Virage dance pop, pochette dans le pure esprit glam punk, Alison Goldfrapp serait-elle en train de nous jouer le même tour que Jay-Jay Johanson un an plus tôt? Pas tout à fait : tel des Dr Frankeinstein modernes, la paire électro-pop londonienne a métamorphosé l’innocence épique de Felt Mountain en une créature vicieuse.
Cela va de sens : les artistes novateurs ne restent jamais sur leurs acquis en matière d’ambition artistique. Des gens comme Bowie, Miles Davis ou les Beatles n’ont jamais cessé de se réinventer à chaque album. Le plus dur dans tout ça reste de garder une cohésion artistique et discographique, ceux malgré le grand brassage d’univers sonores explorés. Peu d’artistes parviennent à maîtriser ces facteurs tout en restant captivant de bout en bout. Pour cela, on respectera la démarche à contre-courant et risquée de Goldfrapp, nouveau venu au club du « virage à 180% ».
Felt Mountain, premier album paru en 2000 du duo mixte londonien, avait révélé la voix enchanteresse d’Alison Godfrapp, capable de surplomber avec une aisance stupéfiante les arrangements sophistiqués de son compaire Will Gregory. Les mélodies orchestrales à la Barry/Morricone greffées sur une base trip-hop apportaient à l’ensemble un côté majestueux, malgré quelques compositions trop polissées et manquant un peu d’âme à mon goût. Mais c’est un peu le défaut de la musique trip hop en général.
Pour comprendre cette nouvelle démarche, il me revient une interview où la nouvelle diva ne cessait de se lamenter sur la perception des médias envers son groupe. Il est vrai que les critiques l’avaient un peu oublié de lire sur les crédits de Felt Mountain la mention : « all tracks written, performed & produced by Will Gregory and ALISON GOLDFRAPP ». Mécontente de n’être considérée que par sa voix, la créatrice de « Human » attendait sa vengeance de pied ferme.
La première écoute de Black Cherry risque de désarçonner les fans de la première heure. Beats sexy, pop dansante, dance orchestrale : voilà les mots qui nous viennent à l’esprit dès la première écoute. Le côté enneigé et gracieux du premier album a laissé place à la sueur et le vice. A l’image d’un Jay-Jay Johanson, notre Boucle d’or se paye une belle crise d’identité. Finis la vierge effarouchée, Allison Goldfrapp dépoussière ses porte-jaretelles et se métamorphose en Candy garce.
L’expérimentation a pris cette fois une autre direction, plus dansante donc, mais aussi très glam : certaines mélodies sont fortement pompées sur « The Jean Genie » de Bowie mais dont les guitares auraient été subtilisées par des basses synthétiques. Les orchestrations épiques sont désormais mises en sourdine. Du coup, les chansons respirent et tout devient plus claire : « Enlevez-moi toutes ses cordes, je vais vous prouver que je sais écrire de vraies chansons » peut-on l’imaginer crier à ses détracteurs.
Et Bien sûr, il y a toujours cette voix phénoménale. Sur « Strict Machine » elle nous envoûte et nous emporte dans une spirale techno-pop dont on a bien du mal à se défaire, un des grands moments de l’album. L’expérience DJ d’Alison Goldfrapp aura certainement aussi joué dans cette nouvelle direction très club. Will Gregory de son côté a su rester humble et apporter aux chansons ce supplément d’âme qui faisait peut-être défaut par le passé. Seul invité prestigieux, Mark Linkous en vacance de Sparklehorse s’amuse à jouer du Casio sur « Train ».
Les arrangements épiques et l’influence de John Barry sur l’album précédent refont leur apparition le temps d’un « Black Cherry », « Deep Honey » ou d’un hybride « Tiptoe ». La musique du duo reste toujours belle et majestueuse, plus dévergondée que par le passé, mais cache quelque chose de décadent derrière cette façade.
Plus spontané et moins sérieux qu’auparavant, Goldfrapp nous livre paradoxalement un album plus mature et cohérent. On sera curieux d’écouter sur scène le nouveau répertoire nettement plus sexy de ce groupe, réputé jusque là hermétique sur ce plan.