Trevor Powers nous replonge dans son rêve fiévreux, entre désespoir et douce euphorie. Fermez les yeux.


Insaisissable, la musique de Youth Lagoon – pour le moins expérimentale- a vocation à nous emmener dans les méandres des sensations adolescentes de son (unique) auteur: Trevor Powers, 23 ans, originaire de San Diego et résidant dans l’Idaho. Le garçon a commencé tôt à bidouiller logiciels et divers instruments, utilisant son art comme un véritable catharsis. Rêves éveillés, ses compositions sont avant tout intimes, sincères, et mis à part quelques références régulièrement citées (tel Cocteau Twins, la plus évidente), se détachent de tout ce qui se fait actuellement, malgré un certain psychédélisme… d’époque.

Paradoxalement déjà mature (pour un artiste qui conte les craintes adolesccentes), son premier album The Year of Hibernation (2011) possédait cette saveur aigre douce, et ces longs moments de calme favorisant les montées euphoriques façon Sigur Ros. Les bases de cette musique introspective étaient posées et Trevor Powers serait un jeune homme à suivre. Wondrous Bughouse (« La merveilleuse maison aux punaises », dans la langue de Jacques Toubon) poursuit le travail entamé, en étant toutefois plus riche, plein, Powers éclairant légèrement sa musique à la faveur de bruitages vaporeux et de voix habitées sans être trop plaintives, les mots résonnant dans nos têtes (« You’ll never die », « I’ve never seen them ») sans jamais que l’on ne sache s’il pleure de joie ou de peine.

Malgré la mise en abîme de l’introduction « Through Mind and Back », « Mute », second titre de l’album, parait ostensiblement plus lumineux, léger, jusqu’à son éclatement euphorique, sur fond de paroles à la fois glauques et innocentes (« As I hear the horses drawing close, over all the corpses we have left, I’ve never seen them, I’ve never seen them »). Tout comme « Pelican Man », dans la même verve de ces chansons qui montent après une longue turpitude, comme si Trevor Powers se débattait pour remonter à la surface.

Véritable album hanté, Wondrous Bughouse est empreint de sonorités vaporeuses et graves (« Raspberry Cane »), de mélodies lancinantes (« Sleep Paralysis »). Le chant ainsi noyé derrière des instruments qui l’étouffe, résonne comme s’il avait été enregistré dans un vieux manoir sur-équipé d’électronique, d’où pourtant s’échappe quelque part une impression d’optimisme (« The Bath »). Pendant ce temps, « Attic Doctor » et « Droppla », avec leurs bruitages bizarroïdes et leurs tempos mécaniques nous plongent dans une ambiance de foire aux monstres qui rajoute à la mélancolie de l’ensemble.

Powers le dis très bien: « Les seules choses qui m’inspirent sont celles qui me choquent ou me hantent (…) quand j’entends des groupes qui sont heureux en permanence, je n’y crois pas. Vous ne pouvez pas être tout le temps heureux ». Et c’est ainsi qu’il a accouché de Wondrous Bughouse, expérience sombre et lumineuse. On vous l’a dit: insaisissable.