Qualifié par le Guardian de meilleur groupe de rock du monde sur scène, ce quatuor psychédélique australien est peut-être aussi le plus excitant du moment sur disque.


Il se passe des choses excitante aux antipodes, on y produit actuellement les fines formations pop à guitares. Et plus particulièrement à Brisbane et Melbourne, Australie, ces villes balnéaires semi-endormies artistiquement depuis plus de 20 ans, connaissent une nouvelle effervescence artistique. On vous parlait cet hiver des Twerps, du côté de Melbourne, nouveaux embassadeurs de la twee pop, sans oublier le superbe second album de Courtney Barnett. Cette émulsion collective est-elle dû au retour aux affaires des figures locales Robert Forster (ex Go-Betweens et Peter Milton Walsh (The Apartments) ? Sans oublier non loin de là le magnifique nouvel album des vétérans kiwis The Chills sur le label Fire (qui rafle décidément la mise pour cette rentrée).

C’est au tour maintenant des frères et sÅ“urs Spencer (Daniel, Luke et Sarah) et leur ami Luke Walsh du groupe Blan Realm de lancer la riposte du côté de Brisbane, et de manière éclatante avec Illegal in Heaven. A l’instar des Twerps, ce groupe n’est pourtant pas ce qu’on pourrait appeler des novices, et compte déjà à son actif cinq albums autoproduits, et autant d’années d’existence. Le fait est que ces formations ont sorti cette année leur meilleur album. Et cela suffit pour déclencher notre radar auditif.

Blank Realm, quatuor lo-fi jusqu’ici indompté et porté sur des déliriums arty/ psychédéliques, a enfin canalisé son énergie. Grassed Inn, leur précédent opus paru l’année dernière concédait pour la première fois un peu d’espace aux mélodies accrocheuses, notamment sur l’irrésistible « Reach You By the Phone ». Avec Illegals in Heaven, le quatuor noisy-psychédélique vient de franchir un cap décisif. Leurs harmonies sauvages ont acquis un semblant de discipline sans pour autant céder du terrain à leur folle envie d’odyssées space rock. Ces deux facettes du groupe s’imbriquent merveilleusement sur les neuf titres composant Illegals in Heaven. Le secret de cette réussite repose certainement sur leur association en studio avec l’artiste sonore Lawrence English, figure de la musique électronique expérimentale de Melbourne. Outre les field recordings et quelques éléments électroniques rapportés dans sa besace, Lawrence English leur a façonné une touche atmosphérique singulière (la dream pop incandescente de « Gold »), tout en gardant une approche du son organique, trépidante voire imprévisible autour du groupe. Au fond, ce qui devrait caractériser l’essence même de tout bon disque de rock.

Avec une aisance rare, Blank Realm excelle aussi bien dans les tempos emballés – les poussées d’adrenaline No Views, « Palace of Love » et « Costume Drama » avec sa ligne de basse supersonique font clairement la nique aux Strokes et Thee Oh Sees – que dans les climax cosmiques – le flottant « Flowers in my Mind », et son éruption finale totalement jouissive. La guitare noyée dans le flanger de Luke Walsh sème des gimmick géniaux de simplicité qui savent rendre une chanson vibrante (l’imparable « River of Longing » et ses arpèges entêtants). On décèle même dans ses riffs interstellaires quelques fameuses influences locales, tels The Church et les Saints (deux formations où officie d’ailleurs le même guitariste, le légendaire Marty Wilson Piper et sa Rickenbaker magique, qu’il faudra un jour décoré de la légion d’honneur pour ses services rendues au rock cosmique). L’empreinte est flagrante sur l’ultime « Too late Now », seconde sonde cosmique australienne lancées en direction de la voie lactée depuis Starfish.

Enfin, signalons que le titre de l’album, Illegals in Heaven fait référence à la crise internationale des migrants et montre que nos rockers Australiens ont aussi un grand coeur et se sentent aussi concernés par cette tragédie, malgré la politique fermée de leur pays. Un argument de plus pour les écouter passionnément.