L’esthète pop Robert Forster apprécie la vie. Nous aussi, mais un peu plus par le prisme de son superbe septième album.


On adorait vraiment les Go-Betweens… mais aujourd’hui plus trop besoin de longs discours pour encenser une nouvelle fois ce collectif des antipodes. Cette formation n’est plus, un de ses piliers, le regretté Grant McLennan (1958-2006) a quitté bien trop tôt ce monde, reste aujourd’hui pour transmettre la flamme et une partie de ce patrimoine musical, son meilleur acolyte et ex partenaire Robert Forster (qui lui a d’ailleurs consacré un beau livre de souvenirs sur Grant & I en 2016).
Ce duo de songwriter a comblé toutes nos attentes en matière de pop ; ils ont représenté la quintessence de la formation pop indépendante. Ces deux artistes possédaient tout le talent pour composer sans peine des chansons qui parlaient à beaucoup. Trois décennies, dix albums (neuf sans les singles) et le plein de classiques, The Go-Betweens c’était l’alchimie idéale d’un collectif presque sans histoire malheureusement passé à travers les mailles du filet de la reconnaissance.

À rebours, on a aussi beaucoup apprécié leurs albums solos respectifs gorgé également de compositions emballantes et un chouia plus personnelles. Grant, le maestro de la pop ensoleillée avait touché le graal avec son double album Horsebreaker Star en 1994, quand à Robert Forster (adepte de l’école Velvet / Lou Reed) avec son tout premier album de 1990 Danger In The Past  il n’est pas loin d’être encore un de nos préférés.

Forster renoue aujourd’hui avec ce glorieux passé en faisant de nouveau appel au producteur et ingénieur Victor Van Vugt avec lequel il avait déjà officié sur Danger In The Past. Basé à Berlin, Van Vugt est particulièrement apprécié par Forster notamment pour son travail minutieux sur la voix et sa maîtrise brillante et audacieuse du son – dixit Robert. Pour l’écriture à l’instar de Songs To Play son précédent opus, Forster ne décolle plus de Brisbane. Son chez soi est un puissant moteur d’inspiration. « Inferno (Brisbane In Summer) »; qui donne le titre à son disque (et la météo locale !), est explicite et « chaud bouillant ». Ça rock sympathiquement, les guitares sont excitées comme jamais et le piano frénétique. Cette mélodie dégingandée se contorsionne un peu follement, Forster se fait vraiment plaisir, sa voix joueuse fuse dans tous les sens.

Le modus operandi du musicien de Brisbane repose comme toujours sur l’affect, y sont proscrits le travail à la chaîne et les cadences infernales. Ça commence dès l’écriture (il n’a jamais composé de Sandinista (triple album)) ; l’impeccable Inferno c’est donc neuf titres écrits à son rythme et 35 minutes de bonheur sans fioriture et en toute modestie, puis ça se poursuit  à l’enregistrement : vite et bien fait (à peine 1 semaine) dans le Riverside Studios à Berlin avec quelques musiciens triés sur le volet (Earl Harvin (Tindersticks) à la batterie, Scott Bromiley à la guitare et à la basse, Michael Mühlhaus au piano et sa femme Karin Bäumler au violon, glockenspiel et chant) ; tout ce beau monde capté dans les conditions du direct. Van Vugt a idéalement produit l’objet final. Sur Inferno les mélodies sont chaleureuses et agréablement homogènes. Le timbre de voix de Forster coiffe magnifiquement le tout. L’archet de Bäumler s’exécute avec parcimonie et nous remémore aussi quelques fameux moments révolus.

Inferno s’ouvre sur l’adaptation d’un poème de WB Yeats. “Crazy Jane on the Day of Judgement” est une merveilleuse ballade. La poésie peut être belle mais sous la houlette de Forster elle est magnifiée. On apprécie ici l’épure de l’instrumentation et sa mélancolie générale (le piano en particulier).

L’intro à la guitare du morceau suivant sonne très Go-Betweens. Normal, son titre est ‘No Fame’ ! “I don’t need no fame” chante même avec entrain Forster. C’est excellent de bout en bout. Depuis le début Karin Bäumler participe discrètement aux chœurs et apporte une touche féminine bienvenue.  Elle est encore plus présente sur le languide “The Morning” qui étire tendrement sa mélodie. On tourne ensuite la page et on gagne un cran en décontraction. Nul besoin de photo-finish : “Life Has Turned A Page” est la mélodie la plus cool. Xylophone, glockenspiel et guitares sont en mode semi acoustique ; la situation est claire : l’été est là et l’océan reste notre seul horizon.

Puis retour aux fondamentaux Forsterien avec “Remain” qui est dans la forme plus raide et basique. Rien ne viendra adoucir son tempo, pas même le violon quelque peu dissonant de Karin Bäumler. Comme souvent Forster a le ‘Le Goût des autres’. Sa composition “I’ll Look After You” est un autre délicat aparté ; c’est aussi sur ce titre que la formation au complet dans le studio d’enregistrement de Berlin a trouvé la première fois le bon son qu’ils recherchaient.

S’il ne devait en rester qu’un, “One Bird In The Sky” serait celui-là ! Cette prenante et émouvante  ballade acoustique est une ode mélancolique à la vie et à la liberté illustrée par de magnifiques parties de cordes et de guitares.

Tapete Records / 2019

https://www.tapeterecords.de/

https://www.facebook.com/robertforsterofficial/

Tracklist :

  1. Crazy Jane On The Day Of Judgement
  2. No Fame
  3. Inferno (Brisbane in Summer)
  4. The Morning
  5. Life Has Turned A Page
  6. Remain
  7. I’ll Look After You
  8. I’m Gonna Tell It
  9. One Bird In The Sky