Beth Gibbons est prise dans le grand tourbillon mélancolique et méditatif de la 3ème symphonie du compositeur polonais Henryk Górecki.


La Troisième Symphonie du compositeur polonais Henryk Górecki est à la musique classique et contemporaine ce que le Köln Concert de Keith Jarrett est au jazz. Un « best-seller ».
En avril 1992, le label Nonesuch va en effet toucher le pactole avec la symphonie No. 3 opus 36 (dite « Symphonie des chants plaintifs »). Górecki l’avait écrite en 1976, pour cet enregistrement elle est interprétée par la soprano Dawn Upshaw sous la direction du chef d’orchestre David Zinman et du London Sinfonietta. Son succès sera phénoménal et sans précédent ; au final plus d’un million d’unités seront écoulées. Cette réussite commerciale (d’un autre temps) reste très exceptionnelle pour la musique classique contemporaine. Il propulsera cet enregistrement hors du cercle restreint de son public habituel.

Henryk Górecki (1933-2010) était un compositeur avant-gardiste et minimaliste qui débuta sa carrière par des œuvres atonales (règles des notes et des accords non respectés) ; ce style est jugé assez sévère et difficile d’accès pour le profane. Steve Reich, Philip Glass, Arvo Pärt,… sont ses collègues. La 3ème symphonie marquera un virage pour le musicien polonais, elle sera emblématique et actera de son évolution vers des territoires musicaux plus expressifs et populaires, ses mélodies respecteront alors d’avantage les codes de l’harmonie, sa musique sera donc qualifiée de tonale.
Elle fut présentée  la première fois en France au festival de Royan en 1977 et fût dénigrée par certains de ses pairs (Pierre Boulez par exemple) car jugée trop simpliste, elle tombera finalement en désuétude jusqu’à cette fameuse remontée de sève d’avril 1992.

Des artistes provenants d’autres horizons se sont aussi frottés à cette suite : comme par exemple le saxophoniste expérimental Colin Stetson (Arcade Fire, Bon Iver…), ou bien encore les post-rockeurs canadiens de Godspeed You ! Black Emperor, qui ont rebaptisé (pour la scène) leur morceau “Moya” – (extrait de leur ep Slow Riot for New Zerø Kanada ) – du nom du compositeur Polonais.
Aujourd’hui c’est au tour de l’ensorcelante Beth Gibbons de s’approprier cette œuvre magnétique, 11 ans après Third le dernier opus de Portishead. Cette nouvelle réinterprétation de Gorecki est soutenue par l’Orchestre Symphonique National de la Radio Polonaise et dirigée par le chef d’orchestre et illustre compositeur polonais Krzysztof Penderecki, qui fut un contemporain de Górecki. Elle a été immortalisée en novembre 2014 au National Opera Grand Theatre de Varsovie.

On entend déjà le brouhaha ou pire, la fronde des irréductibles gardiens de chapelle : Beth Gibbons vient de la musique populaire, elle ne lit pas la musique, sa tessiture de voix (contralto) est un registre plus bas que la soprano américaine Dawn Upshaw (base de référence et norme pour cette symphonie), elle ne parle pas polonais…
Avant de se lancer dans le grand bain la musicienne du Royaume-Uni  a donc pris ses précautions en se préparant comme une professionnelle respectueuse de cette œuvre ; elle a travaillé sa voix spécifiquement et appris phonétiquement son texte avec une traduction explicite en parallèle.

Oh ! Beth, voix fascinante du groupe Portishead, sauras tu relever ce nouveau défi ?
Oh ! Beth, voix troublante du groupe Portishead, sauras tu nous faire apprécier la musique classique contemporaine ?

Cette œuvre de Górecki est hantée par son histoire personnelle, elle est aussi placée sous le signe du deuil et centrée sur les relations mère-enfant, elle se décompose solennellement en trois longs mouvements mélancoliques et songeurs. Le chant du premier mouvement et le plus long (24 minutes) – “Lento – sostenuto tranquillo ma cantabile” – est une lamentation polonaise du XVe siècle, aux textes poignants et épurés.
Ce mouvement débute par quelques frottements de cordes à peine audibles puis tout vient se mettre religieusement en place. Les cordes et les basses montent crescendo en tension dans une lente et belle ascension pour découvrir au bout de 13 minutes le chant assez méconnaissable de Beth Gibbons. Haut perché (voire un peu forcé) à la limite de l’inconfort il semble donner raison aux grincheux et snobinards, mais bien vite on se fait à cette ‘nouvelle’ Beth Gibbons. Sa voix est lyrique et traversée par des imperfections, elle reste très humaine et pas formatée professionnellement comme on peut le ressentir à l’écoute de sopranos de métier.

Le deuxième mouvement, “Lento e largo – tranquillissimo”, chante le texte d’une prière inscrite par une jeune fille de 18 ans sur les murs d’une cellule de la Gestapo. Ses premières minutes sont envoûtantes. La voix de Gibbons est ici plus musicale et basse en tonalité. On ne comprend pas le Polonais pourtant magnifié par la musicienne, on ne retient que l’enveloppe de son chant et sa musicalité. Ce passage sombre et mélancolique remonte beaucoup d’émotions. De cette symphonie transparaît beaucoup de tristesse mais aussi de l’espoir. C’est cette séquence qui offrira la renommée à Górecki.

Le troisième mouvement “Lento—Cantabile- Semplice” illustre une chanson populaire et traditionnelle silésienne. À nouveau un ton plus haut l’interprète anglaise parvient à maîtriser sa voix pourtant poussée dans ses retranchements. Beth Gibbons est totalement investie dans son interprétation et fait corps à la musique. Les cordes de l’orchestre National de la radio Polonaise dirigé par Penderecki accompagnent très sobrement la soliste anglaise malgré la densité importante de musiciens. L’atmosphère musicale est particulièrement élégiaque ; y affleure énormément  de troubles. C’est l’instant du souvenir. C’est le temps de la communion spirituelle.

Domino Records / 2019

https://www.facebook.com/officialbethgibbons/

http://www.dominorecordco.com/

Tracklisting :

  1.  Lento— Sostenuto Tranquillo Ma Cantabile
  2. Lento ELargo— Tranquillissimo
  3. Lento—Cantabile- Semplice