Baxter l’Affranchi.


Avec la sortie de son troisième album, Baxter Dury a franchi quelques étapes décisives qu’il ne faut pas manquer de mentionner, au risque de rater cette grande réussite.
Alors que l’état de santé de l’artiste laissait présager peu de choses réjouissantes quant à son avenir artistique, les rumeurs les plus folles alimentaient les discussions des chanceux esprits qui attendaient impatiemment une suite aux deux brillants premiers opus. C’est donc avec le soulagement qu’il mérite qu’est accueilli Happy Soup au titre plus qu’à propos.
Abandonnées, pochettes obscures ou titres improbables ! Baxter Dury affiche sa trogne goguenarde et souriante dans un jaune environnement plus que lumineux !


Vient donc tout naturellement cette première des questions philosophiques de l’œuf ou de la poule : est-ce parce que le chanteur a quitté une écurie indie de tout premier ordre pour une structure plus importante — de Rough Trade à Regal/EMI — qu’un visuel moins sinistre, plus heureux, et commercialement salutaire lui aurait été proposé ? Ou, ayant retrouvé une certaine joie de vivre, ce changement radical s’imposait de lui-même, au-delà d’un simple visuel, un déménagement ou un changement de label ? En tout cas, EMI a déployé les grands moyens radio et télé pour la promotion du disque, décidant de rendre (au) public un artiste par trop confidentiel.
Force est de constater que Baxter Dury a au moins quitté la grisaille anglaise pour enregistrer à Ibiza. Non, sa musique n’a pas basculé du côté bimbo dance pour teufeurs fortunés en mal de fantasmes ; oui, sa musique semble s’être emplie de soleil, s’être éclaircie de manière plus minimaliste que grossière. Exit les cordes de Len Parrot’s Memorial Lift (2002) ou les guitares psychés de Floor Show(2005), bienvenus synthétiseurs et boîtes à rythme. Il est impressionnant de constater que si les arrangements de Happy Soup cherchent une nouvelle voie plus simplifiée, la patte du compositeur reste, elle, inchangée et terriblement efficace.

Baxter Dury laisse trainer sa voix nonchalante, sponsorisée par les marchands de tabac, cet accent cockney qui se fout de la gueule du monde mais jongle habilement entre la plainte haut-perchée et la narration d’outre-tombe, sur des itérations de phrases communes et si simples — « Isabel’s sleeping », « Don’t waste your life Claire » — mais tellement addictives. Soutenues d’une part par une ligne de basse toujours en avant, dessinant la mélodie souterraine, et de l’autre par ces riffs de clavier (parfois bon marché), elles finissent par vous scotcher la chanson au cervelet pour la journée.

De son côté, le morceau éponyme à l’album, “Happy Soup”, enchante par cette succession d’arpèges cinématographiques à faire passer Air pour Rondò Veneziano quand “The Sun” prend un risque dissonant en parfaite phase avec le propos tenu, s’achevant sur un refrain plein de sens.
Il serait injuste de passer sous silence Madelaine Hart, qui assure avec brio toutes les parties vocales féminines de l’album, laissant l’impression parfois d’écouter Black Box Recorder, tant dans la facilité mélodique (cette approche si pop 60’s) que la part belle laissée à cette voix envoûtante.
Il semble en tout cas que Baxter Dury se soit affranchi de son médiatique parrain Adrian Utley, de Portishead, qui ne fait que deux brèves apparitions, alors qu’il était à l’origine même du majestueux premier album.

Malgré son côté fumiste [s’il signe tous les titres de l’album, ceux-ci sont toujours co-signés d’une ou plusieurs autres personnes] et glandeur [cette manière d’expédier “Claire” dans l’émission de Frédéric Taddeï tenait plus de l’exécution sommaire, voire bâclée] et ce sourire narquois so british, Baxter Dury sort l’album de cette rentrée 2011. Une soupe délicieuse où le joli-cœur égrène les prénoms de filles (Isabel, Claire, Katie, Ingrid) en autant de chansons/hits et où l’enfant dans l’ombre chante enfin son père (“Afternoon” et le très dub “Hotel (Guns) in (Of) Brixton” -comme un hommage à Leslie Winer -) qu’il abandonne dans les limbes d’un sombre passé punk quand en trois albums, le fils trouve enfin, affranchi de tant de maux, de lourde hérédité, un nom, un prénom, la lumière.

Baxter Dury – « Claire »