Les ex Viet Cong continuent leurs explorations en terre post-punk.  Ou comment faire preuve d’audace sans sortir de son pré carré.


Les Canadiens Matthew Flegel (chant/guitare) et Mike Wallace ont un parcours qui pourrait s’apparenter à un éternel recommencement. Ou de faux départ malgré eux, c’est selon. Jadis membres des trop tôt disparus Women (deux albums chez Jagjaguwar entre 2007 et 2010), puis Viet Cong (un album et un EP), aujourd’hui Preoccupations, les deux musiciens ne cessent de détruire et reconstruire leurs fondations. Dernier retournement en date : alors que leur précédent groupe, Viet Cong commençaient juste à battre le fer du succès, les voilà contraint en 2015 de changer leur nom car trop jugé péjoratif par des associations vietnamiennes susceptibles…

Rebaptisé donc Preoccupations sous un line up identique, Matt Flegel (chant guitare), Danny Christiansen (guitare), Scott Munro (basse, claviers) et Mike Wallace (batterie) sortent par la force des choses en cette rentrée 2016 un premier album qui n’en est donc pas un. Il y a pourtant bien un peu de changement : en l’espace d’un an et demi, le quatuor canadien a continué sa mue, en bougeant délicatement mais sûrement les lignes de son post-punk arty teinté de Lo-Fi. Preoccupations plonge ainsi désormais volontiers dans les abysses de la cold wave, sinon dans ses moments rock les plus enlevés vers Interpol et I Love You But I’ve Chosen Darkness. Un virage qui s’illustre notamment par des guitares délibérément moins grinçantes, plus flottantes dirons-nous, et une accentuation de claviers atmosphérique. Mais surtout un virage caractérisé par le chant de Matt Flegel, qui se montre plus maniéré. Ce dernier n’est pas sans rappeler celui de Richard Butler des Psychedelic Furs (flagrant sur “Stimulation”), lui même excroissance entre David Bowie et Ian Curtis. D’ailleurs sur “Degraded”, l’un des premiers titres dévoilés au début de l’été, la surprise était de taille : on jurerait entendre un morceau d’Interpol, tant la voix de Flegel y emprunte des inclinaisons très proches de celles de Paul Banks. Le titre est accrocheur mais l’effet un peu perturbant.

A l’écoute des noms mentionnés ci-dessus, on pourrait avancer que le quatuor canadien a gagné en efficacité à défaut d’originalité. A dire vrai, le groupe n’a pas écarté pour autant son penchant pour l’expérimental. Il sonne seulement un peu moins brouillon sur le brillant “Anxiety”, sorte de pop song synthétique nimbé de textures industrielles empilant habilement strates de claviers et de guitares angulaires claires. Les ratures DIY au crayon de Viet Cong ont ainsi été remplacés par un stylo encre, une règle et un compas. Pour le reste, rien n’a trop changé. “Zodiac”, ouvre de son côté une intéressante brêche krautrock guidé par une obsession rythmique, même si Viet Cong s’était déjà aventuré dans cette fascinante zone non balisée.

 

 



A défaut de tout remettre en question, une certaine audace est tout de même de mise sur ce disque qu’on jugera seulement un poil court – neuf plages, dont deux d’une minute trente chacune, soit le même ratio que sur les deux opus de Vietcong.  Alors certes, à l’ère de la révolution numérique, Preoccupations préfère souder son rock avec la bonne vieille chaleur de l’analogique, mais ne fait pas non plus l’erreur de sombrer dans une esthétique rétro futuriste. Cela ne lui empêche pas d’être très ambitieux, comme sur “Memory”, longue pièce de près de 12 minutes qui est assurément le plat de résistance de l’album – et donc logiquement placé au milieu du tracklisting. Scindé en trois parties bien distinctes, ce puzzle complexe a tout de même nécessité deux années d’effort pour être assemblé. A partir de 3 minutes 30, la chose s’emballe spectaculairement, prend des hauteurs épique insoupçonnées avec au chant un Dan Boeckner de Wolf Parade en très grande forme, avant que l’ensemble n’échoue dans son dernier tiers dans un océan sonore éthéré, ou de chaos, on ne sait pas trop.

Rassurons-nous, le rock post punk de Preoccupations oeuvre du bon côté de la force : on reste tout de même plus proche de l’excellente post-punk de The Sound et The Chameleons que des lénifiants White Lies et Editors… Si la crise d’identité de Preoccupations n’est donc vraisemblablement pas terminée, elle stimule tout de même quelques intéressantes réactions sur ce nouvel album. Quoi qu’il en soit, ce départ semble être le bon cette fois.

Jagjaguwar/Secretly  Canadian/Pias – 2016

Site officiel : preoccupationsband.com/

Tracklisting :

1 – Anxiety
2 – Monotony
3 – Zodiac
4 – Memory
5 – Degraded
6 – Sense
7 – Forbidden
8 – Stimulation
9 – Fever