L’icône rock californienne passe à la moulinette garage quelques standards de Lennon, The Loner, le Dead, Amon Düül II, et bien d’autres. Décapant.


Quand on parle d’albums de reprises, on a le plus souvent tendance à penser à une nouvelle galette de Nolwenn Leroy, ou autre plat indigeste proposé par les Enfoirés. Souvent mal aimée des mélomanes français à tendance Rock, la reprise est perçue au mieux comme un manque d’inspiration (et un besoin urgent de rentrée d’argent pour payer au hasard… un divorce) pour les artistes confirmés, et au pire, comme de l’amateurisme : ce fameux groupe qu’on vous a obligé à applaudir un soir de Fête de la musique (parce que votre neveu y faisait office de batteur). Chez les anglophones, la tradition est différente:  les jeunes groupes ont beau ne pas encore maîtriser correctement leurs instruments, l’appétit créatif est tel qu’ils se mettent à composer sans passer par l’étape des reprises.

Comment justifier alors un album de reprise de Ty Segall ? Le Californien est reconnu mondialement pour son hyper-activité autant que pour son hyper-créativité : on n’ose penser à un manque d’inspiration.  La promo parle d’une volonté de rendre hommage à des chansons qui l’ont obsédé. La belle affaire ! Et pourtant…

« Lowrider », traitant d’un cliché Hip Hop (vous savez, la voiture tuné et surbaissé qu’on peut faire sautiller), #7 au Billboard US en 1975,  fut déjà repris par Korn pour une version cool sur le culte Life Is A Peachy, et samplé un grand nombre de fois, notamment par les Beastie Boys et Offspring. Ty Segall prend le contre-pied et tourne cet hymne funk en Glam-Rock lent, ponctués d’effets inquiétants, tout sauf funk, mais assez dépouillé, comme l’originale. Sur « Isolation », un « léger » changement bouleverse tout : le piano devient guitare, et, bien que la voix de Ty colle étrangement à celle de John Lennon, l’humeur de ce classique s’assombrit grandement, et semble ainsi plus en adéquation avec les paroles, plutôt pessimistes.

 

Espiègle, le joufflu blondinet se permet de surclasser la distorsion du « Rotten to the Core » de Rudimentary Peni. Et on imagine son plaisir, une fois adulte, à parfaire les derniers détails d’un titre qui lui a fait remuer la tête devant le miroir de sa chambre, un balai en guise de guitare, quand il était enfant. Très éclectique, Fudge Sandwich (dont l’hideuse pochette nous ferait presque regretter celle de Joy, paru il y a quelques mois en compagnie de White Fence) se permet, sans transition, d’accélérer le tempo, à l’image de la paisible « St Stephen » de Grateful Dead, qui ici aurait bizarrement pu trouver sa place sur l’album de reprises Punks/hardcore de Slayer.

Pour le reste, de « I’m A Man » du John Spencer Trio, passé intégralement (et avec brio) dans la moulinette Segalienne, a une version musclée de « The Loner » (Neil Young), en passant par une version plus rudimentaire et presque garage de « Pretty Miss Titty » (Gong), Ty Segall s’offre ses idoles sans trop respecter leurs compositions. A la différence de Ty Rex (son autre album de reprise, dédié à l’œuvre de T.Rex), Fudge Sandwich s’affiche fièrement comme un album de Ty Segall, vénérant le passé, et rendant le présent tout à fait excitant.

In the Red Records/Diffe-rant – 2018

http://www.ty-segall.com/

Tracklist :

01 Lowrider (War)
02 I’m a Man (Spencer Davis Group)
03 Isolation (John Lennon)
04 Hit It and Quit it (Funkadelic)
05 Class War (The Dils)
06 The Loner (Neil Young)
07 Pretty Miss Titty (Gong)
08 Archangel Thunderbird (Amon Düül II)
09 Rotten to the Core (Rudimentary Peni)
10 St. Stephen (Grateful Dead)
11 Slowboat (Sparks)