Rencontre avec Mickaël Mottet en tournée avec les Hiddentracks, promesse d’un bel automne.


Vous êtes des éternels insatisfaits ? Vous avez envie de changer le papier peint et le disque toutes les minutes ? Vous cherchez la couleur qui accompagnera votre nouvelle humeur ? Vous n’êtes plus que désir au creux de l’automne pluvieux, sans savoir ce que vous désirez vraiment ? Evidemment ça serait trop facile. Essayons vous voulez un jeu, une volées de rires, quelque chose de plus léger que l’air mais qui ne serait pas rien, ce serait même très finement ciselé, très bien dessiné. Ça percerait les masses épaisses de ce sommeil qui vous tombe dessus. Ça serait plus fort que l’ennui. Vous voulez un monde en mouvement perpétuel et souple, un monde qui soigne et apaise, qui vous prend dans ces bras et vous jette dehors tout à la fois, vous voulez tous. Vous êtes très exigeant, vous voulez la joie même et ce serait la moindre des choses.

Alors vous mettez dans un grand sac et vous secouez bien fort l’esprit collectif des Barbapapa, une contrebasse balaise, une flûte enchantée, un xylophone malin, une chouette clarinette, la batterie capitale et n’oubliez pas le trombone, ha le trombone…… pourquoi mettre moins qu’une douzaine d’instruments n’est-ce pas? Ajoutez la méticulosité aérienne de Yo la Tengo, les berceuses acides ou grasses matinales de Radar Bros, quelques citations d’Alfred Hitchcock, quelques labyrinthes narratifs de Paul Auster, deux trois expérimentations littéraires, un brin d’humour et une voix unique. Mais ce n’est pas fini, fourrez aussi avec les choses anodines de la vie, celles qu’on remarque à peine mais qui valent la peine ; incorporer l’appareil dans les grands regrets et les amours perdus et parce que vous l’avez décidé, mettez-y un tout petit bout du générique de Magnum. Il vous faut vraiment secouer fort, mais vous savez ce que vous voulez. Le ravissement oui, le ravissement et vous avez bien raison.
Puis un jour vous montez dans un arbre, car tout cela se passe dans une grande forêt qui s’appelle la poésie bien entendu et vous rencontrez Angil and the Hiddentracks. Ils habitent dans un nid, un rhizome gigantesque, ils font du jazz, il font du hip-hop, namedroppent, font les dingues, il retapissent votre salon, ils décrochent les bÅ“ufs avec la grosse caisse et invitent des super filles à chanter en plus. Le monde dont vous rêviez existe depuis déjà longtemps enfin ! Comment avez-vous pu vivre sans ? Sans leur premier album Angil was a Cat vif et pulsionnel et Teaser For Matter qui déjà affirmait une langueur bien à eux et Oulipo Saliva ! tout bruissant des folies à venir. Perdez-vous dans les entrelacs mystérieux de The And, onirique, émouvant à souhait né juste avant l’étonnant Now plus libre que jamais. Et puis est arrivé ce bonheur de 4 titres venu sauver l’été de la morosité qui rongeait vos petits nerfs, Angil and the fucking hiddentracks gros son sulfureux et pas sage (on veut bien être heureux, mais pas complètement niais non plus).

Alors après vous êtes délecté de cette série de cadeaux tombés du ciel (et si vous êtes normalement constitué, vous ne vous en lasserez pas avant un moment), vous rêvez qu’ils descendent de leur arbre et les voilà devant vous un samedi soir à Paris, rue Barbanègre *; six musiciens aux bonnes gueules souriantes qui ravissent vos oreilles et vos tripes car sur scène ça marche rudement bien tout ce beau monde. Vous n’en demandez pas plus, c’est bon vous êtes aux anges, mais vous en aurez encore, parce qu’ils sont comme ça les amis, ils descendent dans la fosse et vous envoie une bonne dernière secousse de cuivres en plein dans le cÅ“ur. Et la cerise confite sur la crème suzette, c’est que Saint-Étienne débarque (avec on l’espère, un trombone d’Albi et une contrebasse berlinoise) à l’OPA – Paris le 25 octobre prochain.

En attendant voici quelques propos de Mickael Mottet au sujet de la recherche, de l’art, du cinéma et autres considérations délicieuses. Depuis de longues années ce traducteur de Saint Etienne est aussi le chef d’orchestre minutieux et hyper doué, osons le dire, celui qui réinvente jour après jour le mot « and » entre Angil et les Hiddentracks et de nous offrir si généreusement la formule magique de la joie, nécessairement toujours folle.


hidden4.jpg

*Sur la scène de l’Espace B le 7 septembre dernier avec Dotsy Dot et Old Mountain Station

Pinkushion : D’où vient le nom du groupe ? Angil?

Mickael Mottet : « An-gil » est un mot valise, le début d’angel et la fin de devil. J’avais 14 ans quand j’ai trouvé ce pseudonyme pour écrire mes premières chansons… C’est un peu honteux, je suis à deux doigts de te demander de ne pas le révéler ! J’ai un rapport conflictuel avec ce nom, je le trouve assez laid en fait. C’est un peu mieux avec ‘and the Hiddentracks’ !

Le nom complet du groupe semble évoluer en même temps que votre histoire (Angil était un chat plutôt solitaire, puis c’est vu flanqué de Hiddentracks doués, qui deviennent eux même très récemment les Fucking). Tu m’as confié que la formation telle qu’elle est composée actuellement était satisfaisante à tes yeux et que tu pensais qu’elle n’évoluerait plus guère. Comme si le temps de la recherche des affinités artistiques avait trouvé son terme.

Les évolutions de notre nom suivent en effet les formations, c’est un jeu qui me plaît. J’ai l’impression que les noms sont prégnants, qu’ils ont une influence sur ce qu’ils désignent. Le temps de la recherche des affinités artistiques et humaines a peut-être atteint son terme, oui. L’avenir le dira. En tout cas j’aime cette formation, la manière dont chacun y trouve sa place, sa fréquence. L’un des secrets est le jeu de batterie de Flavien, qui laisse aux autres toute leur place. Il me semble que c’est assez crucial.

La construction de votre Å“uvre pourrait être comparée à une spirale aspirante, une machine à fabriquer un ordre avec le grand désordre : rencontres, déboires amoureux, passé, présent, détails de la vie quotidienne, pensées incongrues et grands sentiments, littérature et cinéma. J’imagine que tu prends des notes à longueur de journée?

Je prends des notes tout le temps, oui. Au moins mentales. Ce n’est pas seulement un processus intellectuel, je suis aussi constamment en train de taper des rythmes avec mes dents, mes doigts, mes pieds. C’est une autre manière de s’imprégner, je suppose.

Tu as réalisé une thèse sur deux films d’Hitchcock et utilisé les entretiens avec Truffaut dans tes textes, quels sont ces deux films ? Quel rapport entretiens-tu avec le cinéma ?

Le mémoire sur Hitchcock était sur deux films qu’il a fait juste avant la guerre, Correspondant 17 et Agent secret. Je cherchais à montrer (parfois en allant chercher des trucs un peu tirés par les cheveux) qu’à sa manière, il attirait l’attention du public sur ce qui se tramait en Allemagne. Ca a surtout été l’occasion de lire Hitchcock/Truffaut, Deleuze, Christian Metz… Mon rapport au cinéma n’est pas souvent mature. Je suis censé avoir le regard de quelqu’un qui a lu les théoriciens du cinéma, mais la jubilation ou la fascination prend vite le dessus. Je sors souvent d’une salle exalté, en ayant l’impression d’avoir compris des trucs.

Comme Marguerite Duras évoquant Nevers depuis Hiroshima, vous opérez des glissements géographiques, vous évoquez par exemple la Norvège depuis Saint Étienne. Cette synesthésie semble assez caractéristique de votre manière de faire.

C’est une belle définition de l’écriture, la synesthésie. Je parle de souvenirs de voyages pour les invoquer, ne pas oublier, notamment les sensations désagréables : pauvre à Oslo, dépassé par l’absurdité de la colonisation à Beyrouth, etc. La lutte contre mon propre oubli, c’est un peu un leit motiv.

Parfois vous créez des tunnels spacio-temporels, faites des liens entre des thèmes musicaux ou des bouts de textes entre les morceaux voire entre albums comme dans un labyrinthe de Escher dans lequel on a plaisir à rester coincer. D’où cette jolie manie vous vient-elle?

L’auto-référence, le labyrinthe, c’est l’influence de Paul Auster. Je sais que Flavien lit aussi beaucoup de Villa Matas, dans le style. Et il y en a d’autres, assez exemplaires dans la création qui constitue un petit monde s’auto-citant : Marc-Antoine Mathieu, Arnaud Michniak, Yoni Wolf

As-tu lu Roland Barthes? Il dit dans Le degré zéro de l’écriture que le style est vertical, et que le langage est horizontal. Ca me fait penser aux paroles de « Do » (sur l’album Now)… une chanson qui dit que les Å“uvres se tiennent debout et regardent le spectateur (considération pour le moins mystérieuse, j’aurais aimé que tu m’éclaires).

J’ai parcouru Barthes, oui, études de langue obligent. Certains passages du Degré zéro de l’écriture me parlent vraiment, d’autres pas du tout, par moments j’ai l’impression de lire un manuel de mécanique super sophistiqué, de ne pas avoir les clés. C’est justement cette impression que j’ai aussi occasionnellement devant l’art moderne et dont je parle dans « Do ». Je l’ai écrite en repensant à deux expos que j’avais vues à St Etienne. La première était sur le Mouvement zéro. On voyait un artiste (peut-être Beuys ?) peindre une toile monumentale, posée au sol. Elle était ensuite érigée pour être mise à la verticale, ce que j’ai presque trouvé dommage, ou en tout cas péremptoire. L’autre expo présentait des tableaux peints sur de la toile transparente. C’était la première fois que je voyais des oeuvres qui avaient l’air tournées à la fois vers le spectateur et le mur. C’était frappant, mais je ne me souviens plus de l’artiste…

Vous entretenez un rapport particulier aux femmes artistes, émancipées ou qui tentent de l’être. Avez-vous enfin pu lire The Golden Notebook?

The Golden Notebook, je m’y suis replongé et j’ai beaucoup aimé la scène d’ouverture, mais la malédiction se poursuit : je me suis interrompu le temps de lire Fight Club ; quelle ironie, après Doris Lessing ! Mais j’ai adoré.

Marx Ersnt dit « pas de règles » concernant la création. « Lipograms » (dans l’album The And) est une très belle chanson déconcertante qui propose un jeu avec les mots et les voyelles, jeu dont les règles secrètes semblent appartenir à un système mis au point au cours d’un rêve. Traduite, elle est très étrange, comme une bataille que l’on mènerait avec les voyelles.

C’est vrai que « Lipograms » est une lutte, un texte laborieux fait de petites boucles. Comme « Go fight your War » de Jerri, comme « Overkill Bill » dans Angil was a Cat. Ce sont toutes des chansons de guerre. C’est le genre de texte que je ne pourrais plus écrire, je me nourris moins du fait de tourner autour du pot, maintenant. J’écris plus directement sur ce qu’il y a à l’intérieur.

Peux-tu juste me rappeller l’histoire de la vieille guitare ? Celle que tu avais évoquée à la boutique des ballades sonores au mois d’Août… J’ai pas suivi…

La guitare, c’était la Danelectro sur laquelle j’ai composé mes premières chansons à St Etienne. Le concert aux Balades sonores était le dernier avec cette guitare, je l’ai revendue parce que j’étais fauché.

Tes 5 albums préférés du moment ?

The Beatles, Love
Broadcast, The Ha Ha Sound
Tyler the Creator, Goblin
Winter Family, Red Medicine
Secret Cities, Strange Hearts

BR>

Angil and the Hiddentracks le 7 septembre à l'Espace B


Crédits photos : Céline Riotte



NOUVEAU MAXI ANGIL AND THE FUCKING HIDDENTRACKS (numérique et maxi 25 cm) dispo chez Microcultures

En écoute sur Soundcloud : Angil and the fucking Hiddentracks – « I Need an Enemy » :

CONCERTS :

PARIS OpA 25 octobre 2013 avec Michael Wookey
SAINT-ETIENNE Ursa Minor 31 octobre 2013, avec Michael Wookey et Laetitia Sadier
TOULOUSE 1er novembre 2013, avec Michael Wookey, Old Mountain Station et Laetitia Sadier
BORDEAUX Bootleg 2 novembre 2013, avec Sol Hess et Laetitia Sadier
BORDEAUX Concert en appartement (infos à venir) avec Laetitia Sadier
ALBI Retour du Jeudi – Université Champollion, 14 novembre 2013