La résurrection des Pixies au rayon disquaires n’est pas aussi catastrophique qu’on pouvait le craindre ou que Pitchfork voudrait nous le faire croire. Notre argumentaire à la rescousse du soldat Pixies.


« On a Wave of Mutilation » , ce refrain se lit désormais comme un présage… La semaine dernière, le bourreau de la critique rock, Pitchfork a donné sa sentence en infligeant un humiliant 1/10 au mini album événement de la bande à Black Francis, leurs premières chansons originales parues depuis Trompe le monde en… 1991. La sanction est brutale mais n’étonne guère venant du webzine US, réputé excessif lorsqu’il s’agit de cultiver crânement son jeunisme. Mais qu’ont donc fait les lutins de Boston pour mériter ça ? A l’écoute de ces quatre nouvelles compositions, le cadavre bouge encore. Et même plutôt bien. Ce n’était pourtant pas gagné après le médiocre inédit « Bagboy » qu’on nous a gratifié cet été, rempli de gimmicks de guitares grossissant le trait du mythique Surfer Rosa, avec en sus un clone de Kim Deal aux chÅ“urs plus vrai que nature (qui avait pourtant déjà pris le large).

Que Pitchfork aille au diable avec son 1/10. Tout de même, on parle ici du groupe de rock alternatif le plus pillé des années 90 (merci Radiohead et Nirvana). Celui par qui tout a commencé à la fin des années 80, en tous les cas pour une génération de rockers désormais trentenaires qui chérissaient leur Inrock’ bimestriel. En ces temps-là, la comète Pixies semblait intouchable, avec pas moins de quatre albums parfaits alignées en l’espace quatre ans. Ça laisse songeur, à l’ère de la sortie du quatrième album d’Arcade Fire… Aussi l’engouement autour de la reformation du groupe en 2004 et le succès de la première tournée qui s’en suivit furent mérités – le groupe de son temps n’avait jamais rempli de Zénith en tête d’affiche, au mieux une salle moyenne comme l’Olympia pour leur ultime tournée.
On leur pardonne moins les tournées qui se sont succédés où le groupe se contentait de puiser dans son prestigieux répertoire, seulement motivés à remplir de billets le tiroir-caisse (un seul inédit instrument émergea, ainsi qu’une reprise du songwriter défunt Warren Zevon). Les fans ont bu la coupe jusqu’à la lie. La routine s’installe tellement qu’en 2013, même les plus fidèles pensaient s’attendre à tout sauf un nouvel album des Pixies. La bonne blague… Surtout après le communiqué officiel annonçant que Kim Deal tirait sa révérence fin août. Mais coup de théâtre ! Quelques jours après le départ de la bassiste, la parution de l’inédit « Bagboy », était dévoilé à la face du web.


PIXIES « BAGBOY » [DIR. LAMAR+NIK] from LAMAR+NIK on Vimeo.



Passé donc la déception procurée par le single « Bagboy », les oreilles se sont en premier lieu montrées méfiantes à l’annonce surprise de ce EP1, qui laisse d’ailleurs par son titre clairement augurer d’une suite. Produits par Big Black Francis, les titres ont été enregistrés dans les studios gallois de Rockfield. Outre bien sûr la fine gâchette de la Les Paul Joey Santiago et l’ex magicien aux baguettes David Lovering, deux illustres inconnus viennent compléter le line up : Ding (?!) à la basse et Jeremy Dubs aux choeurs. Soit pas moins de deux recrues pour remplacer Kim Deal, Madame Breeders doit se sentir flattée.

« Andro Queen », entrée en matière rêveuse, recoud la vieille étoffe déchirée depuis « Motorway to Roswell ». Une semi-ballade spatiale constellée d’arpèges cristallins qui s’avère convaincante, voire touchante. Non, les Pixies ne vont pas sauver le rock en 2013. Certains ont déjà franchi la cinquantaine (David Lovering a 51 ans ), et espérer entendre un « Gigantic » ou « Monkey Gone to Heaven » 2.0 est un leurre. Mais le trio vieillit bien, la tête haute. Frank Black Francis ne hurle plus comme un cochon que l’on égorge, son chant verse davantage vers les graves, mais surprend encore dans les aigues. On retrouve ses collections de progressions d’accords tordues qu’il affectionne tant sur le plus relevé « Another Toe In The Ocean ». Aucune faiblesse n’est à recenser dans les mélodies, même si on aurait aimé un peu plus d’audace dans la production. « Indie Cindy », choisi logiquement comme single, est de loin le titre plus ambitieux : La bonne surprise, c’est Joey Santiago, parfait dans son rôle de guitariste surf dissonant… Son art du phrasé simple et vrillé y est mémorable. Enfin, « What Goes Boom », termine sur un riff agressif, limite heavy, pour décoller avec un joli refrain en apesanteur.
Sans vouloir se mesurer au légendaire catalogue 4AD, on peut avancer sans trop se mouiller que nous avons là la plus solide collection de compos écrite par Charles Tompson Jr depuis ces deux premiers albums solo – amateur ou dénigreur de Frank Black, libre à vous d’interpréter ce commentaire comme bon vous semble. Ou plutôt, posons la question autrement. Serait-ce un nouvel EP de Frank Black avec Joey Santiago à la guitare ? Si Trompe le Monde est généralement considéré comme un disque solo de Black Francis, et bien ce EP1 est donc par déduction un disque des Pixies.

S’agi-il de nostalgie ou d’indulgence de notre part ? Dans tous cas, celle-ci ne nous a pas encore incitée à remettre Bossa Nova sur la platine. Ce qui est plutôt bon signe. Tout ce que l’on sait, c’est qu’au milieu de l’avalanche de sorties qui inonde cette rentrée, on se surprend à écouter et réécouter cet EP sans déplaisir. Les Pixies ne figurent certainement plus dans nos priorités musicales en 2013, mais l’oeil bienveillant est toujours là. Si le prochain EP maintient cette qualité d’écriture (on peut-être passera-t-on directement à la case album), les trois de Boston auront relevé le défi de rester digne.

PIXIES « INDIE CINDY » [DIR. LAMAR+NIK] from LAMAR+NIK on Vimeo.