L’opération de séduction massive lancée par la dominatrice Annie Clark fait des ravages sur un cinquième album très ambitieux, aussi accessible que grinçant.


 

Diplômée de la prestigieuse Berklee College of Music, multi-instrumentiste, chanteuse et parolière piquante, bête de scène doublée de guitar-hero(e), réalisatrice vidéo…  Annie Clark, alias St. Vincent, est ce qu’on peut appeler une artiste “totale”. Pour d’autres, la native du Texas (elle vit aujourd’hui à New York et Los Angeles) est aussi ce qu’on peut appeler une “control freak”, aucuns aspects de son art ne semble échapper à la séduisante américaine, tant sur le plan musical qu’esthétique, voire conceptuel. A tel point que pour sa récente tournée, cette forte personnalité a choisi de se produire seule avec sa guitare, autour d’une scénographie ultra millimétré, où elle interagit avec un écran géant derrière elle qui diffuse des vidéos, certaines réalisées par ses propres soins.

Certains voient en St. Vincent l’équivalent d’une Bowie au féminin. Aussi exagérée soit la comparaison, elle n’est pas forcément fausse, mais on pourrait tout autant évoquer à son égard Prince, Kate Bush voire Lady Gaga. Depuis son premier album Marry Me (2007), la critique (surtout pitchfork) loue en elle sa capacité à intellectualiser la pop, en croisant références populaires et avant-garde. Sa reconnaissance est acquise aux Etats-Unis depuis qu’elle a décroché le Grammy du meilleur album alternatif avec l’album St. Vincent (2014), alors qu’en France et un peu partout ailleurs en Europe, elle peine encore à être reconnue. Par chez nous, elle fréquente davantage les pages “people” pour ses relations sentimentales (via ses ex Cara Delevingne et Kristen Stewart).

Mais les cartes sont en train de changer de main avec son cinquième album, Masseduction, taillé pour conquérir le grand public. Difficile en effet de ne pas le contaster dès sa pochette suggestive qui affiche, avec une ironie grinçante, son intention de jouer et séduire dans la cours “mainstream”.

A vrai dire, nous n’étions pas au départ client de la pop sophistiquée d’Annie Clarke, un tantinet trop froide et cérébrale à nos yeux (ou plutôt nos esgourdes). Sa collaboration avec l’ex Talking Heads David Byrne non plus nous laissa de marbre. Avec Masseduction, l’Américaine lâche enfin du lest, distend sa raideur, et nous intrigue en s’inventant une nouveau personnage  désinhibé et égocentré. Hier blanche comme neige, la voilà aujourd’hui rouge et sulfureuse,  s’affichant dans des tenues en latex affriolantes (justaucorps et cuissardes roses), jouant jusqu’à l’absurde les clichés de la pop star glamour et suprême. Sorte de Lady gaga alternative, elle se met en scène avec un humour grinçant, parodiant les codes de la pop star égocentrée dans de faux entretiens vidéos postés sur Instagram (un clin d’oeil à sa réputation de cliente difficile pour les journalistes).

 

Masseduction est une oeuvre fascinante qui peut s’interpréter selon différent niveaux de lectures – à qui bien sûr se donne la peine de s’y pencher. Ces treize titres d’obédience Electro Pop sont un cheval de troie, destiné au percer un public de masse, avec un contenu bien plus dérangeant qu’il n’y paraît. Calibrés R’n’B et dopés par des refrains ultra efficace, “Pills”, “Masseduction” (très Beyonce) et “Los Ageless” s’inscrivent incontestablement parmi les chansons plus accessibles composées à ce jour par St-Vincent. Mais c’est sans oublier qu’avec Annie Clark les messages en sous-textes sont aussi importants que les mélodies. Son discours cinglant sur notre société consumériste et obsédée par l’apparence, fait souvent mouche sur “Los Ageless” et “Pills”, qui critiquent l’obsession des angelenos pour la jeunesse éternelle et leurs addictions aux pillules en tous genres…  

A l’inverse, d’autres titres moins tapageurs surprennent, en jouant leur atout romantique, des ballades au piano, sobres et classieuses : le vibrant « Happy Birthday, Johnny », l’hommage “New York”,  “Smoking Section…” ou encore le superbe « Slow Disco » et son élégante section de violons. Sur l’electro sophistiqué de “Fear The Futur” (quasi industriel) et l’inaugural « Hang on Me », on retrouve l’Annie Clark cérébral des précédents opus, où elle livre des textes plus introspectifs (“You and me, we’re not meant for this world”) sans pour autant fournir des clés qui nous feront percer sa personnalité décidément complexe et mystérieuse.

A mesure que les classements de fin d’année s’approche, Masseduction renforce sa place au sommet. Et démontre qu’il est toujours possible de rendre la pop aussi insidieuse qu’audacieuse.

Loma Vista / Caroline International / Universal- 2017

 

 

Tracklisting :

  1. « Hang on Me »
  2. « Pills »
  3. « Masseduction »
  4. « Sugarboy »
  5. « Los Ageless »
  6. « Happy Birthday, Johnny »
  7. « Savior »
  8. « New York »
  9. « Fear the Future »
  10. « Young Lover »
  11. « Dancing with a Ghost »
  12. « Slow Disco »
  13. « Smoking Section »