Discussion sincère et passionnée autour du projet post Camera Obscura de Tracyanne Campbell, dont l’association avec le songwriter britannique Danny Coughlan se révèle un véritable enchantement de pop délicate.


This is a fantasy, baby that’s you and me…” chantent  à l’unisson Tracyanne et Dannysur  le refrain d “It Can’t Be Love Unless It Hurts”. Une ritournelle gracieuse et irrésistible, dont il est simplement vain d’opposer toute résistance. Bien plus qu’un simple duo, Tracyanne and Danny est la réunion de deux talentueux songwriters, mais aussi une histoire d’amitié. A notre gauche, Tracyanne Campbell, icône de l’international indie pop en provenance de la fière Glasgow, Camera Obscura, dont l’aventure a tragiquement cessé suite à la disparition en 2015 de la claviériste Carey Lander, qui succomba d’un cancer des os. A notre droite, le songwriter britannique Crybaby /Danny Coughlan basé à Bristol, auteur d’un premier album passé inaperçu par chez nous faute de distribution, mais qui a reçu en sa patrie de retentissants échos chez les amateurs de pop sensible et lettrée dans la veine de Lloyd Cole. De fait, cette rencontre ne pouvait susciter que de belles et douces harmonies pour « coeurs brisés ».

Impression confirmée sur ce premier album qui comblera à n’en point douter les fans orphelins de Camera Obscura. Cinq ans après Desire Lines, ultime album la formation écossaise,  le désir est ravivé avec une collection de ballades sentimentales au doux parfum mélo sixties (“It Can’t Be Love Unless It Hurts”) mâtinée de soul (“Jacqueline”, superbe croonerie chantée par Coughlan) et saupoudrée de guitares hiératiques façon Velvet Underground (ce superbe « Deep in the Night »). La supervision du disque a été confié à deuxs experts en orfèvreries, Edwyn Collins (enregistré dans son studios dans les Highlands), coproduit avec l’ingénieur-son et multi-instrumentiste Sean Read (Dexys Midnight Runners). Alors, en ces temps sombres, n’hésitons pas à nous accorder un peu de douceur avec cette pop élégante et ultra-sensible.

 


 

Pinkushion : C’est un véritable plaisir que d’entendre à nouveau votre voix Tracyanne. Depuis la tragique disparition de votre amie Carey Lander en 2015, votre amie et claviériste de Camera Obscura, qui a signé la fin du groupe, avez-vous envisagé d’arrêter de faire de la musique de façons professionnelle ?

Tracyanne Campbell : A vrai dire, je pense souvent à faire autre chose (rires). Mais je ne sais simplement pas ce que je pourrais faire d’autre. Evidemment, la musique a été ma priorité durant très longtemps. Au fond de moi, je pense que les raisons de cette renaissance sont dans ma nature optimiste, et bien sûr ma passion pour la musique. Je n’ai jamais vraiment pensé arrêter, seulement faire une pause.

 

Qu’avez-vous fait durant cette période de retrait ?

Tracyanne Campbell : Je me suis d’abord occupée de mon fils. J’ai essayé de gérer avec ma douleur. Et bien sûr, Danny a attendu que je sois prête. Nous avons beaucoup réfléchi à cette opportunité de pouvoir créer une musique positive.

 

Quand cette collaboration avec Danny Coughlan a-t-elle commencé ?

Tracyanne Campbell : Danny et moi nous sommes rencontrés il y a six ans, en 2012. Il a tourné par la suite avec Camera Obscura sous son projet Crybaby, c’est ainsi que nous avons d’abord appris à nous connaître. J’étais alors très occupé par Camera Obscura, mais nous avions déjà à l’époque en tête d’enregistrer des chansons ensemble. Cela a été un processus très lent et long avant de pouvoir pleinement concentrer notre énergie ensemble.

Danny Coughlan : Au moment où nous nous sommes rencontrés il y a six ans, nous ne nous connaissions évidemment pas. Il a fallu du temps pour écrire ensemble, apprendre à se connaître, créer une complicité musicale.

Danny, vous vivez à Bristol, tandis que Tracyanne est basé à Glasgow, comment avez-vous géré la distance ?

Tracyanne Campbell : Dans un premier temps, nous nous sommes échangés des idées de chansons écrites individuellement. Parfois Danny m’envoyait une partie d’une chanson, j’y rajoutais de mon côté un refrain, ou un couplet.

Danny Coughlan : On travaillait sur le logiciel Garageband, à partir d’enregistrements faits avec un dictaphone.

Tracyanne Campbell : Danny venait ensuite à Glasgow et on travaillait les morceaux ensemble. C’était un processus assez organique, car la première fois qu’on s’est rencontré, j’étais vraiment réticente à jouer de la musique. Nous avons beaucoup parlé. C’est difficile de créer de la musique avec une personne étrangère. Nous savions que nous devions d’abord surmonter ce stade pour pouvoir enfin commencer à faire de la musique. Autre point important, nous avons des personnalités qui se complètent : Danny travaille vite, et j’aime ça (rires).

Danny Coughlan : Je n’aime pas tant que ça travailler vite. J’aurai aimé avoir plus de temps, mais c’est notre façon de travailler du fait de la distance. Et puis nous avons eu chacun à cette période des bébés à s’occuper, ce qui a ralenti les choses…  

 

Danny, nous savons peu de choses sur vous. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Danny Coughlan : J’ai sorti un album en 2012 en sous le nom de Crybaby. Nous avons fait quelques dates en Europe dans quelques pays. Je vis à Brighton, où je travaille notamment comme peintre commercial.

 

Je me dois alors de vous poser cette questions car plusieurs éléments concordent : êtes-vous le mystérieux Banksy ? (rires)

Danny Coughlan : Non, je ne suis pas Banksy (rires). Je connais par contre son identité, mais je ne la dévoilerai pas. Il est actif depuis de très nombreuses années sur Bristol, bien avant d’avoir connu ce succès démesuré.

Avoir deux songwriters dans un duo modifie la donne. Comment procédez-vous pour composer ? Est-ce que l’un apporte une chanson puis l’autre l’arrange, par exemple ?

C’est un peu une mixture. Pour une chanson par exemple comme “It Can’t Be Love…”, Danny avait déjà cette composition dans les tiroirs, j’y ai contribué en apportant la mélodie principale. Pour “Alabama”, c’était similaire, j’ai trouvé également la mélodie principale, puis Danny l’a réarrangé.

Danny Coughlan : Il n’y avait aucune sorte de pression, rien de vraiment imposé. Les choses se faisaient naturellement, on gardait seulement les meilleures idées.  

Tracyanne Campbell : On a aussi parfois essayé d’assembler deux chansons ensemble. Les rôles de chacun étaient très clairs pour moi, mais en même temps cette façon de travailler ne garanti rien, on ne sait pas trop où on va. C’était un peu un puzzle qu’on essaie d’assembler. J’ai essayé d’être le plus détendu possible, plus on partage de responsabilités, plus le travail devient facile.

 

Je suis curieux de savoir pour une chanson comme “Jacqueline”, chantée par Danny, quel était votre façon de travailler.

Tracyanne Campbell : C’est principalement le travail de Danny sur celle-ci. J’ai contribué aux harmonies.

Danny Coughlan : Nous avons essayé différentes idées ensemble mais cela ne fonctionnait pas vraiment.

Tracyanne Campbell : Je pense qu’il n’y a pas de règle, c’est indéniablement une coopération qui n’est pas très claire, mais ce n’est ni un album de duo dans le sens classique du terme, car  où il y a deux songwriters dans ce groupe.

 

Vous ne fonctionnez pas à la manière par exemple d’un duo classique Nancy & Lee, où Lee Hazlewood, composait, arrangeait, ect. et Nancy Sinatra se contentait de chanter et apporter une dose de glamour “esthétiquement” on dira.

Tracyanne Campbell :  On adore Nancy & Lee, mais leur façon de travailler n’a rien à voir avec nous. J’écris mes propres chansons et Danny fait de même de son côté. Ce serait stupide de ne pas exploiter les talents de chacun. Et d’un autre côté; ce serait également un peu naïf que d’écrire seulement des chansons ensemble, je pense. C’est très dur d’écrire ainsi, chacun a sa façon de faire.

Danny Coughlan : Il y a évidemment une tradition du duo, comme Sonny & Cher, ces choses là. On est plus dans une configuration comme les Pastels ou Yo La Tengo, où tout le monde dans le groupe écrit des chansons. Cela n’a rien à voir avec un groupe comme les Pixies, où Black Francis compose toutes les chansons.

Tracyanne Campbell : A vrai dire, on ne veut pas d’un groupe ! (rires)

 

Lorsque j’ai écouté pour la première fois votre album, j’ai d’abord pensé aux premiers albums de Camera Obscura, mais produit différemment, de manière plus professionnel. Qu’aviez-vous en tête comme son au départ ?

Tracyanne Campbell : Oui et non. Au départ, je voulais faire quelque chose qui ne sonne pas comme… moi (rires). Mais fatalement, cela se termine toujours comme quelque chose qui sonne comme moi. C’est inévitable ! J’ai appris à être à l’aise avec ça. J’ai toujours eu l’ambition de faire quelque chose séparément de Camera Obscura. Aller dans une direction plus sauvage, voire électronique, mais je ne saurai pas par où commencer. J’ai trouvé avec Danny, quelqu’un avec qui nous partageons des goûts similaires. Il n’y avait pas vraiment de concept au départ, on voulait surtout faire quelque chose porteur de clarté, quelque chose de positif. Qu’en penses-tu Danny ?

Danny Coughlan : Tout à fait. On aspirait à aller vers quelques chose de claire et simple.

Tracyanne Campbell : D’autre part comme je vous le disais, nous ne ne voulions pas de groupe. Il n’y a pas de bassiste ou de guitariste, sauf sur scène où des musiciens seront recrutés. J’ai joué beaucoup de piano lors des répétitions. Je ne suis pas une pianiste, mais je peux entendre ce que j’ai en tête et le réinterpréter de manière décente. C’est aussi pourquoi notre musique est assez simple d’une certaine manière. L’avantage c’est qu’on peut travailler très vite. On ne passe pas beaucoup de temps à enregistrer des chansons.

Danny Coughlan : C’est simple mais en même temps, on reconnaît facilement ce qu’on a envie de faire, on peut l’atteindre par nous-même.

Tracyanne Campbell : Danny et moi on peut passer la journée à discuter autour de nos influences, évoquer l’ambiance que l’on veut donner à une chanson .

Combien de temps en studio l’enregistrement de l’album a nécessité ?

Danny Coughlan : Trois semaines en tout. Nous avons sollicité deux musiciens de session, recommandés par Edwyn Collins, qui est le propriétaire du studios où nous enregistrions dans les Highlands en Ecosse. Notamment Carwyn Ellis, un musicien gallois qui a son propre groupe Colorama. Il a déjà travaillé notamment avec Saint Etienne et les Pretenders. C’est un multi instrumentiste très talentueux et expérimenté. notamment en tant que bassiste et pianiste. Il joue aussi de la batterie et même du saxophone sur le disque.

 

L’album est très varié et donne l’impression d’un patchwork des différentes périodes de Camera Obscura, avec des éléments country, de la pop indé, et des pop songs un peu plus orchestrées. Peut-être aussi parce que c’est un premier album, on sent que vous essayez différents styles.

Tracyanne Campbell :  Oui, c’est possible. C’est un peu comme un recommencement.

J’ai vraiment senti pour ma part comme un retour aux sources. Quand vous êtes dans une groupe depuis longtemps, les gens veulent savoir qui vous a influencé. Mais peut-être que vous ne l’êtes pas particulièrement, car vous êtes dans un groupe et que vous jouez simplement entre vous. Lorsque j’ai recommencé à écrire seule, je me suis retrouvé à penser à des groupes comme Yo la Tengo, The Velvet Underground…on se sent vraiment modeste.

 

Il y a cette chanson sur l’album, “The Honeymooners”, qui se démarque du reste de l’album pour son ambiance un peu plus sombre, avec un petit côté Spector fantomatique. C’est très réussi.

Tracyanne Campbell : Merci. J’ai écrit cette chanson il y a très longtemps. J’étais allé sur une île écossaise, pour rencontrer mon ex petit ami qui s’y est installé avec sa nouvelle femme. Vous pouvez imaginer mon état d’esprit. On voulait donner à cette chanson une couleur un peu sinistre, gothique. Mais en dépit de l’ambiance, je trouve tout de même un caractère très humain à cette chanson. Je ne veux pas dire aux gens ce que je chante exactement, mais effectivement, on voulait juste créer cette ambiance, cette sorte de présence fantomatique.

Danny Coughlan : On a utilisé cet instrument Univox des années 40, qui appartenait à Edwyn Collins. C’est ce qui donne ce son particulier à la Phil Spector. Evidemment, on ne peut pas reproduire le wall of sound de Spector avec un orchestre, mais il y avait cette idée en tête de s’en rapprocher un peu.

 

Il y a une tournée de prévue, avec notamment des premiers concerts aux Etats-Unis. Quelle sera la configuration du groupe sur scène ?

Danny Coughlan : Nous serons un quintet. Il y aura avec nous un batteur, un bassiste et un musicien qui jouera des claviers et du saxophone.

 

Le fait que vous ayez signé chez le label américain Merge Records, explique-t-il les raisons de cette tournée d’abord aux Etats-Unis avant l’Europe ?

Tracyanne Campbell : Oui. Il faut dire aussi que le plus gros marché de Camera Obscura était les Etats-Unis. C’est l’idée de notre agent d’avoir signé sur Merge, pour des raisons pratiques. On adore tourner en Europe, mais on a une plus forte demande aux Etats-Unis… A vrai dire, nous n’avons aucune idée de comment va être reçu l’album, si des gens vont être intéressés ou venir nous voir en concert.

Danny Coughlan : On fait des albums pour faire des albums. Nous n’avons pas de plan stratégique, tout reste très artisanal.

Tracyanne Campbell : j’adorerai tourner à traver le monde. Mais il y a tellement de musique de nos jours… Il n’y a évidemment aucune garantie pour le moment que des gens aiment l’album, même si vous êtes dans un groupe qui a connu un certain succès. Je suppose que l’on va donner quelques concerts en Angleterre, et puis on verra comment le public réagira.

 

Tracyanne, voyez-vous toujours les autres membres de Camera Obscura?

Tracyanne Campbell :  Oui, bien sûr, nous sommes restés amis. Lee Thompson (batteur) vit à Londres, je lui ai parlé au téléphone il n’y a pas longtemps. J’ai récemment passé le Week-end avec Kenny McKeeve (guitare) et sa famille. Nous nous retrouvons ensemble à l’occasion de fêtes entre amis, et puis pendant les fêtes de Noël.

Pour conclure, quels sont vos albums favoris du moment ?

Tracyanne :   

 

Danny Coughlan :  

  • The Breeders, All Nerve
  • Scott Walker – Scott 3
  • Pixies – Surfer Rosa
  • Vernon Wray – WastedTracyanne and Danny, S/T (Merge Record/Differ-ant)

 

Tracyanne and Danny, S/T (Merge Records/Differ-ant)

https://www.tracyanneanddanny.com/