Entretien avec Glenn Mercer, tête fredonnante de The Feelies, à l’occasion de la sortie récente de leur dernier album « Here Before ».


Il en est toujours ainsi avec The Feelies. Personne ne crie jamais gare à l’approche de l’un de leurs albums – encore moins les intéressés. La discrétion pour toute carte de visite. Il faut pourtant entendre combien ce nouvel album Here Before fait grand bruit, planqué sous l’étoffe de pop soyeuse dans lequel il s’est drapé. Il casse la baraque même. Au fil des années, bon an mal an, les Feelies ont su plus que n’importe qui suivre leur propre petit bonhomme de chemin, maîtrisant comme personne depuis Crazy Rhythms, l’art du tête-à-queue noisy et de la mélopée agile. Avec la venue de ce dernier opus, nous n’en sommes désormais plus à marchander leur côte d’amour auprès de la communauté indie, mais plutôt à enfoncer le clou d’une idée martelée depuis des lustres par bon nombre d’entre nous: The Feelies fait plus que jamais partie de la poignée de groupes pour lesquels nous auront indéfectiblement toujours une estime majeure.

Afin d’éclairer un peu plus notre lanterne, Glenn Mercer est ainsi gentiment venu nous fournir quelques explications par mail sur les secrets de fabrication de Here Before, lui qui excelle dans l’art de ne point trop se dévoiler.

Pinkushion : Comment expliquez-vous la longue pause que vous avez pris durant 20 ans ? J’ai appris que vous ne souhaitiez pas considérer cela comme un split?

Glenn Mercer: Lorsque The Feelies a cessé de jouer en 1991, nous avons tous ressenti à ce moment le besoin de faire un break. Nous n’avons jamais discuté du futur du groupe, ni trouvé de raisons valables qui nous empêcheraient un jour de rejouer ensemble. Et tandis que les années passaient, nous nous sommes essentiellement occupés de nos vies et de nos familles. Si bien qu’il ne nous semble pas que vingt ans se soient écoulés depuis notre dernier enregistrement.

Dans quel état d’esprit étiez-vous lorsque vous avez commencé à composer vos nouveaux titres ?

La première chanson que j’ai écrit pour le nouvel album a été « Nobody Knows » et la phrase « You never know, how it’s gonna go » contenue dans le refrain résume essentiellement comment je me sentais à ce moment-là. Donc, je dirais que c’était une ambiance « d’optimisme prudent ». Je me sentais confiant en pensant que tout allait bien se passer, sans tenir pour autant acquis que tout allait automatiquement bien fonctionné. Je savais que nous aurions besoin de faire beaucoup d’efforts ainsi que de faire preuve d’un travail acharné.

Afin de célébrer votre retour, au lieu de miser sur un côté nostalgique en jouant les mêmes anciennes chansons encore et encore, vous avez préféré faire un nouvel album. Quel genre de risque avez-vous pris?

Nous avons réalisé que la nostalgie serait une partie, peut-être la plus grande, du succès de notre réunion et nous sommes ok avec cela. Cependant, nous ne voulions pas que cela soit la principale ou unique raison de se remettre ensemble. C’est bien de visiter le passé, tant que vous ne voulez pas y vivre. J’étais conscient de l’importance pour nos fans de l’héritage laissé par le groupe et du risque que nous encourions en ajoutant un autre album à notre discographie, mais je savais aussi que la seule façon d’exister comme groupe crédible était d’écrire et d’enregistrer quelque chose de neuf. Nous aimons bien jouer sur scène, mais nous nous sentons aussi très bien lors de la phase d’écriture et l’enregistrement de nouvelles chansons. À la fin, nous avons réalisé que nous étions prêts et que nous avions suffisamment la foi et la confiance en nous nécessaire pour entreprendre ce voyage.

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Ce nouvel album a été fait d’une manière inhabituelle. J’ai lu que les membres du groupe s’envoyaient des idées de chansons entre eux par email et composaient un peu chacun de leur côté. Pouvez-vous décrire ce processus de collaboration et son impact sur Here Before?

Le procédé pour réaliser cet album n’était pas si différent de nos albums précédents, même si c’est plus difficile maintenant, depuis que Bill et Brenda (Ndlr: Bill Million et Brenda Sauter) vivent en dehors du New Jersey. Dans le passé, nous étions réunis plus souvent ensemble et donc nous étions capables de faire des concerts durant les mois qui précédaient les sessions d’enregistrement. Nous n’étions pas capables de faire la même chose cette fois-ci, donc nous avons dû reporter à plus tard le fait de faire des concerts, le temps de nous concentrer sur les répétitions des titres du nouvel album. Lors de l’enregistrement de nos précédent albums nous avions déjà également travaillé chacun de notre côté avec des cassettes de démo. D’une certaine manière, ce sont nos enregistrements démo qui nous ont fourni un modèle, une carte, sur laquelle nous appuyer et qui nous a ainsi guidé tout au long du processus d’enregistrement.

Ne ressentiez-vous pas une certaine pression lorsque vous avez commencé à écrire de nouveaux titres? Ne craigniez-vous pas alors « d’abîmer » un peu le passé.

Je ne me suis pas senti nerveux à cette idée parce que j’avais la foi dans les chansons et que je me suis senti très inspiré lors de leur phase d’écriture.

Comment reliez-vous ce nouvel album à vos précédentes réalisations? Quelle comparaison en faites-vous?

Je pense que ce nouvel album se rapporte aux autres dans le fait que les chansons sont produites de la même manière en démarrant exactement à partir du même endroit avec un rythme et des accords de guitare qui servent de fil conducteur à l’ensemble. Chaque album possède sa propre atmosphère, mais ils sonnent tous comme ceux des Feelies. Notre travail peut être considéré comme un livre où chaque disque est semblable à un nouveau chapitre de celui-ci.

À votre avis, pourquoi votre groupe n’a pas obtenu une plus large audience durant toutes ces années, alors que vous êtes considéré comme une référence pour de nombreux groupes comme Yo La Tengo, Sonic Youth, ou encore REM?

Pour un groupe qui n’a pas été très actif durant ces 20 dernières années, je pense que nous conservons une base de fans assez importante dans le monde entier. Les groupes que vous avez mentionnés ont tous fait beaucoup plus que nous pour leurs propres carrières : en jouant notamment plus de concerts à travers le monde et en sortant davantage d’albums au cours des décennies. Nous n’avons jamais eu d’aspirations à devenir aussi gros. En général, nous préférons d’avantage équilibrer nos vies publiques et privées.

Est-il plus facile d’appartenir à un groupe comme The Feelies aujourd’hui, en 2011, plutôt qu’à vos débuts dans les années 80 ?

Je ne pense pas que cela soit plus facile maintenant que dans les années 80. En fait, à bien des égards, c’est bien plus difficile aujourd’hui que ça ne l’était durant cette décennie. Dans les années 80, il y avait plus d’endroits où jouer et il y avait moins de groupes. La scène indé avait également plus de soutien de la part d’un réseau associé de fanzines, de clubs, de stations de radios universitaires, etc. Cependant, internet permet aujourd’hui un accès et une interaction plus large entre les groupes et leurs fans.

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Lorsque vous jetez un regard en arrière, comment analysez-vous votre carrière ? Êtes-vous fiers d’être reconnus de cette façon même si vous ne courrez pas après la reconnaissance et la gloire?

Je me sens satisfait de notre position dans le paysage de l’industrie musicale. Je suis fier que nos albums aient été bien reçus et aient eu une influence sur d’autres musiciens. Pour ma part, je me réjouis de la cessation de ce « hold-up » de la part de l’industrie musical durant toutes ces années. J’ai tendance à me sentir plus à l’aise en gardant une certaine distance avec le côté « business » de la musique. Je préfère me préoccuper d’avantage de l’aspect « artistique » de son écriture.

En écoutant votre nouvel album ce qui m’a frappé c’est la fraîcheur de votre musique, en comparaison même à celle d’actuels nouveaux groupes. Quel est votre secret? Le rock est-il l’ultime rempart contre l’âge?

Je pense que le « secret » pour conserver une certaine « fraîcheur » est de garder l’équilibre entre nos vies à la fois au sein du groupe et privées. Les nouvelles chansons sont arrivées très rapidement et le temps entre l’écriture et l’enregistrement fut assez court, de sorte que ceci pourrait expliquer également le sentiment de fraîcheur à l’écoute de cet album.

Comment envisagez-vous l’avenir du groupe ?

Nous n’avons pas vraiment discuté de l’avenir du groupe au-delà des prochains mois. Nous préférons nous concentrer sur une étape à la fois. Notre contrat avec le label n’est pas un arrangement à long terme, alors nous nous contentons pour le moment de mettre l’accent sur la promotion de Here Before. Après, nous verrons quelles sont les opportunités qui viennent à notre rencontre.

Qu’est-ce qui vous motive toujours aujourd’hui pour continuer à faire de la musique ?

Le plus grand défi est de durer malgré toutes les difficultés qui pourraient se présenter à nous. Être efficace malgré le temps limité que nous avons pour travailler. Cela peut aussi être un défi de trouver et de maintenir le bon cap pour le groupe tout en ne perdant pas de vue nos priorités. La clé pour être motivé c’est le désir de pouvoir s’exprimer et d’établir une connexion avec d’autres personnes à travers nos chansons.

Retrouvez ici la chronique de « Here Before »

The Feelies – « Should be gone »