Malgré 15 ans de mise en sommeil, David Bazan a gardé sa crinière resplendissante, sur un 5e album plus remonté et introspectif que jamais.


David Bazan aime bien faire les choses à l’envers. Du moins, c’est l’impression que nous donne ce songwriter américain. Son groupe, Pedro The Lion, n’en a jamais été un à proprement parler. Cet ex batteur issu de la scène hardcore 90’s, fils de pasteur et fervent chrétien, est connu comme seul maître à bord sur ses quatre albums enregistrées de 1998 à 2004, ce dernier allant jusqu’à assurer dessus toutes les parties instrumentales (batterie inclue). Quatre albums à la mélancolie rêche, à la croisée du Zooma de Neil Young et de Mark Kozelek, qui ont laissé une griffe particulièrement profonde sur le rock alternatif de la fin des années 90, plus particulièrement avec les grandioses It’s Hard To Find a Friend (1998) tendance folk rock et Control (2001) tendance post-rock.

La dernière trace de Pedro The Lion remonte à l’album Achille Heel (2004). Lassé par son carcan solitaire, Bazan se remet en question et décide, afin de collaborer avec d’autres musiciens, d’enregistrer désormais sous son propre nom – quand on vous dit qu’il fait tout à l’envers. Quinze ans plus tard, après une bonne poignée d’albums solo, sans oublier Overseas (2013), super groupe formé avec les frères kadane (Bedhead), voilà que le lion repointe de nouveau son museau dans la savane indie rock.

Et Bazan semble vouloir rattraper le temps perdu : Phoenix, cinquième album de Pedro The Lion, est annoncé comme le premier d’une série de cinq à venir. Vous avez bien lu, cinq albums. Le Phoenix dont il est question ici n’est pas exactement de l’oiseau légendaire – bien que l’allusion à la renaissance soit délibérée -, mais de la ville d’Arizona où Bazan a grandit (depuis sa naissance en 1976 jusqu’à 1989) et où réside toujours ses grands parents.  Pour Bazan, les prémisses de ce nouvel album ont germé là-bas, lors d’une simple étape de tournée à Phoenix en 2016 qui se transforma en quête identitaire. Parti en pèlerinage jusqu’à son ancien quartier, il peine à reconnaître les lieux de son enfance, tant le temps et l’urbanisation avaient fait leur ouvrage. C’est là qu’a germé l’idée d’un retour aux sources, des chroniques de son enfance dans sa banlieue de Phoenix, par l’intermédiaire de son ancien nom de scène. Car au-delà de l’opportunité de reformer Pedro The Lion, ce retour pour Bazan est autant un moyen de se reconnecter avec lui-même et certains points avec lesquels il avait coupé les ponts.  

Produit par Andy Park (Pearl Jam, Death Cab For Cutie), l’album a notamment été enregistré avec Erik Walters (guitare, vocaux) et Sean Lane (batterie), rompant ainsi avec la méthode autarcique de Bazan sur les quatre premiers opus. Une émancipation formelle que l’on ressent sur l’intégralité ces treize compositions sans réel temps mort. Achille Heel (2004), préfigurait pourtant l’orientation solo de David Bazan, en s’éloignant des codes slowcore pour des compositions plus arrangées et classiques, dans une version épurée de Death Cab For Cutie. Phoenix emprunte également cette trajectoire, renoue avec le versant mélodique et direct d’Achille Heel, tout en servant de trait d’union avec le côté habité de It’s Hard To Find a Friend (1998) : on ressent comme une excitation tangible, une volonté d’accélérer le tempo, d’élever les guitares électrique, sans lourdeur mais à fleur de peau.

A l’instar du vibrant « Yellow Bike », qui dès sa première minute renvoie sans ménagement Cloud Nothings dans ses pénates. Bazan se rappelle le souvenir de son premier vélo offert à l’âge de 6 ans, cette sensation inédite de liberté,  illustré d’un joli clip vidéo  (son fils incarne le rôle principal). Les guitares durcissent le grain mais la mélodie demeure claire sur les intenses « Model Homes » et « Clean Up » (à rajouter aux classiques « Indian Summer » et « Big Trucks »), ou encore sur « Powerfool Taboo » et son mémorable refrain, diatribe sur les évangélistes.

De mémoire, la voix de Bazan, est rarement montée aussi haut que sur « Clean Up » et « My Phoenix », tandis que sur le poignant « Black Canyon », celle-ci traîne son spleen affectée. Les paroles de « My Phoenix » servent d’exutoire à Bazan quant à son rapport complexe avec un père pasteur “If the vision of the Christ My family sees, Is not the revision’s greatest enemy”.

Plus remonté et introspectif que jamais, Pedro The Lion négocie avec grande classe  son retour aux affaires. Le lion est mort ce soir, vive le lion.

Polyvinyl – 2019

https://pedrothelion.com/

 

Tracklist:

  1. Sunrise
  2. Yellow Bike
  3. Clean Up
  4. Powerful Taboo
  5. Model Homes
  6. Piano Bench
  7. Circle K
  8. Quietest Friend
  9. Tracing The Grid
  10. Black Canyon
  11. My Phoenix
  12. All Seeing Eye
  13. Leaving The Valley