Les larges et somptueux panoramas cosmiques d’un guitariste folk aventurier, issu de la garde rapprochée de Kurt Vile.


En plus d’être un songwriter talentueux, le philadelphien Kurt Vile sait très bien s’entourer. On connaissait déjà son vieil ami et ancien guitariste Adam Granduciel, le cerveau obsédé derrière The War on Drugs dont le troisième album, sorti au printemps dernier, figurera certainement en bonne place dans les référendums musicaux de fin d’année. Moins exposé pour le moment (mais la donne devrait changer rapidement), voici maintenant le tour du guitariste brooklinois Steve Gunn. L’auteur de Wakin on a Pretty Daze ne manque pas d’éloges à l’égard de ce prodige de la six-cordes, qu’il a par le passé embarqué en tournée au sein de son propre groupe The Vibrators. Loin d’être un nouveau venu, Steve Gunn a déjà une discographie bien remplie à la pointe de l’Americana défricheuse : depuis 2007, il a gravé divers projets instrumentaux, souvent épris de folk appalachien contemplatif et de drones sauvages. En 2010, encore parfait inconnu, on a pourtant pu l’entendre rendre hommage au défunt et vénéré guitariste Jack Rose, au côté notamment de Six Organs of Admittance pour la compilation Honest Strings.

Mais c’est avec l’album Time Off paru en 2013 sur le label Paradise of Bachelors, que Steve Gunn commence à se faire un nom en dehors du milieu de l’avant-garde où ses talents de songwriter – et incidemment son chant – prennent le pas sur l’expérimentation. Autour d’une configuration trio (guitare/basse/batterie) et de structures tout autant ouvertes à la mélodie qu’aux respirations contemplatives, Steve Gunn y révèle sa voix grave, lente et mystique, qui n’est pas sans rappeler les incantations du Lizard Jim Morrisson, ou d’un autre légendaire vaudou rock, Jeffrey Lee Pierce du Gun Club.

Son nouvel opus, Way out Weather, poursuit dans cette nouvelle direction tout en élargissant le spectre sonore du format trio, grâce à l’intervention de nouveaux musiciens : le fantastique James Elkington à la lap steel, la harpiste Mary Lattimore, le claviériste Jimmy Seitang (Psychic IIIs) et enfin les joueurs de banjo primitifs du No-Neck Blues Band. Way out Weather n’est pas un disque de guitariste solitaire, plutôt celui d’un collectif, dont le seul dessein est de mener à bien le voyage entrepris par Steve Gunn. On l’a bien compris, l’étendard musical se trouve ici bien plus large que celui du simple registre de la folk. Ce qui frappe tout d’abord à l’écoute des huit compositions présentés, c’est le brassage inspiré des styles : folk, raga, country, jazz, blues et space rock se mêlent dans une dense cosmique contemplative et fascinante. Sur l’hypnotique final de l’album, « Tommy’s Congo », cette équipée sauvage s’empare même du groove ouest africain, pour une cérémonie tribale proprement captivante.

On pense souvent à l’écriture débridée d’un Michael Chapman et les incantations cosmiques de Ben Chasny, voire même le slowcore sophistiqué d’Idaho pour la densité sonore. Sur le formidable morceau qui donne son titre à l’album, une superbe progression d’arpèges ouvre la marche, les musiciens s’y greffent pour donner de l’ampleur à ce thème elliptique, l’élever vers des sommets de quiétude et de grâce. Belle leçon de crescendo. Que ce soit sur des morceaux structurés – « Wildwood », autour de sa belle partie de picking, ou encore « Milly’s garden » et son côté Exile on Main Street – ou plus propices aux expéditions improvisées (la belle quiétude d' »Atmosphere », « Tommy’s Congo »), il faut chaque fois saluer la grande harmonie d’ensemble qui ressort de cet admirable tour de force collectif. Et déjà souhaiter à Steve Gunn la bienvenue dans la cour des grands.