Seconde échappée en solo du batteur de Bon Iver. Un ticket en première classe pour une excursion folk dans des paysages majestueux.


Rétrospectivement, les batteurs tentés par une carrière solo n’ont pas laissés de traces mémorables dans les encyclopédies de l’histoire du rock, et encore moins dans la folk. A l’exception de Robert Wyatt et Levon Helm du Band, peu d’exemples nous viennent à l’esprit (disqualifié d’office, l’idole d’RTL2 Phil Collins et ses hymnes FM soporifiques, à tel point que tout le monde a oublié son pourtant excellent tout premier album solo). Ces cas sont d’autant plus rares qu’il faut soutenir l’exception S. Carey. Ce musicien originaire d’Eau Claire, Wisconsin, est un fidèle de Justin Vernon aka Bon Iver, qu’il accompagne sur scène depuis le raz-de-marée For Emma, Forever Ago. C’est aussi à ses heures perdues – et il en a en ce moment, Bon Iver étant en hiatus indéterminé – un folksinger solitaire épris d’excursions naturalistes.

On a ainsi pu mesurer le chemin parcouru depuis son discret premier album, All We Grow (2010) puis le pas de géant franchi avec l’aventureuse expédition ambient-folk du Hoyas EP (2012). Sur ce mini-album, le batteur se muait en multi-instrumentiste ultra méticuleux, articulant une poésie pastorale parasitée par des éléments électroniques minimalistes, doux comme de légers flocons de neige se posant sur une guitare sèche. S. Carey y faisait preuve d’une patience exceptionnelle lorsqu’il s’agit de mettre en Å“uvre de somptueux panoramas sonore : il s’échappe de cette voix feutrée et de ces évasions atmosphériques une beauté sereine et pure qui appelle immanquablement aux grands espaces. Et justement sur Range of Light, S. Carey s’est cette fois mis en tête de rendre hommage à la majestueuse Sierra Nevada, cet immense chaîne montagneuse et poumon vert coincé entre la Californie et l’Arizona. Un lieu intimement lié à ses souvenirs d’enfance et ses récentes virées de pêche, qui n’ont certainement rien à envier aux personnages de Jim Harrison.

Un projet géographique d’envergure donc, qui l’a encore une fois obligé à se surpasser. Sous son aspect folk contemplatif, Range of Light fourmille de subtiles détails qui ne se révèlent qu’étapes par étapes, lentement et précieusement. Dans l’ensemble les cut-up électro chéris sur le Hoyas EP se font plus discrets (exception faire du très pointu « Fleeting Light »), le folker orfèvre privilégiant un retour aux instruments « nobles », autrement dit « organiques ». L’Américain n’a pas son pareil pour maintenir au piano quelques superbes mélodies en suspensions – le magnifique single « Alpenglow », ou encore ce « Neverending Fountain » caressant le merveilleux entouré de violons et de harpes. L’ami Justin Vernon n’est pas loin non plus et assure quelques cÅ“urs sur plusieurs compositions, l’album ayant été enregistré dans son studio (l’impressionnante ouverture « Glass/Film » et ses chÅ“urs ecclésiastiques, marque de sa signature, et cela s’entend aussi sur « Crown the Pines » et ses beaux violons tourmentés). Nous n’avons pas fini d’escalader ce sommet au-dessus des nuages et singulier accès de lumière. La balade sauvage de S. Carey mérite définitivement le détour.