Nouvelle aventure pour l’ex Silver Jews et beautiful loser David Berman, qui distille sa dépression sur les arrangements étoffés de membres de Woods. 


Hasard de l’actualité, David Berman suit de près les traces Bill Callahan sur le devant de la scène médiatique. Soit le retour événement de deux piliers de la scène rock alternative US des années 90. Deux songwriters discrets, tous deux guère réputés pour leurs chansons guillerettes : jusqu’ici, leur fond de commerce affectionnait plutôt le narcissisme et la dépression. D’où notre étonnement à l’écoute de Sheperd in a Sheepskin Vest de Bill Callahan, le quinquagénaire qui se faisait autrefois appeler Smog vient de mettre fin à six années de hiatus en publiant un double album apaisé – le mariage et la paternité aidant –  qu’on pourrait se risquer à qualifier d’optimiste. Franchement, qui aurait cru pouvoir écrire – et surtout entendre – ça un jour de Bill Callahan ? 

Cette fameuse “sérénité” acquise avec l’âge, l’ex Silver Jews n’en a manifestement pas jouit à l’écoute de son nouveau projet Purple Mountains. Daniel Darc disait « j’aurais adoré pouvoir écrire des chansons heureuses, hélas ce n’est pas ma vie ». Cette phrase pourrait aussi bien sortir de David Berman. En hibernation depuis la dissolution de Silver Jews voilà 11 ans (quasiment le double d’absence de Callahan), le songwriter, dessinateur et poète chante en 2019 sa stagnation, et le temps n’arrange manifestement rien à ses affaires. Sa retraite musicale ne semble avoir été qu’une longue dépression, sentiment qui transparaît dans ses paroles, tombées littéralement au fond du trou, dès les deux premiers morceaux de l’album, That’s Just The Way That I Feel, qui fait un cinglant état des lieux de sa psyché , et All My Happiness is Gone, avec son refrain sauvé des abysses par une superbe partie de mellotron. Plus loin, Darkness and Cold, donne rien qu’à son titre le programme des réjouissances… 

Toutefois, si le moral n’est pas au beau fixe, l’enveloppe instrumentale offre un brillant contre-balancier à la pesanteur des paroles. Grâce rendue à la production impeccable de Jarvis Taveniere et Jeremy Earle, membres de Woods et charpentiers réputés de la pop-folk acidulée tendance Byrds. D’ailleurs, Storyline Fever sonne d’ailleurs à s’y méprendre comme du pur Woods avec ces guitares sixties si caractéristiques, jusqu’à ce que la voix de baryton si singulière de Berman y appose sa signature et écarte le moindre doute. 

A vrai dire, nous n’avons pas entendu Berman aussi bien habillé depuis les premiers album de Silver Jews avec Stephen Malkmus. Adepte du minimalisme Lo-Fi, cette production étoffée mais jamais clinquante offre à ses compositions une respiration salutaire.D’ailleurs, Berman ne broie pas tout le temps du noir, on le retrouve même romantique sur Snow is Falling in Manhattan  (au passage, son recueil de poèmes sorti en 1999 vient d’être réédité chez Drag City), d’une grâce soulignée par une section de cuivres enivrantes, ou encore Nights That Won’t Happen, grandiose ballade mélancolique, avec ses choeurs féminins et ses arrangements mariachis de fin de révolution. Sans vouloir se réjouir du malheur des autres, le beautiful loser signe avec Purple Mountains une réussite artistique notable.

Drag City – Modulor  – 2019

www.dragcity.com/products/purple-mountains

 

Tracklisting :

  1. That’s Just The Way I Feel
  2. All My Happiness is Gone
  3. Darkness and Cold
  4. Snow is Falling in Manhattan
  5. Margaritas at the Mall
  6. She’s Making Friends, I’m Turning Stranger
  7. I Loved Being My Mother’s Son
  8. Nights That Won’t Happen
  9. Storyline Fever
  10. Maybe I’m the Only One for Me