Pour marquer la sortie de leur quatrième album, voluptueux et impertinent; les deux musiciennes, à la veille d’une impressionnante tournée française, se sont prêtées avec grâce au jeu d’un questionnaire court et intime.


Corpo Inferno, nouvel album de Mansfield Tya, campe une lumineuse liberté qui peut maintenant rendre définitive un verdict déjà bien énoncé par maints critiques : les deux nantaises sont impeccables de talent et d’effronterie et séduisent à nouveau. Narguant notre attente de retrouver la linéarité et les sombres profondeurs vécues au travers de NYX leur avant-dernier disque, elles proposent au contraire ici un éventail de chansons disparates: ballades déchirantes sur « la fin des temps», langueurs bruitistes réjouissantes développées dans « Fréquences », évasions dans une poésie crue et sensuelle (« Le monde du silence ») quand « Palais noir » lui ressuscite les rythmes d’une techno berlinoise métronomique. Corpo Inferno est un laboratoire donc mais aussi la suite d’une exploration des liens entre littérature et expériences sonores (« Les contemplations » ou « Sodome et Gomorrhe »). Les deux artistes peuvent aussi ouvrir des possibilités oulipiennes au cours d’une lecture du « dictionnaire Larousse » très personnelle ou dans l’épistolaire amour décalé avec un mystérieux « Gilbert de Clerc ». Plus loin, Shannon Wright et sa voix au timbre magique est invitée pour un minimal et beau « Loup Noir ». Les instruments et les embardées classiques de Carla Pallone sont mariés toujours très habilement aux insolentes bidouilles technologiques et vocales de Julia Lanoë qui va se planquer en Allemagne dans le touchant « Jamais jamais » alors que violon et chant lugubre fusionnent dans le morceau final « la nuit tombe ». Une très riche livraison donc, pour nos humeurs dansantes ou notre goût pour les rêveries acides. La tournée généreuse qui s’annonce réjouira les fans de France et de Navarre, nombreux à les aimer et ce de plus en plus dirait-on (c’est déjà complet à Paris et à Lyon).



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Vous souvenez-vous du moment où vous vous êtes jetées à l’eau ? (Vous vous êtes dit, allez je me lance, on verra bien).

Carla : Je me souviens du torrent de Piode. Un endroit magnifique dans les Alpes Italiennes où j’ai passé la plupart de mes étés d’enfance. Une eau limpide – mais glacée -, une piscine naturelle juste après la cascade dans les montagnes, des rochers doux et accueillants…Je dois avoir 5 ou 6 ans, je me jette à l’eau : je fais ma première crise d’asthme! Quelques années passent, je commence le violon.

Julia : Oui, j’ai dis à une fille que j’étais amoureuse d’elle et elle m’a répondu « pas moi ». Maintenant je me méfie.

Qu’est-ce que vous recherchez dans la musique ?

Carla : De l’émotion. Des émotions. Il peut y avoir une vraie satisfaction à être dans le son, la musique. Sensorielle ou intellectuelle. Une temporalité différente aussi.

Julia: J’aime bien que ça me fasse pleurer ou danser ou casser des trucs.

Quand êtes-vous les plus heureuses ?

Carla : Hier, en rentrant de France Inter, j’ai adoré me faire conduire dans Paris la nuit : les lumières, les quais, la Seine, une douce rêverie les yeux ouverts.

Julia : Sous ma douche.

Est-ce que la mer vous aide à créer et comment ?

Carla : Notre studio « Sylvestre et Maucotel » est au bord de la mer. L’année dernière, pendant que nous composions Corpo Inferno, nous avons nagé jusqu’au 2 novembre. Quand nous revenions de la plage, nos oreilles étaient comme neuves, disponibles pour un nouveau morceau.

Julia : « Il faut nager dans l’océan tous les jours » c’est écrit au dessus du studio.

Comment vivez-vous cette veille de tournée ? Avez-vous encore du temps pour ne rien faire ?

Carla : Il y a beaucoup de dates. Nous en sommes évidemment ravies. Mais nous aimons aussi préserver notre temps, un temps calme, pour que rien ne devienne jamais systématique.

Julia : Les vieilles de tournée, ce n’est pas ce que je préfère. Je fais des cauchemars. J’ai rêvé que j’étranglais 2 petits chats et que je faisais un tour des Etats-Unis à moto cette nuit.

Avec qui fantasmez-vous de travailler sans oser le demander ?

Carla : Hildur Gudnadottir, une violoncelliste islandaise (Mum, The Knife, Ben Frost…). Je pense que c’est mal barré : nous l’avions invité à notre carte blanche à Bordeaux (merci l’Iboat) mais elle n’a pas pu venir et semble assez inaccessible. Ou en baroque : Amandine Beyer!

Julia : J’ose demander.

Qu’est-ce qui vous fait rêver ?

Julia : Les huitres.

Quel est votre plus beau souvenir de musique ?

Clara : Dans le désordre : jouer la chaconne de Bach, jouer nos morceaux « La fin des temps » et « La nuit tombe » devant la tempête à la fenêtre (réarrangés pour le prochain live), notre dernière tournée en acoustique, éclairées à la bougie, où nous rejouions « June » au milieu du public…

Julia : J’ai un max de beaux souvenirs. Tant mieux.

Lisez-vous beaucoup et quoi ?

Carla : Je lis en ce moment Antigone de Henri Bauchau

Julia : Je lis La recherche du temps perdu de Proust. Et parfois je m’endors dessus. Normal.

Quelle est votre dernière rencontre avec la beauté ?

Carla : Les Justes de Jorge Luis Borges – que mon père m’a fait découvrir :
« Un homme qui cultive son jardin, comme le voulait Voltaire.
Celui qui est reconnaissant que sur la terre il y ait de la musique.
Celui qui découvre avec plaisir une étymologie.
Deux employés qui dans un café du Sud jouent un silencieux jeu d’échecs.
Le céramiste qui prémédite une couleur et une forme.
Un typographe qui compose bien cette page, qui peut-être ne lui plaît pas.
Une femme et un homme qui lisent les tercets finaux d’un certain chant.
Celui qui caresse un animal endormi.
Celui qui justifie ou veut justifier un mal qu’on lui a fait.
Celui qui est reconnaissant que sur terre il y ait un Stevenson.
Celui qui préfère que les autres aient raison.
Ces personnes, qui s’ignorent, sont en train de sauver le monde.
»

Julia : Un DJ set de Dustin Muchuvitz

Qu’est ce qui vous inspire en ce moment ?

Julia : Des logiciels.

Qu’aimeriez-vous vous dire à ceux qui vous aiment ?

Carla : Qu’ils ont raison de nous aimer ! Et que nous leur rendons bien!

Julia : Aimez-moi plus.

Et à ceux qui n’osent pas se lancer ?

Carla : Je ne sais pas. Je suis mal placée, parfois je n’ose pas me lancer non plus.

Julia : Taisez-vous moins.


Crédit photos : Erwan Fichou & Théo Mercier.

Corpo Inferno est édité par Vicious Circle

Tracklisting :

01. Bleu Lagon
02. BB
03. Gilbert de Clerc
04. Jamais jamais
05. Sodome & Gomorrhe
06. Les Contemplations
07. La fin des temps
08. Der Tod und das Mädchen
09. Loup noir (with Shannon Wright)
10. Palais noir
11. Fréquences
12. Le monde du silence
13. Le dictionnaire Larousse
14. La nuit tombe