Après plus de quinze ans d’absence, le retour inespéré d’une songwriter de premier plan, incarnation même de l’élégance pop et baroque.


On ne saurait trop remercier le parisien Mehdi Zannad d’avoir remis en selle voilà deux ans la songwriter américaine Erin Moran, plus connu sous l’alias A Girl Called Eddy. Après 13 années de silence, la musicienne d’origine new yorkaise nous est réapparue un jour d’automne 2018 avec The Last Detail, duo pop aristocratique formé donc avec l’esthète pop parisien Zannad, dont l’album fut unanimement encensé, notamment via une double page dans Libération. Pas mal pour quelqu’un qui cultive le silence…  

Retour en 2003. Erin Moran sous l’alias A Girl Called Eddy sort son premier album éponyme, tourbillon pop classieux aux envolés de cordes chatoyantes, le tout produit par Richard Hawley.  Le chant intimiste d’Erin Moran évoque aux entournures la pop-folkeuse Aimee Mann, mais l’écriture s’oriente plutôt vers la “grande” pop début 70’s, trait d’union rêvé entre le contrepoids mélodique de Carole King, Burt Bacharach pour les arrangements, et les pièces-montées baroque mijotées par les Carpenters (avant qu’ils n’abusent trop de sucre glacé). L’album est une pure merveille. Son producteur, Richard Hawley, est aujourd’hui une institution, mais remis dans le contexte de l’époque, le dandy de Sheffield ne l’est pas encore. 2003 est l’année de son envol, Lowedges, son premier chef-d’oeuvre sort la même année. Hawley est alors intouchable, et ce doublé miraculeux le prouve. A Girl Called Eddy et Lowedges préfigurent les merveilles à venir. 

 Pourtant, malgré l’accueil critique et les collaborations avec d’autres artistes (Super Fury Animals, Philippe Katerine…), Erin Moran disparaît de la circulation. Les ventes maigres et – à fortiori – le peu de soutien du label Setanta sont-elles les raisons de cet écart de plus de quinze ans ? Toujours est-il que durant ce laps de temps, l’Américaine installée à Londres ne donne plus sa priorité à la musique. Le mystère autour d’elle grandit, et il nous arrive parfois de lire son nom mentionné au hasard d‘un entretien ou sur les forums férus de pop exigeante.

Erin était pourtant toujours “dans les parages”, l’expression donne même son titre à l’album, Been Around. Et pour une fois, la déception qui accompagne  le hiatus si long d’un artiste, n’est pas au rendez-vous. Mieux, nous avons l’intime conviction que Been Around est même supérieur à son prédécesseur (mais le temps sera seul juge). Enregistré à Londres et à Nashville, Been Around reflète cette alliance culturelle transatlantique d’exception. D’un côté, la capitale de la pop, garant d’une certaine tradition anglaise. De l’autre, bien au-delà du mythe country, une ville à son apogée créatif dans les années 70, Glen Campbell et Jimmy Webb, le chic sophistiqué façon Burt Bacharach, et tant d’autres (Carole King, Laura Nyro… ). Been Around donne à entendre cette musique à caractère intemporel, cette exigence pop devenue trop rare et donc si précieuse.

Au lieu de nous faire le coup cliché de l’ouverture majestueuse, Moran signe plutôt deux ballades au piano tout en délicatesse – “Been Around’ et “Big Mouth”-, dans la veine sentimentaliste de Carole King, soulignés d’une section de cuivre aussi légère qu’une ballerine, juste assez pour ne pas totalement virer soul. Le charme opère d’emblée, mais le meilleur à venir. Comment en effet ne pas adhérer au refrain irrésistible de « Someone’s Gonna Break Your Heart », tube en puissance sous l’égide des Pretenders. Ou ce “Two Hearts” qu’on jurerait entendre la basse Hofner de McCartney marquer le rythme d’un pas entêtant. Tout un art ! Comment concevoir chimère pop plus raffinée que “Finest Actor” et son clavecin baroque délicieux ? Cette finesse absolue, nous la touchons peut-être sur “Charity Shop Window”, co-écrite avec le révéré Paul Williams, cultissime Someday Man…  Enfin, le splendide “Jody” et son vernis classieux façon Prefab Sprout, dont les paroles émouvantes évoquent la disparition inexpliquée d’un ami. Ce disque lui est dédié.

Been Around ignore la faute de goût. Bien au contraire, du bon goût, il y en a même à revendre tant ces douze compositions ne laissent rien au hasard et épousent un certain idéal pop. Somptueux.

Elefant Records/Differ-ant – 2020

www.facebook.com/AGirlCalledEddy

elefant.com/grupos/a-girl-called-eddy

Tracklist : 

1 Been Around

2 Big Mouth

3 Jodylyrics

4 Charity Shop

5 Someone’s Gonna Break Your Heart

6 Not That Sentimental Anymore

7 Two Hearts

8 Lucky Jack

9 Come To The Palisades!

10 Finest Actor

11 NY Manlyrics

12 Pale Blue Moon