Le leader tourmenté des Red House Painters et Sun Kil Moon cède au traditionnel disque de fêtes de fin d’année. La tuerie de Noël.


Le leader culte des Red House Painters traverse depuis quelques années une phase incroyablement productive, publiant en moyenne un nouvel album tous les six mois, que ce soit en solo, avec son groupe Sun Kil Moon ou à travers différentes collaborations ( Desertshore, Jimmy Lavelle). Mais tout comme l’actualité de son compatriote Will Oldham, on a un peu honte de l’avouer, il y a de quoi perdre parfois un peu le fil de cette discographie pléthorique. La frénésie de ses sorties ont peut-être un peu fini par diminuer notre attention à l’égard de ce songwriter et guitariste d’exception, cela en dépit pourtant d’une qualité d’inspiration constante. Tant pis pour nous… Nous avions par exemple négligé à sa sortie la copieuse BO du documentaire On Tour paru en 2012, qui, après une récente réévaluation, regorge de trésors indispensables. A moins que ce ne soit nos réserves à l’égard de Benji, son dernier opus en date sous l’entité Sun Kil Moon : un disque encore une fois fleuve où, certes, il signait quelques un de ses textes les plus sincères, mais dont l’approche narrative brut, finissait sur la longueur par desservir ses chansons.

Et voilà qu’à l’approche des fêtes de fin d’année, Mark Kozelek s’essaie maintenant au disque de chants de Noël. Il y a de quoi se poser des questions sur les intentions de ce maître de la mélancolie, à se frotter à un genre musical censé réchauffer les cÅ“urs et les chaumières. Surtout lorsqu’on connait l’humour cinglant du personnage – les War on Drugs en ont récemment fait les frais par chanson interposée. Lui-même avoue d’ailleurs, dans la première piste du disque, ne rien comprendre à l’esprit de Noël. Pousser le vice à inciter ses fans à acheter un disque de Noël, voilà une idée tordue qui devait lui plaire. Une chose est certaine, parmi les innombrables albums guimauves de la sorte inondant les bacs en cette période, celui de Mark Kozelek sort radicalement du lot.

Sings Christmas Carols est un disque exclusivement composé de reprises de chants religieux et de standards universellement connus, à l’instar de « Silent Night » (« Douce Nuit ») ou encore « O Christmas Tree » (« Mon beau sapin »). Blague à part, il ne manque à l’appel que « Jingle Bels ». De mémoire récente, seul Sufjan Stevens s’était sorti avec les honneurs de ce piège délicat, mais il s’agissait d’un disque de compositions originales. Pourtant, nos doutes disparaissent rapidement. Dès « Christmas Time Is Here » et « Do You Hear What I Hear », délivrés dans des versions nues voix/guitare sèche, le piège se referme à nouveau sur nous. Cette capacité à vampiriser n’importe quelle composition, aussi ambigüe soit-elle entre ses mains, Mark kozelek nous avait déjà fait le coup il y a dix ans en arrière avec ses disques de reprises d’AC/DC et de Modest Mouse.

Même en chantant le bottin, le Californien pourrait nous soutirer des larmes. L’expression a souvent été écrite à son sujet, et c’est plus que jamais le cas sur cet opus où son art a atteint un tel contrôle, une telle aisance concentrée entre son jeu d’arpèges virtuose et l’absolue maîtrise de sa voix, toute en retenue. Ce serait presque trop facile pour ce surdoué du vague à l’âme lorsqu’il transcende par ses lamentos arpégés les traditionnels « Silent Night » et « O Christmas Tree ». Ou que ce soit sur « 2000 Miles », vieux tube des Pretenders en une touchante relecture baroque à la guitare espagnol. Moins ordinaire dans son registre, on note deux titres chantés quasi a capella, « O Come All Ye Faithful » et « God Rest Ye Merry Gentlemen » (cette dernière chantée inhabituellement haut !) revisités dans des versions troublantes, saisissantes de beauté. Autre surprise, le finale « The Christmas Song », exclusivement interprété au piano, où on sent le chanteur très appliqué, presque en « enfant de choeur », façon de parler.

Mark Kozelek peut donc sourire, il vient de nous faire magistralement retomber dans le panneau. Quand on se surprend à fredonner ses mélodies tellement familières, reprises des décennies jusqu’à l’usure, c’est que le bougre a réussi son pari. Et en même temps, il ne nous échappe pas que cet exercice de style est une blague sinistre. Cette année, le père Noël est une ordure, oui mais son disque est une bénédiction.