Entouré d’une dream team de la folk US, le guitariste et songwriter vétéran britannique signe un album en forme de consécration.


A l’âge canonique de 75 ans, le guitariste et songwriter britannique Michael Chapman est plus que jamais un survivant très qualifié, comme déjà le suggérait son album prémonitoire Fully Qualified Survivor en 1970.

 Lunettes Aviator aux verres sombres, casquette vissée, rides du visage creusées au couteau, l’homme physiquement en impose encore. Il continue d’ériger une oeuvre tentaculaire, imperturbable au chaos du monde et du succès qui l’a si longtemps boudé. Ce 56e opus d’une discographie forcément pléthorique (le titre de l’album 50 quant à lui fait référence à son demi-siècle de carrière célébré l’année dernière sur la route ) laisse même entendre que le vénéré folker natif de Leeds, a encore des choses pertinentes, voire passionnantes, à raconter.

A l’avant-garde de la scène folk anglaise durant les années 60 et 70 aux côtés de John Martyn, Davy Graham, Bert Jansch ou encore Roy Harper, Michael Chapman signe à 25 ans ses débuts discographiques sur la prestigieuse major Harvest avec quatre albums produits magistralement par Gus Dudgeon (Elton John, David Bowie, Bert Jansch..) : Rainmaker (1969), Windows (1970), Fully Qualified Survivor (1970) et Millstone Grit (1973). Tous sont tout simplement indispensables pour tout amateur de chansons folk ésotériques, rehaussées de somptueux arrangements de cordes, parfois à la lisière du rock progressif – certainement sous l’influence du label. Hélas, les disques sont loin de se vendre comme ceux de ses collègues de label Pink Floyd, Soft Machine ou encore Kevin Ayers… En dépit de l’ignorance persistante du grand public à son égard, puis fatalement remercié par Harvest, il continue pourtant d’enregistrer à rythme annuel dans les années 70, et avec une inspiration constante, des albums variés, parfois instrumentaux, naviguant entre rock, folk, americana (notamment l’impeccable Savage Amusement sorti en 1976 et réédité en 2015 chez Secret Records), jazz et new age sur des labels de plus en plus petit. Découragé par le silence autour de lui, il marque une pause en 1984, dans une indifférence que l’on peut raisonnablement qualifiée d’injustice.

Après des années de semi-retraite, forcées notamment par une crise cardiaque en 1990, il reprend de plus bel son activité en 1993, et enregistre notamment quelques albums expérimentaux sur Ecstatic Peace, le label de Thurston Moore, grand admirateur, à l’instar de Jim O’Rourke. Sans pour autant chercher à élargir son audience, le vétéran poursuit sa route à raison d’un album tous les deux ans jusqu’à ce jour.

Bien évidemment, l’histoire de Michael Chapman ne peut se résumer à un article, il faudrait lui consacrer un livre et de nombreux trous restent à éclaircir sur certaines périodes tant l’homme fut parfois discret.  Reste qu’une telle longévité relève de l’énigme. Malgré les innombrables obstacles tout au long de sa carrière, Chapman trouve le soutien et l’admiration du côté de ses paires : Il a notamment tourné dans les années 70 avec les guitaristes John Fahey,  son ami Jack Rose (dont la mort l’a profondément marqué en 2008) dans les années 2000 ou encore Bill Callahan, Bonnie “Prince » Billy, ou plus récemment Kurt Vile.  

Beaucoup aussi voit en en sa personnalité et sa persévérance un modèle d’intégrité artistique.

Et puis finalement, la reconnaissance vint de l’autre côté de l’Atlantique en 2011. Grâce au label américain Light in the Attic (spécialiste de la réhabilitation avec Sixto Rodriguez, Lee Hazlewood…) qui se charge d’exhumer ces indispensables quatre premiers albums chez Harvest, faisant redécouvrir à une nouvelle génération son incroyable patrimoine.  Beaucoup aussi voit en en sa personnalité et sa persévérance un modèle d’intégrité artistique. Consécration ultime, la parution d’un album hommage paru en 2012 chez Tompkins Square où s’illustrent le fin du fin de la folk et quelques fidèles : William Tyler, Hiss Golden Messenger en passant par Thurston Moore, Lucinda Williams, ou encore Meg Baird… Depuis, d’autres labels vertueux – Secret Records, Tompkins Square, Paradise of Bachelor – ont pris le relais en déterrant d’autres de ses trésors méconnus des années 70, albums, compilations. Aujourd’hui, bien que beaucoup d’autres albums oubliés restent encore à exhumer – son oeuvre est enfin reconnue à sa juste valeur.

Autant dire alors que 50 n’est évidemment pas le disque du « come back”. Comme nous l’avons signalé un peu plus haut, Michael Chapman est loin d’être resté inactif ces dernières années et son dernier album en date, Fish, un disque instrumental, remonte à 2015. Mais ce nouvel album focalise particulièrement l’attention car Chapman y est entouré d’une équipe de premier plan, emmenée par le brillant guitariste Steve Gunn (également producteur du disque), ainsi que James Elkington (Wilco), Nathan Bowles (ancien compagnon de Jack Rose au sein du groupe Pelt et des Black Twig Pickers), Jason Meagher (No-Neck Blues Band) et enfin sa vieille amie, la mythique Bridget St John qui l’accompagne aux choeurs sur « The Mallard » et “That Time of Night »…

Michael Chapman et Steve Gunn en studio.

Enregistré au Black Dirt Studio de Jason Meager, à Westtown (New York), 50, que son démiurge considère comme son premier disque “américain” (il a pourtant intitulé deux autres disques Americana I et II, certes non enregistré aux USA), se veut un retour au format chanson folk classique. Bien que très entouré, Chapman s’y dévoile plus solitaire que jamais. Sa voix magnifiquement travaillée par le temps n’a jamais été aussi marquante. On y entend très peu de batterie (seulement sur les deux morceaux qui ouvrent et ferment l’album), surtout des six-cordes folk somptueuses nimbées d’une révèrbe crépusculaire, parfois soulignées d’une Fender électrique au son ample par Steve Gunn, ou rehaussées d’une lap steel et d’un piano. Le disque se partage entre six nouvelles compositions et quatre anciennes. Les quatre en question, merveilleusement revisitées, sont  « Memphis in Winter » et « That Time of Night », parus initialement sur The Twisted Road (1999), « The Prospector » sur Life on the Ceiling (1978), et enfin « The Mallard » (identifié sur la compilation The Journeyman). A dire vrai, on ne saurait identifier exactement d’où provient ce dernier titre, tant la discographie du maître est pléthorique et parfois obscure même pour les initiés.

Le disque est loin de proposer du remplissage, et la matière fraîche s’y révèle autant exceptionnelle. L’écriture de Chapman est intacte, notamment sur « Falling From Grace », bel et bien habité par la grâce, où sa voix éraillée de vieux troubadour y est bouleversante. Sur la plupart des morceaux, des arpèges en apesanteur se déroulent à l’infini, dans une dynamique qui remonte le temps vers une belle mélancolie…  des souvenirs du temps révolu et les longues tournées (le vibrant « Sometimes You Just drive ») et bien sûr la mort qui n’est plus très loin, qui rôde… On a droit à de superbes envolées de parties de banjo signées de Nathan Bowles sur « A Spanish Incident » ou « Money Trouble » à la mélodie propice aux ambiances de pub irlandais. L’instrumental « Rosh Pina » placé au milieu de l’album en guise d’entracte, laisse Steve Gunn toute amplitude pour signer un mémorable solo de guitare ouaté de wha wha.
Dan un dernier sursaut assez inattendu, “The Prospector” termine le voyage sur une note électrique, qui contraste avec le reste de l’album.  Sur cette chanson d’obédience rock americana où une batterie se charge de muscler le tempo, on y entend encore un vibrant solo de guitare électrique dans l’esprit de “Cortez The Killer”, clôturant ainsi le voyage sur une épopée de 6 minutes 30, soit le titre le plus long de l’album.

Si il serait tentant, voire facile de caser 50 du côté des disques testaments tels Blackstar ou You Want it Darker,  il confirme surtout, après l’excellent retour de Roy Harper voilà trois ans ou encore l’inoxydable Richard Thompson, l’insolente santé des vétérans de la scène folk britannique. Car bien que l’album évoque la solitude, les périodes obscures et de vache maigre (parfois avec une nostalgie bienveillante), elle reflète aussi à nos yeux une formidable perséverance et la résurrection au bout du chemin.

Label : Paradise of Bachelors/Differ-ant – 2017
Producteur : Steve Gunn

 

Tracklist:

  1. Michael Chapman – 50
  2. A Spanish Incident (Ramón and Durango)
  3. Sometimes You Just Drive
  4. The Mallard
  5. Memphis in Winter
  6. The Prospector
  7. Falling from Grace
  8. Money Trouble
  9. That Time of Night
  10. Rosh Pina (CD/digital bonus track)
  11. Navigation (CD/digital bonus track)