiciens singuliers qui ouvrent des portes. En constante progression, son quatrième album est aussi le plus abouti.


Il aura fallu seulement deux ans, pour que ce guitariste inconnu de Pennsylvanie, s’impose comme l’une des plus intéressantes personnalités à avoir émergé dans le rock américain contemporain. En trois albums solos – dont la révélation Childish Prodigy (2009) – et quelques EPs bourrés de sons parasites, le jeune Philadelphien a révélé l’incroyable étendue de son monde, une americana qui n’a cessé de s’étendre pour conquérir de vierges paysages laid back. Sa progression musicale est une onde de choc générationnelle où les fréquences du passé et du présent se croisent, symbiose d’ascétisme country/folk, rock rugueux et cafouillages électroniques lo-fi.

Jusqu’ici pas vraiment aussi branché ou alloué par la presse qu’un Deerhunter ou Of Montréal, Kurt Vile est pourtant le songwriter dont l’empreinte est peut-être la plus en phase avec les enjeux de notre temps, où une somme considérable d’informations s’échange et s’emmagasine. Si le rock a traversé de nombreuses générations, toutes se confondent avec Kurt Vile, dans la musique duquel se font entendre aussi bien le rock hanté du Gun Club, les arpèges ancestrales de John Fahey que les hits new wave de Tom Petty… Chez ce bidouilleur de génie, ses collages sonores sont immédiatement identifiables. Une telle habileté à fondre dans un même écrin lo-fi et hi-fi ne s’était pas entendue depuis les deux premiers albums de Sparklehorse.

Avant Childish Prodigy, il fallait effectuer un petit travail spéléologique pour dénicher ses perles au sein d’une dense discographie éparpillée sur CD-Rs (retenons notamment les superbes “Hey Now I’m Movin” , “Freeway”, “Beach on the moon »). Smoke Ring For My Halo va considérablement nous faciliter la tache et s’impose, sans conteste, comme l’album du « prodige puéril» le plus parfaitement maîtrisé à ce jour. Enregistré pour la première fois avec un producteur, le vieux versatile John Agnello (Dylan, Patti Smith mais encore Sonic Youth, The Walkmen…), ainsi que son groupe de scène The Violators, ce deuxième album pour le label Matador (quatrième en comptant ses productions maison) franchit encore un important palier artistique.

On aurait pu craindre que tout ce beau monde ne perturbe l’équilibre fragile du musicien solitaire. Mais la musique du Kid de Philadelphie ressort complètement grandie de ce travail collectif. Comme si sa vision, son approche, très personnelles, étaient suffisamment claires pour ne pas être altérées. Dans l’ensemble, les chansons continuent d’être égrénées par les mêmes inspirations, mais l’attention portée aux détail, sur les contours et les textures synthétiques aussi bien amplifiée qu’étoffée. Smoke Ring For My Halo développe un espace atmosphérique fascinant, un rock halluciné terriblement panoramique, véhicule d’hallucinations vers des spectacles caniculaires et désolés, là où les lignes d’horizon se troublent.
Le chant, entre autres, depuis l’ascétique Square Shells EP (2010), ne se cache plus derrière des effets de flanger où autres voiles inutiles. Étrangement indolente, sa voix invente des mélodies parlées à la force d’évocation stupéfiante. « Society is My Friend », immense cavalcade folk mystique, Vile ne cesse de répéter cette phrase énigmatique qui poursuit l’auditeur « Society is my friend, it makes me lie down in a cold bloodbath.» Un bottlecknek hurlant invoque quant à lui les fantômes de The Las Vegas Story de feu Jeffrey Lee Pierce, autre grand conteur d’une Amérique damnée.

S’enquérir de la technologie offerte en studio est une chose que Kurt Vile sait user avec modération. Nous lui sommes reconnaissants de garder quelques plages intimistes et dépouillées : le charme vénéneux du single “In My Time” , « On Tour » ou encore le magnétique et bouleversant « Runners Up », avec ces cordes de fingerpicking pincées qui élague une sublime tension mélancolique. Avec Smoke Ring For My Halo, la carrière de Kurt Vile est désormais au croisement d’une route cruciale, pétrie d’espoir.

On attend déjà avec impatience le deuxième album des War on Drugs, auquel il apporte sa science hybride sur une poignée de morceaux.

– Page Myspace

KURT VILE – in my baby’s arms :