Un emballage en carton renfermant un album à la subtilité rare. Songbox, la boîte à bonheur.


Peter Astor fait partie de ces héros intimes qui ont illuminé notre existence le temps d’une poignée de chansons mémorables. Avec The Loft (1980-1985), The Weather Prophets (1986-1988), puis sous son propre nom (4 albums entre 1990 et 1995), ce londonien lettré s’est tenu à l’écart des modes et courants saisonniers. Astor n’a jamais flirté avec la brit-pop, lorgnant amoureusement outre Atlantique. Un peu à la manière de Lloyd Cole, la prétention et le maniérisme parfois agaçants du boudeur joufflu en moins. Sur l’échelle des grandes gueules, Astor pointe à zéro ; profil bas et ventes en berne. Sa flamboyance, humble et discrète, prend corps dans ses compositions

En 1992, accompagné d’un trio de musiciens nommé The Holy Road, Peter Astor enregistre Paradise, son album le plus séduisant et abouti. Disque publié par le label français Danceteria, et certainement non distribué chez lui en Angleterre. No luck for Peter. Pourtant, tous les morceaux sont excellents, alliant classicisme de fond, douceur et vivacité dans la forme. De la musique pour prendre la route, découvrir que derrière la morne grisaille de nos villes pressurisées se profilent des paysages aérés et accueillants. De bonnes chansons, ni plus ni moins, composées avec méticulosité et fougueusement interprétées, entre instants calmes et emballements. Guitares carillonnantes, ton mélancolique et sobrement exalté, avec constamment cette impression de chaleur solaire d’après la pluie.

La musique étant au cœur de l’existence de Peter Astor – par ailleurs chargé de recherches en musiques populaires à l’université de Westminster – il a continué à explorer d’autres voies, fondant un combo électro (The Wisdom Of Harry, entre 1998 et 2003), puis le groupe instrumental Ellis Island Project (2002-2007).

En 2011, Peter – devenu Pete – sort Songbox. Une boîte en carton, onze chansons, avec autant de cartes postales (plus une avec les crédits de l’album) les illustrant d’un dessin, d’une peinture ou d’une photographie réalisés par onze artistes, les paroles étant imprimées au verso. L’objet est simple et beau, les chansons sont à tomber. De la musique populaire, au sens où elle ne se rattache à aucune catégorisation cloisonnante. Plus trop question d’Amérique ici ; et au passage, on dégotte un anglais européen !
Une armada d’instruments est à l’honneur : outre guitares, pianos et percussions, de la flûte à la clarinette, du mélodica à l’autoharpe, du banjo au kazoo … joués par David Sheppard (déjà membre de Ellis Island Project, et cofondateur du label Second Language, avec Martin Holm et Glen Johnson, de Piano Magic), Keiron Phelan (qui compose également avec David Sheppard le groupe … Phelan- Sheppard !), Jenny Brand (Kluster Ensemble), Angèle David-Guillou (Klima, Piano Magic), tous étant crédités avec Astor pour la composition des morceaux. Songbox, enregistré par Simon Trought (aussi guitariste et chanteur sur l’album) est une œuvre collective, un disque d’unité, et cela s’entend.

On pourrait détailler chaque chanson mise en scène au cours de ces 33 minutes, tenter de traduire en mots leurs multiples subtilités, le fait que chacune coule de source et présente un équilibre parfait en rythme et mélodie, ainsi que la richesse de couleurs qu’elles déploient. Mais non. Juste signaler que “The Ride”, “Slip Away” et “Dunce” embarquent Leonard Cohen au cœur de la Grèce (d’avant ou après la crise, on s’en tape, la musique d’Astor est anti-spéculative). Que “The Perfect Crime” fait grimper l’esprit de Jacques Brel sur un carrousel qui valse. Que “Sleepers” est une berceuse à faire écouter à nos enfants en les cajolant. Que chacun choisira sa préférée parmi ces onze merveilles. Que ce pourrait être “Tree Of Birds”, pour son introduction orientalisante, son refrain envoûté de flûte ascendante, son solo de clarinette basse à la vitesse de l’escargot, ou encore pour son texte d’abandon … «And I lay down there and closed my eyes And dreamed another story to keep my hopes alive». Tout ça est juste une histoire d’abandon et d’élévation.

Au sein du coffret Songbox, sur la douzième carte postale, une photo de Pete Astor. Assis sur une chaise, l’homme en costume se penche pour gratouiller l’échine d’un petit chien blanc et marron. Étiré de tout son long, l’animal y prend plaisir. La perfection est rarement ostentatoire. Pour ceux qui sauront recevoir les caresses de Pete Astor et de sa bande aux doigts fins, ces chansons feront simplement du bien.