Sur un vertigineux quatrième album, Weyes Blood nous offre un joyau de pop baroque rétro, qui éblouit déjà 2019 et ses abysses.


Une nouvelle comète est en orbite. En 2016, Weyes Blood, nom du projet mené par la californienne Natalie Mearing, avait déjà ébranlé la planète pop avec l’exquis Front Row Seat to Earth. Ce bijou de folk-pop psyché d’une très juste fantaisie atteignit le succès critique et ouvra à sa joaillière les portes de la renommée mondiale. Début avril est sorti Titanic Rising, un quatrième joyau galactique, qui nous inonde de ses mélodies enchanteresses. Pour ce 4e album, le mythique label Sub Pop a d’ailleurs pu attirer dans ses filets l’Américaine installée à Los Angeles. Plutôt seule aux commandes de son navire depuis le début de son projet musical en 2011, cette dernière sait également s’entourer de fins sorciers. Jonathan Rado, du groupe Foxygen, a ainsi participé à la production de ce nouvel album. Chris Cohen avait, lui, laissé sa griffe sur l’avant-dernier.

Weyes Blood nous happe dès le début de son expédition baroque avec A Lot’s Gonna Change, romantique et mélancolique ballade, où les menaçantes couches d’orgues et un précieux piano-voix laissent rapidement place aux mêmes méandres mélodiques richement orchestrés, qui convoquent les fantômes de figures pop des années 60-70, Karen Carpenter et Joni Mitchell en tête. Sur ces textures rétros faites de cordes, claviers et chœurs en reverb, se pose avec aplomb une voix libre d’une puissance sereine et médiévale, avec ce qu’il faut en léger écho pour qu’elle paraisse flottante et intemporelle.

Cette voix, à l’écoute des titres suivants, dont l’hypnotique Andromeda, a le don magnétique de nous emporter dans les tourbillons vécus et restant à vivre de l’être humain. Personne ne connait encore la partie immergée de l’iceberg des problèmes qui surgissent au-devant de notre ère moderne, et Mearing s’en amuse presque à bord de son Titanic, en abordant aussi bien les relations amoureuses que les futures catastrophes écologiques. Dans l’argumentaire du disque, elle nous fait remarquer que la fonte des icebergs responsables de la célèbre catastrophe maritime de 1912, est aujourd’hui un des pires symptômes de la dégringolade de notre époque. Autrement dit, la fonte de ce qui nous faisait couler hier, risque de nous submerger aujourd’hui. A commencer par nos chambres d’ado et leurs posters de popstars, telle que celle apparaissant sur la pochette.

Sur le magnifique Wild Time, elle chante, dans son style vocal harmonique caractéristique, « Don’t cry, it’s a wild time to be alive ». Une ironie mordante et lucide ne traîne jamais loin de sa création, il suffit de voir ses malicieux clips musicaux pour s’en convaincre. Le clip de Everyday est la bande-annonce d’un film d’horreur pour teenagers des années 80, où Mearing incante, avant des effluves de sang, « True love is making a comeback ».

Les parents de l’artiste, religieux pratiquants born again christians, ont autrefois fait chanter leur petite fille à l’Église dans des chorales gospel de Pennsylvanie. Ayant aujourd’hui atteint la trentaine, Mearing a gardé une interprétation vocale penchant vers une certaine transcendance. Alors que la génération avec laquelle nous vivons nous réserve des finalités encore inconnues de plus en plus incontrôlables, l’écoute de Titanic Rising nous fait le serment que cette dernière mérite pourtant plus que jamais d’être creusée artistiquement. Et l’ombre des seventies dont cet album surgit revient hanter le temps présent. C’est ce savant mélange de racines musicales folk traditionnelles et kitchs superbement remises au goût du jour par de subtiles sonorités psychédéliques, qui fait toute la richesse de la musique de Weyes Blood.

Alors que l’album contient souvent une vertu méditative presque libératrice sur le sel de notre époque, Titanic Rising, le morceau éponyme, est une transition instrumentale qui refait planer au-dessus de nous une menace imminente. Et nous replonge vers le synthé psychédélique de Movies puis l’introduction brumeuse et effrayante de Mirror Forever, aux premières paroles en forme de constat amer : « No one’s ever gonna give you a trophy, for all the pain and the things you’ve been through ».  On en revient alors à la pochette d’album et son image aquatique : profitons-en pour filer la métaphore. Titanic Rising fonctionne comme un flux et un reflux, tantôt d’angoisses et de doutes, tantôt de mélodies matant le spleen, à la manière des féroces vagues touchant les plages californiennes.

Dans le genre reflux de spleen, Everyday détonne, en proposant un titre enjoué au tempo beaucoup plus rapide, qui aurait assurément pu être un standard pop festif il y a quelques décennies. Mais il n’est qu’une parenthèse, ici, face au déroulement tranquille des mélodies nébuleuses et lancinantes du reste de l’album. Une œuvre flamboyante qui n’en finit pas de déployer ses multiples pouvoirs au fil de nos différentes écoutes, et dont on n’a pas fini d’entendre parler en cette année 2019.

 

Sub Pop Records / Pias 2019

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TRACKLIST :

  1. A Lot’s Gonna Change
  2. Andromeda
  3. Everyday
  4. Something to Believe
  5. Titanic Rising
  6. Movies
  7. Mirror Forever
  8. Wild Time
  9. Picture Me Better
  10. Nearer to Thee