Rencontre avec les lads australiens les plus en vue du moment, à l’occasion de leur passage parisien.


Alors que le trio australien DMA’S vient de glorieusement sillonner l’Europe, avec des concerts tous déroulés à guichets fermés, la critique française continue d’ignorer leur formidable premier album, Hills End, paru fin février. Malgré tout, pour leur première venue en France, le concert parisien de ce soir affiche complet. Dans le sous-sol de la salle le Pop Up du Label, le public se veut éclectique : étudiants, hipsters, et quarantenaires en costume se mélangent, tous curieux d’entendre la sensation venue des antipodes. Il y a aussi quelques australiens de passage, trop heureux de pouvoir voir le groupe dans une petite salle, ce qui n’est désormais plus le cas en leur patrie. Pour notre part, on est rassuré de constater que leurs chansons hymnesques, directes et exaltantes ne concernent pas seulement quelques nostalgiques de la brit pop et fédèrent bien au-delà. Sur scène, l’attraction australienne – constituée du trio, Tommy O’Dell, Johnny Tool et Matt Mason – est épaulée par trois autres musiciens. L’apparence générale est désinvolte sur scène, la moitié d’entre eux sont flanqués d’une casquette vissée sur la tête, sans compter sur les manières mancuniennes du chanteur Tommy O’Dell, peu loquace entre deux morceaux. Tout cela contraste fortement avec leur son, érigé autour de trois guitares, mélodique et frontal, qui ne faiblit à aucun moment.

Pour cette dernière date de la tournée, le guitariste Matt Masson, celui qui porte le mieux la casquette dans le groupe (dans les deux sens du terme, il est à l’origine de la plupart des compositions) s’est entretenu avec nous. Ne pas se laisser abuser encore une fois par son apparence un peu en dilettante, voir peu dissipée, le garçon, répond à nos questions, même les plus indélicates, avec une honnêteté désarmante.

Pinkushion : Vous venez de loin, très précisément Sidney, en Australie.

Matt Mason (guitare, chant) : Tout à fait. Je suis né et j’ai grandit à Sidney, dans la banlieue est, un très joli coin. Johnny (ndlr : Tool, guitariste et producteur) a quant à lui grandit dans la banlieue Ouest, à Newtown, c’est d’ailleurs chez lui que nous avons enregistré l’album. Je pense que Tommy ( O’Dell, chanteur) a grandi près de la côte, à Nothern Beaches. Mais je ne suis pas sûr. Ce qui est certain, c’est que nous sommes tous trois originaire de cette ville et y vivons toujours.

Un trio, sans batteur, c’est un peu atypique pour un groupe pop rock. D’autant que vos chansons demeurent très travaillées sur disque.

Quand nous enregistrons, on aime que nos chansons aient un gros son. Mais comme on ne peut leur rendre justice sur scène, trois autres musiciens nous accompagnent : notre bassiste Tom, et notre batteur Liam ont joué sur toutes les chansons de Hills End. Et notre nouveau guitariste, Joel, a rejoint le groupe après que nous ayons fini l’album.


Parlons composition, quelle est votre méthode ? Est-ce que tout le monde compose au sein du trio, ou chacun possède un rôle bien défini ?

Nous écrivons tous les trois beaucoup de chansons. Il y a une composition sur l’album intitulée “The Switch” que nous avons écrite tous ensemble. J’ai écris une section, Johnny se charge d’une autre, et Tommy d’une autre encore. D’une manière générale, on procède un peu par hasard, rien n’est vraiment calculé. Il arrive que j’écrive une partie que je n’arrive pas à terminer, puis un an plus tard, jy’ reviens et je me dis que je pourrais assembler trois autres différentes parties pour en faire une seule chanson. C’est le cas de “Too Soon”, qui est également sur l’album. « Timeless », a été écrite par moi. « Step Up The Morphine », a été entièrement écrite par Johnny à la guitare acoustique. Parfois, c’est donc un seul songwriter qui s’y colle, une autre fois c’est nous trois. Parfois c’est moi et Tommy qui écrivons ensemble. Il n’y a pas de règle à vrai dire. On ne sait jamais ce qui va véritablement se passer.

Votre premier Ep a été enregistré de manière très artisanale par vos propres soins, à la maison. Comment s’est donc déroulé votre première expérience en studio pour enregistrer votre premier album, Hills End ?

Pour l’album, on voulait sortir de notre chambre pour essayer d’obtenir un plus gros son. On a donc loué un studios professionnel. Mais l’expérience fut mitigée, on ne s’y sentait pas trop à l’aise. On y a tout de même enregistré quelques batteries et les parties de basse. Après coup, nous n’avons pas vraiment aimé le résultat, on est donc retourné dans la chambre de Johnny pour terminer l’album.

Le mixage a par contre été confié à Spike Stent, pointure qui a travaillé notamment avec Oasis, Björk, Coldplay, pour n’en citer que quelques uns….

Ce fut une expérience intéressante, car c’était la première fois que nous mixions un album avec un ingénieur professionnel. Auparavant, nous le faisions nous-même. A la vérité, nous ne l’avons jamais rencontré, car nous étions sans cesse en tournée. Nous n’avions pas le temps de faire le mixage ensemble. On a donc communiqué par e-mail : Spike Stent mixait le morceau puis nous l’envoyait, puis on lui répondait si on souhaitait faire une modification. Il nous renvoyait ensuite le morceau avec les changements, ect. Mais ce fut un très long processus, qui a duré près d’un an. J’espère que la prochaine fois nous travaillerons avec un ingénieur du son, ensemble, dans la même pièce. Les choses iront beaucoup plus vite.


De nos jours, on dirait que les groupes de rock ont peur de composer des mélodies accrocheuses, avec des refrains dignes de ce nom. Quand on écoute vos chansons, on pense évidemment à certains groupes des années 90 qui ont fait la gloire de la brit pop.

Nous n’avons pas peur d’écrire de la pop musique. Il est vrai que beaucoup de groupes actuellement tendent vers de l’anti pop – chose que j’aime aussi, j’écoute beaucoup de groupes comme ça, et j’en même joue aussi dans d’autres projets parallèles. Au sein de DMA’S, on préfère se concentrer sur des mélodies directes, appuyé de guitares noisy. Et ça fonctionne plutôt bien.

Est-ce que vous pensez déjà à la direction que vous souhaitez prendre pour le prochain album ? Comme par exemple enregistrer avec un orchestre…

On en parle en ce moment avec notre label anglais Infectious Records (branché indé de la major BMG). Il nous suggérait justement de réenregistrer avec un orchestre « Step Up The Morphine » et « Blown Away ». Je pense que pour le prochain album, on voudrait aussi davantage de synthétiseurs et de boites à rythme.

dmas_credit_mclean_stephenson_approved_hi_res_2016.jpg


Vraiment ?

Tout à fait. Car lorsque le groupe a démarré, nous n’avions pas de batterie ni de guitares. On enregistrait tout sur un ordinateur, dans notre chambre. Quand nous étions sur le point de signer sur notre label australien, I OH YOU, le boss du label, Michael Gudinskin, nous a prévenu « je ne vais pas vous signer, à moins que vous jouiez live pour moi ». Et c’était tout à fait compréhensible. Personne ne veux signer un groupe qui est mauvais sur scène. Et nous n’avions de fait aucune expérience en concert. On a donc essayé, avec le renfort de quelques amis, de réadapter les chansons en ajoutant plus de guitares et une batterie. Car savoir faire une musique sur ordinateur est une chose, la transposer sur scène en est une autre. Bref, nous avons adapté les morceaux avec de vrais instruments, et ça a plutôt bien fonctionné. Nous avons donc été signé.

A ce stade, on prend beaucoup de plaisir à jouer “rock n’roll”, et on va continuer. Mais pour le second album, on veut essayer de revenir à ce que nous faisions originellement, en utilisant des sons électroniques. Il est encore trop tôt pour dire comment se déroulera l’enregistrement, car nous retournerons en studios dans seulement six mois. Personne ne sait ce qui peut arriver d’ici là. Ce qui est certain, c’est que nous avons déjà écrit les chansons de l’album. Ou pourrait très bien demain rentrer demain en studios pour les enregistrer, mais comme je le disais, ce ne sera en vérité pas le cas avant la fin de l’année pour cause de calendrier chargé.


J’ai entendu dire que pour les chansons du premier album, vous avez choisi parmi une centaine déjà écrites.

Oui, on écrit beaucoup. Avant, quand on n’était pas en tournée, on écrivait tous les jours. Mais depuis deux ans et du fait des concerts, on a un peu perdu ce rythme. Car quand on a un jour de repos, la dernière chose qu’on a envie de faire, c’est de jouer de la musique. On a juste envie de regarder la TV, et oublier un peu la guitare (rire). Mais nous allons prendre un mois de repos en septembre, et on va se remettre à écrire.

Loin de l’image idylique que certains se font d’être dans un groupe de rock, être sur la route constamment peut être long et frustrant pour un jeune groupe. Comment le vivez vous ?

J’apprécie énormément notre situation, car je sais que beaucoup de groupes galèrent, essaient d’être signés sur un label, ou tout simplement de tourner. Je fais la part des choses, car ce fut très facile pour nous, dès le début. On s’est contenté de poster une seule chanson sur YouTube, et ça nous est tombé dessus très rapidement. On n’a pas à penser à des problèmes de logistique ou d’organisation, notre management et notre label se chargent de tout cela, et nous leur en sommes très reconnaissants. Si je n’avais qu’un seul point négatif, ce ne serait pas le fait d’être sur la route, mais plutôt de ne pas pouvoir enregistrer. C’est ce que je préfère. Mais nous le ferons bientôt.

Entre votre premier EP et Hills End, près de deux ans se sont écoulés, pourquoi ?

En fait, nous avons sortis deux fois notre premier EP. Quand ce dernier est d’abord sorti en Australie, nous avons tourné à travers le pays pour le promouvoir. Et puis l’année suivante, nous avons sorti le même EP à l’étranger. Il a fallu tourner une seconde fois, cette fois hors d’Australie. L’idée ne vient pas de nous mais du label. Je dois dire que ça a fonctionné.

Vous dites avoir beaucoup de chansons en stock. Pourquoi alors avoir réenregistré sur l’album deux anciens morceaux comme “Delete” et “So We Know”.

Ce sont encore une fois des choix qui ont été pris part notre label et notre manager. Non pas que nous n’avons pas notre mot à dire sur ces questions là, mais nous leur faisons confiance. Ils sont autant attachés que nous à notre musique, et s’avèrent meilleurs sur certains choix d’ordre stratégique, comme mettre en avant certains morceaux, ect. On a donc écouté ce qu’ils nous suggéraient, et nous sommes tous tombés d’accord : Nous avons raccourci “So We Know,” et retravaillé “Delete” (qui en fait a été remixé par quelqu’un d’extérieur), qui figuraient sur le EP australien. ça ne me dérange pas, car je sais que de toute manière que les chansons que je veux sortir sortiront plus tard. Par exemple, Guided By Voices a souvent sorti des singles très forts en dehors des albums, c’est une idée qui me plaît.

Sur scène Matt, vous accompagnez au chant Tommie O’Dell. Chantez-vous aussi sur certains morceaux encore inédits ?

Je chantais sur pas mal de démos d’origine avant que Tommie pose ensuite sa voix dessus. Ce soir, je vais chanter sur cinq morceaux, mais je joue de la guitare avant tout.


En mars dernier, vous avez effectué une tournée en Angleterre, tous les concerts étaient complet. Quelle était la réaction du public ?

On a eu de super retours, je suis même assez surpris. En Angleterre, les fans sont fous. Les concerts étaient très intenses, les gens devenaient vraiment dingues. Cet engouement peut avoir de bons côtés, mais parfois aussi de mauvais. Plus particulièrement dans les villes du nord de l’Angleterre, comme Manchester et Liverpool, ou encore Glasgow. ça peut devenir effrayant arrivé à un certain stade.

Parlez-nous de Manchester. L’accueil devait être particulièrement électrique.

Pour être honnête, les réactions à Manchester étaient les même qu’à Liverpool, Glasgow, Leeds ou n’importe ou ailleurs dans le monde.

Je vous pose cette question car il y a un incontestable héritage mancunien dans votre musique, qui évoque Oasis, les Stone Roses, ou encore les Smiths…

En ce qui me concerne, je n’avais jamais écouté de musique anglaise jusqu’à ce qu’on forme ce groupe. Qu’on me rappelle tout le temps les accointances de notre musique avec ces groupes est un un peu étrange pour moi. Mon jeu de guitare est plutôt à l’origine influencé par des groupes américains comme Dinosaur Jr, REM ou encore Sonic Youth. Je comprends complètement les comparaisons, car je sais que Tommy chante de cette manière. Mais quand j’écris les chansons, ce ne sont absolument pas des inspirations pour moi.

Cela vous ennuie pas qu’on vous compare souvent à Oasis ?

Pas du tout, je comprends. On sonne comme ces groupes, c’est évident. Mais personnellement, ce ne sont tout simplement pas mes influences.

dmas_inthemoment_3000.jpg



Depuis quelques temps, les groupes australiens s’exportent très bien. Je pense à des groupes comme Courtney Barnett Blank Realm

(Il me coupe direct, très surpris). Quoi ? Tu connais Blank Realm ? Je suis fan de ce groupe depuis des années. Nous avons fait une tournée ensemble en Australie, ce sont devenus de très bons amis. J’étais tellement content de tourner avec eux, faire leur connaissance. Leur dernier album Illegals in Heaven est fantastique. Ils sont originaire de Brisbane.

Justement en parlant de Brisbane, est-ce que vous appréciez d’autres groupes locaux plus anciens comme les Go-Betweens ?

Oh oui, je suis un grand fan. Il fut un temps où j’écoutais les Go-Betweens tous jes jours. Lorsque j’étais gosse, après l’école, on avait des cours de musique pour nous apprendre à composer des chansons. Et notre professeur était Lindy Morrisson, l’ancienne batteuse des Go-Betweens. Il n’y a pas plus longtemps que cet après-midi, j’écoutais encore Spring Hill Fair (ndlr : il me montre fièrement sa playlist sur son smartphone, puis appuie en lecture sur le morceau “Part Company”). J’adore cette chanson. J’ai une autre anedocte au sujet des Go-Betweens. En australie, il y a un festival qui s’appelle Splendor in the grass, on doit y jouer en juillet prochain. On y était déjà à l’affiche voilà deux ans, sous un chapiteau qui s’appelait Grant McLennan. La scène avait été nommée ainsi en son hommage. Ce fut un grand honneur pour moi de jouer sous cette tente, car je suis toujours très fan.

Un autre groupe australien dont les guitares m’évoquent DMA’S, c’est The Church.

Oui, je vois ce que vous voulez dire. A l’âge de 17 ans, je jouais de la guitare dans un groupe, et j’ai été approché par un homme après un de nos concert. Il voulait nous enregistrer, car il avait un label indépendant appelé Karmic Hit. Cet homme s’appelait John Kilbey, qui est en fait le grand frère de Steve, le leader de The Church. Je me souviens à l’époque que Steve était là quand nous avons enregistré notre disque. Je suis un grand fan du groupe, je les ai vu deux ou trois fois. Un super groupe de scène.. Avez-vous entendu parler de Say Lou Lou ? C’est un groupe formé par les deux filles jumelle de Steve Kilbey, elles font de l’electro pop. Elles connaissent un gros succès en Australie. Mais pour revenir à The Church, oui, encore une grosse influence.

Pour terminer, quelles sont vos cinq albums favoris de tous les temps ?

OK, allons-y :

Dinosaur JRWhere You Been
The Go-BetweensSpring Hill Fair
Ryūichi Sakamoto 1996
Sonic Youth Daydream Nation
Tupac ShakurAll Eyez on Me

Il y en a beaucoup, je pourrai en citer d’autres… Crooked Rain… de Pavement, Propeller de Guided By Voices, Primary Colors d’Eddy Current Suppression Ring, Green Mind


DMA, Hills End (Pias)