Durant trois ans, Angel Olsen est restée un secret bien gardé, protégée par un petit cercle de fans. On redoutait un peu ce moment où l’ouragan médiatique risquerait de briser le charme originel.


Mais avec la sortie de son second album Burn Your Fire For no Witness, son talent débordant est trop grand pour ne plus être dissimulé. Il se doit d’exploser au grand jour. Prions pour qu’elle garde la tête froide, car déjà la presse s’est entichée de son joli minois. Son premier EP, Strange Cacti, paru en 2011, puis l’album Half Way Home en 2012 (tous deux sortis sur le label Bathetic Records), l’avaient révélée chantre d’une folk désolée, rêche et fantomatique. Comme tant d’autres folksingers ? Oui, mais il suffit d’entendre sa voix pour être bouleversé par cette petite nièce alternative du vieux sage Leonard Cohen et sÅ“ur colère de la rockeuse Kristin Hersh. Une voix viscéralement habitée, qui impose d’emblée une présence écrasante. Ce frisson, nous ne l’avions pas ressenti depuis You are Free de Cat Power.

Avant de débuter sa carrière en solo, la jeune femme de 25 ans originaire de Chicago a fait ses armes en tant que choriste pour le parrain de l’alt/country Bonnie « Prince » Billy, et comme membre du groupe The Cairo Gang. Son nouvel album, Burn Your Fire With no Witness, produit par John Congleton, (Bill Callahan, St. Vincent, Anna Calvi), la dévoile sous un nouveau jour électrique, accompagnée pour la première fois d’un groupe. Une collection mémorable de complaintes rock emportées (« Forgiven/Forgotten ») et de folk songs crépusculaires (« White Fire »). Tout au long de ce disque magnifique, la dualité de sa voix, entre puissance et vulnérabilité, subjugue de maîtrise et d’intensité. Ses profonds lamentos ne sont pas prêts de déserter notre vie.

Décembre 2013, Paris. Loin des clichés du songwriter torturé et inaccessible, Angel Olsen est un petit bout de femme (par sa taille) à l’esprit affable et curieux. Son court séjour dans la capitale où naquit la Nouvelle Vague ne la laisse visiblement pas indifférente. Elle nous surprend en évoquant sa passion pour les films d’Agnès Varda, dont généralement 99% de ses compatriotes ignorent tout. Elle s’enthousiasme lorsqu’on connait une chanson obscure du groupe power pop The Nerves, et décide qu’elle la chantera peut-être le soir-même pour un concert intimiste filmé. Ce ne sera finalement pas le cas, faute de temps.

Pinkushion : Quand est-ce que le label Secretly Canadian est rentré en contact avec vous ?

Angel Olsen : Le label m’avait déjà approchée quand le premier EP est sorti. Puis, il m’a encore sollicitée au moment où j’enregistrais Half Way Home, mais j’ai préféré continuer à travailler avec Bathetic Records, qui avait sorti mon premier EP. Mais après ces deux disques, j’ai pris du recul. J’étais enfin prête à aller de l’avant, passer à autre chose. Nous avons repris contact en décembre 2012, et avons décidé de poursuivre ensemble, en collaboration avec Jagjaguwar (autre branche de Secretly Canadian) et Bathetic Records.

Sur vos deux premiers EPs vous chantiez une folk squelettique et hantée.

J’ai enregistré les chansons de mon premier EP seule chez moi, dans ma cuisine, avec ma guitare acoustique. Le son était de qualité très Lo-Fi. Pour le deuxième, enregistré avec Emmett Kelly (guitariste de The Cairo Gang), nous avons revisité le style du premier EP, toujours avec un minimum d’instruments, mais en alternant acoustiques et électriques cette fois. Et puis pour Burn Your Fire with no Witness, une nouvelle étape a encore été franchie. Je joue avec un groupe. L’album est toutefois clairsemé de quelques compositions en solitaire dans l’esprit de ce que j’ai pu faire avant.

Vous avez choisi d’enregistrer ce premier album avec John Congleton, qui est un producteur fétiche du label Secretly Canadian, connu pour son travail avec Jens Lekman, Black Mountain, Antony and the Johnsons… Connaissiez-vous son travail auparavant ?

Oui, enfin… Je ne connaissais pas son nom, mais j’ai réalisé que j’écoutais beaucoup d’artistes qu’il a produits. Quand j’ai vu la liste des albums sur lequel il figure, j’étais très impressionnée. Il semblait être capable d’être à l’aise avec différents sons et artistes. Nous avons parlé au téléphone, et j’ai essayé de lui expliquer ma vision. Il m’a rassurée en me disant qu’il ferait le maximum pour être respectueux. Il m’a proposé de travailler ensemble sur le son qu’on voulait obtenir. C’est quelqu’un de très réfléchi et ouvert aux suggestions.

C’était votre première expérience en studio ?

Pour ma musique. J’avais enregistré Half Way Home dans une cave avec Emmett Kelly, qui faisait office en quelque sorte de producteur. On expérimentait beaucoup. Il a joué de plusieurs d’instruments sur mes compositions. C’était une première pour lui aussi de travailler sur les chansons de quelqu’un de cette manière. Tout était très simple, car nous n’étions que deux. Auparavant, j’avais eu une petite expérience professionnelle avec Bonnie « Prince » Billy, dans les studios Electrical Audio de Steve Albini (Nirvana, Pixies) à Chicago. J’en garde un excelleny souvenir. J’ai d’abord envisagé d’enregistrer mon album dans ce studio avec John Congleton. Mais nous avons finalement choisi Echo Mountain à Asheville, en Caroline du Nord. C’est une chapelle transformée en studio. On s’y sent très à l’aise, comme à la maison. C’est un aspect important pour créer un son naturel. Nous avons beaucoup enregistré dans des conditions live, et j’ai seulement ajouté quelques parties vocales.

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Quelle fut le premier choc musical qui vous a incité à écrire des chansons ?

Peut-être dans mon enfance les chansons de Lauryn Hill et Mariah Carey (rires). Je me souviens m’être intéressée à la musique très tôt. Probablement en écoutant des musiques de films à la télévision. Je ne me rappelle pas exactement de mon premier souvenir musical mais déjà très jeune, je m’entraînais à chanter tout en m’amusant à m’enregistrer sur un magnétophone. Je voulais mémoriser la façon dont les choses sonnaient. C’était très simple, et je m’amusais beaucoup.

Et votre première inspiration en termes de songwriting ?

A l’âge de 16 ans, je me souviens être en train de lire Dostoievsky, et avoir entendu Leonard Cohen pour la première fois. Je n’aimais pas sa voix au départ, mais j’adorais ses paroles. Par la suite, je me suis penchée davantage sur ses chansons, et ai réalisé que ce n’était pas seulement le son de sa voix qui le rendait si spécial, mais la confiance qu’il mettait dans chaque mot. Je trouvais sa démarche tellement intéressante que je me suis dit, « je veux écrire des chansons habitées par une telle assurance, je veux faire en sorte d’écrire des chansons auxquelles je crois ». Même si l’histoire que je chante n’est plus forcément appropriée au moment présent, il faut qu’elle reflète une période de ma vie, quelque chose resté en moi, une expérience vécue ou dont j’ai été témoin : cela m’apporte une confiance dans le récit et dans ma façon de chanter. Pour cela, Leonard Cohen demeure encore une grande influence, pas forcément sur le style de ma musique, mais sur la manière de l’envisager.

Sur le très beau « White Fire », vous chantez de la même manière que lui, très lentement et distinctement.

Pour cette chanson en particulier, qui est très personnelle, je me suis dit que je n’avais pas à la chanter, mais à la parler.

Sur le premier single tiré de l’album, « Forgiven/Forgetten », l’énergie rock tranche avec ce que vous avez pu faire auparavant. Par certains aspects, l’énergie et la ferveur portée dans la voix me rappelle celle de Kristin Hersh des Throwing Muses.

Je ne connais pas ce groupe, mais j’aime beaucoup les artistes du label 4AD. La première fois que j’ai travaillé avec « Bonnie Prince » Billy, c’était en tant que choriste dans son groupe de reprises. On reprenait des chansons de l’album du duo germanique Kevin Coyne et Dagmar Krause, Babble – Songs for Lonely Lovers. Je chantais les parties de Dagmar Krause, dont la voix est à l’origine très basse, très théâtrale et punk. Je n’avais pas l’habitude de chanter de cette manière, et ce fut presque une révélation. J’ai découvert que je pouvais utiliser ma voix différemment, la moduler, chanter plus fort. Sur « Forgiven/Forgetten », j’ai essayé d’expérimenter de cette manière. C’est approprié pour certaines chansons, mais pas pour toutes.

C’était aussi ma première impression à l’écoute de l’album, vous semblez changer de voix à chaque morceau.

Parfois, je lis des critiques qui disent que ma musique est trop sporadique. Certaines de mes chansons peuvent sembler assez monotones et rester dans la même tonalité. Et puis il y en a d’autres plus emportées, très dynamiques. Cela reflète mes goûts, j’aime différents artistes comme Françoise Hardy ou des chanteurs portugais qui ont ce côté théâtral. J’aime les concerts imprévisibles, ainsi que les disques live. Mais quand les choses sont calculées, il est parfois plus facile de faire communiquer la musique. Par exemple pour les Beatles, leurs chansons sont très structurées, ça rentre facilement dans votre tête et vous adorez ou pas. C’est quelque chose que j’aime beaucoup, mais j’apprécie aussi l’approche atmosphérique que peut procurer la musique de chanteuses comme Meredith Monk. J’aime garde l’esprit ouvert, ne pas me cantonner à un seul style par défaut.

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Le fait d’enregistrer désormais avec un groupe a-t-il affecté votre songwriting ?

Je suis toujours celle qui écrit les paroles et les structures des chansons et les musiciens apportent leurs idées d’arrangements sur ce qui est déjà écrit. Parfois, je leur laisse champs libre pour enjoliver une partie instrumentale qui me semble un peu trop longue, mais il y a toujours un squelette à la base et je garde le contrôle sur la manière dont les morceaux sont structurés.

Est-ce difficile de garder cette approche minimaliste et brute en studio ? N’êtes-vous pas tentée de rajouter plusieurs couches de guitares ou d’autres arrangements ?

J’aime jouer avec un groupe, mais aussi me produire en solo, et je pense que je le ferai toujours. Il y a des moments où une chanson impose d’être jouée en groupe, et d’autres fois, seulement interprétée avec ma guitare. On aime alterner.

« Dance Slow Decades » est superbe. C’est un morceau un peu à part sur l’album, coupé en deux parties distinctes.

Tout à fait. C’est une chanson « réfléchissante » en quelque sorte. Dans la première partie de la chanson, vous vous attendez à ce qu’elle continue ainsi jusqu’à la fin, mais ce n’est pas le cas. C’est l’histoire d’une personne qui pensait que plein de choses allaient lui arriver dans sa vie, mais elles ne se sont pas passées ainsi. La chanson laisse au début paraître un côté négatif, mais la perspective change dans la deuxième partie, on se rend compte que la personne ne parle peut-être pas forcément à elle-même, mais à quelqu’un d’autre, un confident chaleureux. C’est typiquement le genre de chansons pour lesquelles j’essaie de faire un travail intéressant sur ma voix et d’imaginer un dialogue.

Vous parliez tout à l’heure de Françoise Hardy. Y a-t-il d’autres artistes français qui vous inspirent ?

Dalida ? (ndlr : elle voit ma mine déconfite et rit). C’est tellement typique pour un musicien américain de citer Serge Gainsbourg et Françoise Hardy. J’aime aussi France Gall… Au cinéma, les films d’Agnès Varda et Eric Rohmer m’ont marquée. Peter Walkins n’est pas français, je me trompe ? En fait aujourd’hui, j’espérais aller un peu me balader pour voir le café du Dôme où a été tourné le film Cléo de 5 à 7. Hélas, je n’aurai pas le temps… Chez les actrices, Charlotte Gainsbourg m’impressionne, elle semble si confiante et naturelle, accessible. Elle transmet ses émotions si intelligemment.

Pour finir, vos cinq albums favoris ?

Mmm… laissez-moi consulter mon iPhone pour être sûre.

David BowieThe Rise & Fall of Ziggy Stardust
The CleanAnthology
Aphrodites Child666
Kenneth HigneyAttic Demonstration
The NervesOne Way Ticket (« Many Roads To Follow »)


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Angel Olsen, Burn Your Fire with no Witness (Jagjaguwar/Pias).