Solide septième album du guitariste slacker de Philadelphie, toujours un pied dans le classic rock US, l’autre dans le triturage shoegazy/folk. 


Cela fait maintenant 10 ans que nous suivons de près le songwriter originaire de Philadelphie Kurt Vile. Depuis ses premiers enregistrements Lo-Fi, sa collaboration sur les deux premiers album de War On Drugs jusqu’à sa signature chez Matador, sans oublier l’année dernière son duo avec l’australienne Courtney Barnett.  Le Childish Prodigy a réussi à faire bouger un peu les pions sur l’échiquier poussiéreux du rock americana, en se forgeant un son personnel, à la croisée du classic rock et de la folk US (Tom Petty, Dylan, John Fahey, mais aussi Suicide) transfiguré par des guitares laid-back et textures atmosphériques parasités. Avec en sus évidemment  cette voix nonchalante si… “malkmusienne” ! Sur son cinquième album, Wakin’ on  a Pretty Daze (2013), son plus populaire à ce jour, l’autre “K” de Philly se payait même une pochette culte, où désormais tout indie rocker de passage en ville, se doit d’aller en pèlerinage faire son selfie.

 

On notait pourtant une petite stagnation sur son précédent B’lieve I’m Goin Down… (2015), qui montrait pour la première fois quelques signes de redite, voire d’essoufflement (le titre peut-être le confesse), même si demeure encore quelques éclats (« Pretty Pimpin’ », « Weelhouse »). Force est d’admettre que notre engouement des débuts laissait place à une attente mesurée de ce septième opus. Contre toute attente, ce Bottle In It, parvient à redresser la barre. Même si loin d’être parfait, l’album renoue avec ce petit artisanat miraculeux, comme du temps des premiers disques de Vile, guidé par ses bricolages instinctifs qui faisaient tout leur charme.

Distinguons toutefois le fond de la forme. On ne peut pas dire pour autant que Bottle In It est un disque fauché et sédentaire : les 13 compositions ont été écrites lors de longues tournées à travers les Etats-Unis, puis enregistrés à Los Angeles, Portland, Bridgeport, Brooklyn et bien sûr Philadelphie.  Autre élément important, si Kurt Vile est producteur de l’album, il n’est pas le seul à avoir la main sur le curseur. On note la présence de deux kadors, Peter Katis (The National, Interpol) sur cinq titres, et Rob Schnapf (Elliot Smith, Beck) sur quatre autres. Sans oublier, son éminence noire, le multi-instrumentiste Rob Laakso, (Ex Swirlies et Mice Parade) membre officiel des Violators depuis 2011, en remplacement d’Adam Granduciel (The War on Drugs), qui a pris progressivement du galon, jusqu’à produire deux titres de ce nouvel album.

Une drôle de mélancolie détachée

Kurt Vile, n’est pas un songwriter tourmenté, mais plutôt le genre observateur, un peu en retrait, un brin rêveur, porteur d’une drôle de mélancolie détachée. Il nous transporte dans sa psyché ordinaire, profondément de son temps finalement, et c’est pour cela qu’on peut si facilement assimiler son univers.  

En ce qui concerne l’instrumentation c’est pourtant une autre histoire sur Bottle In It, nous avons affaire à une musique dense et sophistiqué.  Kurt Vile est un songwriter faussement roots. Il a pourtant bien essayé de virer plus traditionnel sur le précédent B’lieve I’m Goin Down, mais a perdu de sa magie en chemin. Avec Bottle It In, le Philadelphien semble ainsi retrouver une vive passion pour l’exploration sonique. Parmi les treize titres de l’album, les plus longs sont aussi les plus aboutis de sa carrière.  “Bassackwards” qui s’étire sur près de dix minutes, est une folk song onirique captivante qui prend son temps pour développer sa transe (ses bandes à l’envers à la “Revolution 9”) superbe de bout en bout. Autre pavé fascinant, la chanson titre de l’album, Bottle It In, donne l’impression d’avoir été enregistré en autarcie dans un sous-sol avec un ukulele et une rythmique trip hop, accompagné dans l’ombre par les choeurs d’un autre brillant slacker, Cass McCombs.

Si on retrouve encore quelques repères folk-rock classique – « One Trick Ponies » d’obédience country pop,  la reprise assez sobre de « Rollin With The Flow » de Charlie Rich, ou encore Hysteria et sa superbe descente d’accord sur douze-cordes folk – Kurt Vile s’autorise ailleurs une grande variété d’ambiances –  “Come Again” et son étonnante ambiance afro-banjo, ou ce “Yeah Bones” complexe dans sa structure rythmique.  Même sur « Cold As The Wind », un des derniers titres qui clôt l’album un peu mollement, on peut tout de même sentir ce plaisir du jeu et de l’expérimentation Lo-Fi.

On vous a gardé le meilleur pour la fin. Le sommet de l’album est sans conteste, “Check Baby”, avec une batterie très en avant, boosté par un de ces arpèges hypnotique dont Vile a le secret, doublé en arrière-fond par quelques claviers inquiétants dignes de la BO du premier Terminator… Et la voix de Vile qui traîne génialement, cette fois presque défiante (faut pas pousser non plus). Sept minutes au total, mais on ne s’y ennuie pas un seul instant. A la fois minéral et nature, Bottle It In contient un des crus les plus solides et charpenté du K de Philadelphie.

Matador/Beggars – 2018

Concerts :

21/10 – Lyon / L’Epicerie Moderne

28/10 – Bordeaux / Rock School Barbey

29/10 – Paris / La Cigale

 

Tracklisting :

  1. Loading Zones
    2. Hysteria
    3. Yeah Bones
    4. Bassackwards
    5. One Trick Ponies
    6. Rollin With The Flow (Charlie Rich cover)
    7. Check Baby
    8. Bottle It In
    9. Mutinies
    10. Come Again
    11. Cold Was The Wind
    12. Skinny Mini
    13. (bottle back)