Le terme néo-folk n’aura jamais aussi bien sonné. Mêlant song-writing habité et manipulation sonore en tout genre, Norfolk & Western fait de la lo-fi contry comme d’autres de l’electro-ambiant pastorale. Calme, volupté, et… Sparklehorse.


Avant toutes choses, rendons à qui de droit… Je ne serais pas en train de parler de Norfolk & Western si n’était le talent de Mark Linkous, le prince neo-folk de Sparklehorse. Il a été le premier à nous faire visiter les régions désertées, baignées par un soleil noir, que foule nonchalamment nos chroniqués du jour.

En 1996, la frêle écorce sonore de Vivadixiesubmarineplot partait en lambeau et révélait tant de beauté au fur et à mesure des écoutes. Deux ans plus tard, le tout autant habité Good Morning Spider faisait s’écouler sa douce mélancolie comme du sable entre les doigts, et offrait quelques signes précurseurs des efforts de production de Linkous. Confirmés par le gros son de It’s a wonderful life en 2001, solide comme un vieux chêne roussi, à la couleur sépia toujours magnifique.

Bref, d’année en année, Spaklehorse est devenu un étalon du bon goût du rock américain. Concerts inoubliables (spécialement les date en solo avec sa boite à rythme), collaboration prestigieuses (Pj Harvey, Tom Waits) et production réussie (A Camp) jusqu’à… la fausse note. En la forme de l’écrin offert au fragile Daniel Johnston pour son dernier album. Sa production grandiloquente (comme du Flaming lips foireux) y agit comme une prison de verre pour la voix et les mélodies proprement désaxées de son ami. Linkous voulait magnifier son talent, et en a trop fait, le contraste détruisant le charme et rendant les imperfections de Johnston presque gênantes.

C’est en écoutant ce mauvais disque de Johnston que m’est revenu cette nostalgie pour le son hanté de Sparklehorse. Et puisqu’il faut bien justifier ma longue introduction / digression, mesdames et messieurs, voici le résultat des recherches : Norfolk & Western! *applaudissements*

Le groupe est piloté et chanté par Adam Selzer, aidé par quelques acolytes. Dernière info pratique, Centralia est sorti en 2000 et Winter Farewell en 2002. Le prochain album est terminé, en attente de distribution, et dispo en CD-R sur le site. On en parlera en temps voulu.

Norfolk & Western fait partie de ces musiciens qui offrent des tickets pour les voyages immobiles. On prendra ici un train poussiéreux qui s’engouffre dans des contrées isolées comme seule l’Amérique sait en offrir. Adam Selzer en est le conducteur un peu fantomatique. Sa voix est
tantôt présente, tantôt absente, comme une simple réminiscence d’une époque oubliée.

Centralia, vils fantômes

Grâce à une production lo-fi extrêmement maîtrisée, riche et spacieuse, Selzer fait du neuf avec du vintage : pedal-steel, élan de slide, harmonica, grattes électro-acoustiques diverses et violons typiques, on est de prime abord en terrain connu… Mais il y a ici une façon de faire sonner le tout, une densité particulière. Les trouvailles d’effets surprennent, et ravissent, toujours.

Ambiances et mélodies s’installent et trouvent cet équilibre qui rend un disque attachant. « Of Divided Night » ouvre l’album sur une note mélancolique. Une vraie tristesse qui n’a rien de feinte. Centralia est un disque qui fait mal. L’un de ceux qu’on n’écoute pas à plusieurs, même entre connaisseurs. « Say Goodbye (play me a melody) », l’un des meilleurs titres, semble chercher ses marques et décolle grâce à une pedal-steel imparable, un vrai truc qui fait tendre l’oreille. Et c’est le parfait exemple du son de ce disque : Après ce sursaut éléctrique, la chanson s’endort doucement, bercée par la voix de son maître.

Selzer semble fouiller dans ses souvenirs, et rassemble des bribes de musique, en temps réel. Centralia s’écoute comme on feuilletterait un recueil de photos jaunies, souvenirs douloureux ou doux-amers, comme l’illustre le délicieux « The Absence of Photographs ». Les qualités de song-writing sont évidentes, et certains titres sont même des petits classiques du genre (« Settle In », « The Dowery » et surtout « Border Oklahoma »). Le tout est plongé dans cette brume hallucinatoire, les chansons y disparaissent parfois, comme avalée par des fantômes, puis reviennent changées. Pour peu qu’on y prenne garde, c’est assez bouleversant.

« Winter Farewell », le même en couleur

Ce disque est un effort plus collectif (Richard Buckner et Rachel Blumberg au chant et à l’écriture) au dire du groupe, mais le son est pourtant toujours aussi cohérent. Plus long, moins évanescent que Centralia, la première partie de Winter Farewell est sincèrement un régal.

De « All the towns near Boston », qui relance notre train, jusqu’à « Slide » (j’y reviens très vite sur celui-la), les titres s’enchaînent comme autant de magnifiques stations ferroviaires abandonnées. Les mélodies sont ici plus développées, les chansons construites sur des fondations plus évidentes. « The Evergreen » et sa ligne banjo-harmonica inspirée, suivi par la torpeur de « Local Post », réchauffée à grand coup de steel, ou le chant si doux de « Your Sunday Best » sont toujours agrémentés de fugaces effets sonore qui flattent l’oreille quand on les découvre.

« Slide » donc. Une petite musique années 20 qui s’installe, et le tout est passé au déluge stéréo : Un MUR de guitares rauques à gauche et la batterie à droite. le tout disparaît et laisse place à une slide qui semble caresser une voix féminine magnifique. 5 minutes de bonheur.

L’intrigant « The things we do on sunday » est aussi dans son genre un petit chef-d’oeuvre. Tout les sons de Norfolk s’imbriquent et le tout est parcouru de choc des larsen passé au vibraphone, qui rappellent un peu le Dead Man de Neil Young.

Winter Farewell, comme son nom l’indique, est plus solaire que son prédécesseur. Mais le sentiment de rêverie est un facteur commun, et le soin de la conception sonore tout aussi présent. A vrai dire, tout en respectant les chartes du grand song-crafting, à la Howe Gelb (Giant Sand) ou Will Oldham, Norfolk & Western y ajoute une autre dimension sonore. J’oserais le terme de « country-ambiant », s’il fallait trouver une étiquette.

Les deux albums sont aussi de jolis petits objets bien packagés qui rendraient jaloux les Canadiens de Constellation. Raison qui fait que j’attends la version définitive du nouveau, Dusk in Cold Parlours, avant de le chroniquer. Ca devient rare d’avoir des « disques » qui ont une petite âme au temps du MP3, j’en profite…

Bref, bouclons la boucle : Norfolk & Western a tourné avec Sparklehorse à la fin 2002. Aux dernières nouvelles, c’est le groupe préféré de Mark Linkous. Tu m’étonnes…

-Le site officiel de Norfolk and Western