Big Black est de retour pour un tour, un an après son doublé honorable Devil’s Workshop/Black Letter Days. Toujours aussi boulimique de songwriting, l’ex-tête des Pixies nous livre un album apaisé mélodiquement, cachant son malaise sur des textes dépressifs à souhait.


Mine de rien, et on a beau le rabacher comme un vieux radoteur, les discussions musicales sur le rock convergent toujours dans le même sens : les Pixies. Comme si rien ne s’était passé de franchement excitant depuis cette traumatisante séparation il y a maintenant dix ans (tant pis pour le revival garage). Enfin bon, je m’égare…

Est-il nécessaire de rappeler qui est Frank Black (aka Black Francis) ? Est-il encore nécessaire de rappeler qu’il fut le musicien de rock le plus influent de la fin des années 80 avec Morrissey? Tout en sachant que je vais faire grincer des dents et que le raccourci pourrait sembler bien réducteur, et bien j’assume : sans les Pixies, pas de Radiohead, ni de Nirvana et bien d’autres formations d’un degré moindre (La France semble d’ailleurs particulièrement toujours aussi affecté par ce combo, vu la flopée de groupes médiocres qui les revendiquent).
Même moi, j’avoue ne pas en être là si un copain de collège ne m’avait pas un jour filé une cassette – compilée par ses soins – du groupe de Boston. C’était il y a 13 ans, tout un pan du rock s’ouvrait à moi grâce aux cris de Black Francis, les notes trisomiques de Joey Santiago, la voix enfantine de Kim Deal, et les roulements métronomiques de David Lovering… (Je radote encore, désolé…) snif, snif!

Alors cette cuvée 2003 du Big Black? Et bien c’est plutôt pas mal, excellent même si l’on fait abstraction des Pix… heu, je vais tâcher de me retenir. Enregistré sur les collines d’Hollywood avec une flopée d’invités comme Van Dyke Parks, éminence grise des Beach Boys et Fiona Apple, parvenu récemment à rendre fréquentable les grungeux bouseux de Silverchair. Sans oublier Eric Drew Feldman (Captain Beefheart, PJ Harvey), Stan Ridgway et le fidèle Joey Santiago. Cette brochette VIP constituerait-elle l’intérêt principal du nouveau Frank Black? Pas exactement.

La petite nouveauté qui met le buzz autour de cette nouvelle livraison, c’est surtout que cet album est le fruit de sa récente séparation avec sa femme, un constat morose après plus de quinze ans de vie commune. Composé alors que le bonhomme suivait une thérapie censée l’aider à surmonter cette douleur, Show me your Tears trempe dans la dépression, l’auto-apitoiement.
Dépressif? Tiens, tiens… n’est-ce pas ce formidable outil de création qui a permit à l’ex-Black Francis de pondre des chef d’oeuvre comme « Where is my mind », « Monkey gone to Heaven », « Dead », « Is she weird » et tant d’autres. Si c’est bien de quoi je parle, il y a de quoi bondir du rockin-chair.

Et puis vient l’écoute fatidique. Et encore une fois, l’espoir d’entendre un Doolittle n°2 est largement révolue et il faut se faire une raison. Car avouons-le, nous avons beau prêter une oreille curieuse aux livraisons annuelles du Teenager of the year, il est loin le frisson de Bossa Nova, Doolittle… sans oublier son phénoménal premier album solo. Mais depuis Dog in the sand, on sent que l’homme remonte la pente, a mis un peu d’eau dans son vin et privilégie les atmosphères country rock aux guitares embrasées.

Show me your Tears continue dans cette voie. Pedal steel, piano ambiance saloon et guitares folk tentent de s’intégrer dans ce paysage d’accords binaires saturés (« Goodbye Lorraine », « Coastline », « Horrible Day »). Le moral, bien sûr, n’est pas au beau fixe. Rien de bien nerveux au niveau de la rage, mais parfois les guitares reprennent le dessus comme sur le très vengeur « Massif central ». Mais dans l’ensemble tous les titres de l’album sont d’une rudesse à toute épreuve : « Everything is new » offre un constat affligeant d’un homme ayant perdu ses repaires, redécouvrant une vie de célibataire forcée.
« Manitoba », qui clôt l’album se termine sur une note de soulagement critique (« I have seen the face god and I was not afraid »). Dans l’ensemble, l’album tient ses promesses et les chansons sont là, peut être moins évidentes qu’auparavant, mais toujours aussi sincères et d’un niveau d’écriture toujours aussi supérieur.

Si on peut critiquer la production de ses premiers albums enregistrés avec les Catholics (gravés sur un 2 pistes), force est d’admettre que les chansons de Frank Black ont toujours tenu la route et n’ont jamais totalement déçu. Il manquait juste ce petit grain de folie que l’on pouvait trouver avec les guitares dissonantes du maître Santiago ou bien ces arrangements hors-normes via Trompe le monde et son premier méfait solo. Frank Black l’a bien compris et tente d’y revenir, avec plus ou moins de succès. Mais ce qui rend le monsieur toujours aussi sympathique et enviable, c’est qu’on sent qu’il n’a plus de compte à rendre à personne et se fait plaisir avant tout.

Il semble que la voie du songwriter écorché ait pénétré le subconscient du plus célèbre crane rasé de l’indie rock. Bye Bye Roswell, bonjour la maturité. Et puis avouons-le, il existe peu d’artistes qui ont su perdurer si honorablement après un tel raz de marée sonique…

-Le site N°1 sur Frank Black