Retour sur un album qui méritait bien mieux que le silence des corbeaux. Derrière son travestissement goth, Drab Majesty a sorti un très beau disque de pop 80’s, troublé et envoûtant.


Alors pourquoi ce disque en particulier ? Comment ce concentré de rock goth, de new wave, de dark wave, de post punk ou de shoegaze, à la fois rétro et dans l’air du temps, réussit-il à toucher si juste ? Par quelle magie cette Hydre aux mille influences évidentes a-t-elle pu accoucher d’un disque aussi personnel ? Certaines questions ne demandent pas de réponses, et ce mystère nourrit à sa manière les 8 titres de cet album.

2011, l’angeleno Andrew Clinco, alors batteur chez Marriages et Black Mare, décide de composer ses propres chansons, à l’abri du monde, seul, en jouant de tous les instruments. Le fruit de cette catharsis et de cet entre-soi musical, fut une étrange surprise. À l’écoute de ses propres morceaux, Andrew ne se reconnaît pas, et ne comprend pas pourquoi ces chansons semblent avoir été écrites par quelqu’un d’autre. En dépit de réponses, là encore, et afin de donner corps à cette nouvelle orientation musicale soudaine, il décide de créer lui-même ce « quelqu’un d’autre », sous la forme d’un alter ego androgyne – mi Bowie, mi Pierrot version goth – du nom Deb Demure.

Ça, c’est pour le folklore et le dossier de presse. Le reste, c’est de la musique (deux EPs et un single) et un album qui s’invite toujours aussi régulièrement sur notre platine, cinq mois après sa sortie. Tel un compagnon de voyage ayant survécu à l’été, paradé durant l’automne et qui devrait dévorer l’hiver sans encombre. Inspiré d’une part par sa grand-mère décédée (dont il porte aujourd’hui encore les habits), et les hauteurs fantomatiques de Beverly Hills et sa bourgeoisie surannée ; influencé d’autre part par Genesis P. Orridge, Careless évoque – invoque ? – le passé.

Pour autant, ces chansons s’inscrivent naturellement dans le présent et notre quotidien, apaisent les matins tristes, et accompagnent les errances nocturnes, serpentant sur les trottoirs humides, entre les reflets chancelants des lumières de la ville. Deb Demure dessine des lignes de guitares limpides, où la mélancolie se dispute à la confiance adolescente. L’album tout entier baigne dans une reverb’ constante, un halo enveloppant. Plus les minutes s’égrainent, plus le ton s’alourdit, entrainant dans sa chute le tempo. La bougie s’éteint, glissant l’ambiance du bleu de Prusse, au bleu de Klein.

Drab Majesty invite l’auditeur à se réapproprier ses chansons, à se les rejouer dans nos têtes, à danser dessus, à s’endormir avec. Il convoque l’intime, et le partage sans démonstration – ce qui le distingue en cela, sans doute, d’Ariel Pink. Careless injecte de la grisaille au cÅ“ur des soleils les plus aveuglants, et nous donne à entendre ce combat intérieur. L’air de rien. L’air du temps. Glad to be drab.