La voix d’Interpol s’offre une accalmie en mode trio, sur un premier album élégant à la mélancolie posée.


Depuis son premier album Turn on The Bright Lights (2002), monolithe post-punk des années 2000, Interpol n’a quasiment jamais dévié de son esthétique monochrome, concentrée autour de guitares angulaires, rugueuses, répétitives voire minimalistes. Et si leur premier album reste insurpassé, il faut concéder à messieurs Banks, Dessler et Fogarino une longévité remarquable – le petit dernier, Marauder, (2018) attestant même d’une vigueur retrouvée, grâce au renfort du producteur Dave Fridmann. 

Le timbre grave et enfiévré de Paul Banks est évidemment un élément clé de cette alchimie ténue. Le charismatique chanteur et guitariste est aussi le membre le plus actif en dehors de l’organisation bien huilée qu’est Interpol. Qualitativement, le New Yorkais s’en tire plutôt honorablement d’ailleurs, avec deux albums solos sous l’alias Julian Plenti. Plus curieux, sa collaboration avec RZA du Wu-Tang (Banks and Steelz) en 2016, une parenthèse moins convaincante mais pas si surprenante quand on sait Banks grand amateur de hip hop. 

 Le calendrier mouvementé de cette année 2020 voit ainsi rebondir Mr. Banks au sein du trio Muzz, associé au multi- instrumentiste Josh Kaufman et du batteur Matt Barrick. Le premier, ami d’enfance de Banks, est un musicien et producteur de l’ombre, collaborateur notamment pour The National et The War on Drugs. On l’a par ailleurs repéré au sein du trio indie folk Bonny Light Horseman, dont nous avions salué le premier album sorti en début d’année. Quant au second, Matt Barrick, l’homme est un pilier de la scène rock alternative brooklynoise, batteur émérite au sein de feux The Walkmen et Jonathan Fire*Eater. Au sein de cette entité, Paul Banks officie au chant, ainsi qu’à la guitare sur la moitié des titres de l’album. 

Sans trop bousculer les fondations de ses géniteurs, Muzz devrait réjouir les amateurs des deux formations rock new-yorkaise susmentionnée. Aux intersections de The National période Boxer et The Walkmen du temps béni de Lisbon, ce super trio se pose là. Et parvient même à tirer brillamment son épingle du jeu. Voilà un premier album résolument plus posé que les travaux auquel le leader d’Interpol nous a habitué jusqu’ici. Grâce à des compositions sensibles et abouties, agencées par Kauffman, qui ici tâte autant de la guitare, du synthé analogique, voire même de l’orgue farfisa. Tel ce “Bad Feeling” qui ouvre classieusement l’album, tout en retenue, et nous met tout de suite en confiance.

Les textures sont particulièrement soignées, notamment sur « Greenman », le morceau le plus sophistiqué du disque, par ses textures électro plus prononcées, avec l’adjonction d’une boite à rythme. Les arrangements de cordes feutrés sont signés par Rob Moose – qui a notamment oeuvré pour d’autres new yorkais notables, Sufjan Stevens, The National, Antony & the Johnsons. Et d’ailleurs cela s’entend, sur le sublime Red Western Sky, cerné de cuivres interprétées par le quatuor The Westerlies, qui aurait très bien pu être chanté par Matt Berninger. Il n’est pas question ici de lâcher prise ou de hausser le ton, même sur “Knuckleduster”, le titre le plus relevé sur le plan rythmique, contrebalancé par le chant doux et mélancolique de Banks, manifestement très à l’aise dans cet exercice à contre-emploi. 

On ne cache pas notre plaisir d’entendre le chanteur d’Interpol « libéré », explorant son versant fragile sur un album tout entier, qui plus est mis en valeur par une écriture qualitative. Cette soyeuse accalmie “Muzzicale” s’avère loin d’être anecdotique, et s’impose comme une des plus belles réussite de cette ère post-confinée.

Matador / 2020

Tracklist :

1. Bad Feeling

2. Evergreen

3. Red Western Sky

4. Patchouli

5. Everything Like It Used To Be

6. Broken Tambourine

7. Knuckleduster

8. Chubby Checker

9. How Many Days

10. Summer Love

11. All Is Dead To Me

12. Trinidad