Dans la Vallée de Rodolphe Burger y a du soleil, de la pétasse Alsacienne et surtout de la très bonne musique. Compte-rendu du cru 2013.


Vendredi soir, traversée du col. Le foehn (1) rend l’air doux. Le coin fait penser à Twin Peaks avec ses gros troncs d’arbres qui jonchent les routes et ses scieries au métal rouillé. Prendre lentement les virages sous un soleil ardent, penser que ce temps est étrange pour un 18 octobre. Et ce sont les rues de Sainte-Marie-aux-Mines interminables avec leurs maisons à l’architecture minimale. Ralentir pour observer un homme corpulent assis sur un banc; à ses côtés posées, deux citrouilles; prépare sans doute Halloween. Dans une pharmacie un homme doux vient chercher deux boîtes de Subutex. Entendre l’accent des habitants, le reconnaître et le trouver beau parce qu’on a écouté souvent le morceau C’est dans la vallée. Sur un tout petit marché, un vendeur de légumes est heureux, il parle allemand aux clients.

2013 est une belle année pour découvrir la vallée et son festival : parce que le climat est surnaturel mais aussi parce que les deux années précédentes, il n’y a pas eu de fête suite à décision saugrenue d’un élu.

La première soirée commence par un concert dessiné par Charles Berberian sur la musique live de monsieur Black Yaya (Herman Dune) et c’est fort sympathique. Il y a une centaine de personnes et c’est bien comme ça. On respire, pas de logo d’aucune téléphonie mobile, pas de banderoles pour aucune marque de chewing-gum, pas d’affiches fluo, juste un petit bracelet pour les détenteurs du Pass 3 jours. Des vrais verres en verre pour boire le Pinot dans une jolie galerie d’art.

La fête continue au Théâtre, première partie décoiffante avec les Hell’s Kitchen, un blues musclé joué par un Monney B joyeux et deux acolytes classes. Deuxième partie beaucoup plus calme avec Psychopharmaka, tout en allemand. « Ich lieb dich nicht du liebst mich nicht » c’est pas facile à chanter mais très amusant. Quand Rodolphe apparaît sur scène on s’exclame « ah le voilà l’animal ». Car c’est un animal. Quand il lève le bras quelque chose s’envole de lourd et de très léger à la fois, c’est étonnant. Le grand échalas est entouré de personnes de valeur (Anna Aaron, Stephen Eicher, Olivier Cadiot) et l’ensemble berce une assemblée attentive et affectueuse.

After : Il faut choisir (et c’est déchirant) entre Moriarty dans une petite église ou le Couscous Clan chez Medhi avec Rodolphe Burger, Rachid Taha et Izia dans un tout petit espace où on s’entasse, on s’agite, où on est heureux. On va se coucher tard sous un ciel étoilé dans une nature calme et belle.

Samedi tôt le matin, on peut croiser Jacky Berroyer qui prend le thé (jamais de café) dans le restaurant vide de la grande auberge perdue dans la montagne. Décidément on ne peut plus prendre son petit déjeuner en paix…

Après-midi du samedi : rechercher (longtemps) la médiathèque pour aller voir la projection du film Nous enfants du Rock (2). Demander son chemin à une habitante de Sainte-Marie, elle a vingt-trois ans max. Elle ne sait vraisemblablement pas ce qu’est une médiathèque. « je m’occupe pas trop des trucs là moi… ça doit pas être dans la ville… j’s’ais pas… ». Elle a raison, la médiathèque du Val d’Argent se trouve à Sainte-Croix-aux-Mines dans un petit château entouré d’un parc charmant. La salle est petite, l’écran n’est pas grand, vingt-cinq personnes tout au plus sont toutes émues d’entendre les Garçons Bouchers, Pigalle, les Béruriers noirs qui crânent dans les derniers cafés ouverts tardivement à Montmartre. Mais à la fin des années 80 ils commençaient à entendre les voisins se plaindre du bruit et des groupes alternatifs. Les tout jeune chanteurs cassent donc leur voix en hurlant. Ils sont la jeunesse perdue, ébouriffée, intelligente, cultivée que nous aimerions redevenir.
C’est quelque chose de se faire briser le cÅ“ur par Daniel Darc ressuscité dans son plus bel âge, magnétique, à la médiathèque du val d’argent un samedi après-midi, au fin fond de l’Alsace dans une toute petite salle. Jackie Berroyer est arrivé très en retard à la projection mais de toute façon, il les connait déjà tous les jeunes là. Il commande un thé avant la conférence qui suit. Le ciel est clair, l’air est encore si chaud.

Samedi soir au bal rock, c’est électrisant. La jauge du théâtre n’est pas tout à fait pleine mais il y a de réels moments d’allégresse et des montées de températures somme toute très honnêtes pour un public majoritairement âgés de plus de 45 ans. Jeanne Added que les parisiens ont eu la chance d’écouter quinze jours avant à la Java avec un ravissement sans borne a généreusement chanté une dizaine de titres d’affilée d’une voix puissante et rare. On la retrouve ensuite pour des reprises canons. Elle a permis à l’assemblée ravie, de re-danser sur un « Marcia Baila » nickel comme dans le bon vieux temps, envoie « 99 luftballons » dans les airs les doigts dans le nez et pulvérise tranquillement nos âmes avec « Give me a reason to love you ». Beth Gibbons ne lui en voudrait pas deux secondes… Rodolphe Burger quant à lui donne envie d’hurler « yee hee » une fois encore sur « Billie Jean ». Comme il y a bien longtemps, le coeur se resserre sur une reprise impeccable de Nirvana par Izia.
Les invités se succèdent et sont souvent de très bonnes surprises; Valli qui décidément fait c’qui lui plait, plait plait et Zazie de Paris (dans une autre vie elle s’appellait le beau Serge). Apparition savoureuse de Philippe Poirier ex Kat Onoma qui dit-on pourrait se reformer ?… Sont convoqués dans le désordre les fantômes de Lou Reed, Prince, Ray Charles, Pati Smith, Kinks, Clash… tout le monde est là. Ca se balance donc, ça se trémousse, ça sourit aux anges. Izia n’a jamais envie de s’arrêter, elle crie qu’elle aime regarder les filles qui marchent sur la plage, elle remue tout, elle fait rejouer tout le plateau son morceau préféré (« Billie Jean »). Elle est vraiment extra cette Izia, c’est la copine qu’on doit inviter à toutes les fêtes pour être sûr que l’ambiance explose.

Pause au bar nécessaire pour se remettre à l’endroit. Les bretzels sont moelleux on boit le Pinot Gris pour dire qu’on en a bu en Alsace, mais ça n’est jamais bon le Pinot Gris. Sinon au bar, il y a des Pétasses d’Alsace (3) qui traînent et qui draguent. Eh oui.

Retour sur le Dance Floor, on peut observer Yvan, brocanteur à Mulhouse inviter à danser une fille venue de la capitale : un slow (vingt ans qu’elle attendait qu’on l’invite à nouveau dans une boum). Le Yvan il était au collège avec le Fred Poulet. Le Fred Poulet c’est le type qui présente le bal mais c’est aussi un très bon artiste qui a réalisé un magnifique film sur un musicien de Jazz (4) programmé la veille dans une salle du Théatre. Une expérience très libre, un portrait qui ne parle pas vraiment du musicien en question, mais qui en parle quand même. Tourné tout de traviole en super huit, avec une attention portée aux lieux, à la mer, aux bateaux qui meurent. Une poésie bruyante qui fait du bien.

Dimanche matin, le vent chaud laisse la place à une forte pluie (c’est scientifique, se référer à l’explication de ce phénomène en note (1). L’averse tape la montagne et les nuages sont beaux; ils nous entourent de leur frais frisson dépressif. Dans la pièce à côté de la chambre, la patronne de l’auberge écoute France Trois Alsace. A l’intérieur d’une délicieuse grasse matinée campagnarde, sous la couette, à travers de la cloison on peut entendre la voix de Rodolphe Burger racontant son bonheur de chanter l’été indien de Joe Dassin dans son pays alsacien. Vrai que ce moment, nous ne pourrons pas le répéter de nombreuses fois dans une existence.

Dimanche midi partir avant la fin, louper le thé dansant et l’excellent Bertrand Belin déjà entendu quatre fois à Paris de toute façon. On part plus tôt parce que les copains de Nancy nous attendent et doivent nous raconter ce soir autour d’un apéro comment s’est passé le NJP (5) (même si on s’en fout un peu après tout).

Crédits photo : Céline Riotte



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