Le songwriter et guitariste Steve Gunn sort de son étui sa six cordes et nous ne sommes pas déçus du récital.


Du bel ouvrage vraiment cette nouvelle livraison de l’ami Steve Gunn. Certes, elle requiert une écoute attentive et répétée (les compositions d’obédiences folk rock sont très classiques) mais immanquablement on accrochera à ces mélodies au final de grandes qualités. Elle est traversée par de flamboyants arpèges de guitares atmosphériques ou à l’opposé par quelques pickings plus acoustiques, la production est ad hoc car très claire et aérienne, chaque pincement de cordes ou riff de guitares est clairement perçu et mis en valeur, les climats sonores un brin psychédéliques sont cosy et complexes ; généreux sur la durée chaque morceau plante durablement le décor, bien intégrée aussi la voix de Gunn reflète un état de tranquillité et de sérénité.

Le musicien brooklynois et natif de Pennsylvanie est un régulier de la scène indie et folk depuis plus d’une décennie, il y endosse alternativement différentes casquettes au gré de ses multiples pérégrinations musicales. Récemment il a produit, joué de la guitare et de la batterie sur le dernier opus (True North) du vétéran Michael Chapman ; il a par le passé collaboré avec Mike Cooper (Cantos De Lisboa, 2014) un autre guitariste des années 70, il s’est aussi penché sur la destinée musicale d’une artiste folk – la japonaise Sachiko Kanenobu – qui eut l’illustre honneur en son temps de se faire produire (deux titres) par le géant et visionnaire Philip K. Dick. Ses goûts musicaux sont éclectiques, il reprend les Misfits (formation punk rock US fétiche de son adolescence), le guitariste Jack Rose était son guide (c’est à lui que Gunn a fait écouter ses premiers enregistrements et maquettes sortis tout droit à l’époque de sa chambre à coucher), il a débuté en collectif au sein de The Violators l’ex formation de Kurt Vile. Cette liste est très incomplète, mais ce tout feu tout flamme collaboratif dénote un musicien passionné qui fuit la routine.

Sur ce deuxième LP à sortir chez Matador, Steve Gunn recherche la spontanéité. Pour mener à bien ce noble projet il a convié son ami et producteur James Elkington qui apporte toute son expertise et sa connaissance de la scène anglaise des 40 dernières années. L’équipe s’est également étoffée de Tony Garnier le bassiste de Dylan depuis 1989. Tous les musiciens ont ensuite recherché la simplicité en enregistrant en un minimum de prises. Le produit fini est un petit bijou de folk atmosphérique et psychédélique. Cette nouvelle méthode de travail a aussi eu pour conséquence d’éloigner Gunn de ses premières influences (l’école John Fahey ou Sandy Bull). Il a par voie de conséquence remisé son jeu de guitare improvisé et expérimental.

Démonstration sur l’excellent et très abordable “Vagabond” (titre inspiré par le film d’Agnès Varda) où Steve Gunn chante comme Robert Forster (Go-Betweens) et où Meg Baird (ex Espers) assure les chœurs angéliques ; la mélodie aux réminiscences country semble elle très spontanée, elle est en tout cas emballante.

L’autre versant stylistique de cet opus est un pic émotionnel : “Stonehurst Cowboy” est la seule composition totalement acoustique de cette nouvelle production, l’enregistrement a été instinctif, les textes très personnels sont directement inspirés par le père de Steve Gunn décédé d’un cancer dans les semaines qui ont suivies la parution de son précédent LP (Eyes On The Lines, 2016). Combinée à la contrebasse de Garnier (qui fut la propriété de Charles Mingus) la guitare acoustique accompagne cet hommage qui sonne comme une réconciliation définitive. “Luciano” est de la même trempe, Meg Baird revient aux chœurs et crescendo le tempo s’accélère, quelques secondes de guitares gentiment saturées finissent même par emporter le morceau. Ah oui, Luciano est un chat !

“New Familiar” est le titre le moins formaté de tous. Steve Gunn a déniché le bon accord qu’il a plaqué sur toute la longueur du morceau. Les musiciens font ensuite leur beurre autour de cette colonne vertébrale sonore minimaliste : quelques longues secondes de pickings d’american primitive précèdent une montée en tension, la mélodie s’étoffe alors et les musiciens se lâchent. Un peu comme le sujet de cette chanson : la paranoïa après l’élection de Trump.

De cet opus s’échappe un vrai plaisir d’écoute : “Chance” par exemple, affiche même par instant quelques similitudes folky avec ce qu’a pu produire le chicagoen Ryley Walker (mais celui des années antérieures), on entend aussi le meilleur sur le merveilleux “Morning Is Mended”, Gunn y expérimente la fusion de deux guitares acoustiques, l’ambiance lunaire de la mélodie est illuminée par une nappe de synthé nocturne.
Amateurs de guitares, l’invisible est au bout de la route !

Matador – 2019

https://www.facebook.com/therealstevegunn/

Tracklisting :

  1.  New Moon
  2. Vagabond
  3. Chance
  4. Stonehurst Cowboy
  5. Luciano
  6. New Familiar
  7. Lightning Field
  8. Morning Is Mended
  9. Paranoid