Double album ambitieux bénéficiant de l’apport d’invités prestigieux, dont quelques piliers du label Constellation, Molasses fascine ou irrite, c’est selon. Difficile néanmoins de faire des messes basses sur ce chantier pas vraiment terminé.


L’épreuve du double album est un passage plutôt risqué dans la carrière du musicien rock. Bien souvent assimilé au concept album (à tort), ce genre de projet purement égocentrique finit dans les bacs à soldes : on peut se remémorer le fiasco Nine Inch Nails, le nullissime Saez, Aphex Twin ou Springsteen, sans oublier toute une frange du rock progressif 70’s… Bref, des souvenirs en rien impérissables.
Bien sûr, il existe de vrai chef-d’oeuvres, (le double blanc, The Wall…) mais finalement peu de prétendants au trône. Et c’est ce qui rend l’exercice particulièrement périlleux. Au mieux, le pavé est considéré comme un aboutissement artistique, au pire on tombe sur une boursouflure inepte et sans nom.

On peut critiquer l’initiative du double-album, elle n’en mérite pas moins une certaine forme de respect envers l’artiste, ne serait-ce que pour l’entreprise courageuse dont il s’est fourré. Scott Chernoff fait parti de cette catégorie. Ce jeune canadien n’a pas peur d’afficher ses ambitions, quitte à porter la casquette du ridicule. Caché derrière le pseudo de Molasses, ce résident de Montréal n’en est pas à son premier coup d’essai (forcément, sortir un premier album au format double, on a encore jamais vu ça!).
Avec déjà deux albums derrière lui, ce prédicateur visiblement très marqué par la religion s’était déjà fait remarquer pour ses excentricités. De mémoire, son second album, sobrement intitulé Trilogie: Toil & Peaceful Life, s’ouvrait sur six minutes trente de cloches cathédraleques et se terminait par une autre pièce montée de 15 minutes. Le tout envoyé sur un album de quatre plages. Vous voyez un peu l’oiseau…

Molasses voit donc de plus en plus grand à chaque nouvelle étape et A Slow Messe ne fait pas exception à la règle. Ce double CD de 26 titres est réparti en deux sections. Une moitié du contenu se concentre sur des ambiances instrumentales lugubres tandis que l’autre laisse la part belle aux chansons -tout aussi lugubres il faut dire.
Pour mettre en forme son monstre, la brochette d’invités sollicitée ici est proprement alléchante. Signalons entre autres Thalia Zedek (Come, Empty House), Chris Brokaw (Codeine, Come), Efrim Menuck (GYBE), Bruce Cawdron (toujours GY!BE, Set Fire To Flames), David Michael Curry (Willard Grant Conspiracy, Boxhead Ensemble) et J.S. Truchy (Fly Pan Am, Set Fire To Flames). Soit une bonne partie du comité canadien Constellation. Avec de tels sujets, difficile de faire quelque chose de foncièrement mauvais.

Devant un tel pavé, il faut avouer que l’on est impressionné par le caractère singulier qui s’en dégage. Pour autant qu’elle soit ambitieuse, la musique de Molasses ne sombre pas dans le rock progressif, mais reste bel et bien du songwriting dans le pur esprit rock lo-fi augmenté de bruits divers très cinématographiques. L’homme est un adepte des bruitages malsains (maison croulante, coups de vents et portes qui claquent, bienvenu chez Bram Stocker!). On pense souvent à The Final Cut, (le chef-d’oeuvre mésestimé du Floyd) pour ces passages où les sons naturels transportent autant que la musique vers un univers fictif. Mais il faut avouer que même si exécutées avec brio, toutes ces parties saoulent au bout d’une demi-heure et on ne peut s’empêcher de zapper sur la plage suivante.

Heureusement, Scott Chernoff est aussi capable de composer quelques jolies mélodies. Des titres comme « Astrée » démontrent même un talent évident à l’art du songwriting poignant. On pense souvent à Francky Sparo lorsque les chansons sont au rendez-vous. L’âme de Tom Waits aussi se ressent pour ce côté apitoiement personnel et autres percussions de boite de conserve si chères à notre cavalier noire (le très malsain « Delirium song »).

Enfin, n’oublions pas le packaging ici très soigné, à faire pâlir de jalousie le catalogue entier de chez Constellation. Signalons que depuis son premier album, Molasses prend un soin particulier à travailler l’artwork et l’achat du disque pourrait être motivé rien que par cette démarche. Chaque disque est accompagné d’un livret luxueux, remplis à raz-bord de photographies de cathédrales néo-gothiques et autres paroles de chansons. Saluons cette initiative enviable à l’heure du téléchargement MP3 industrialisé. Cela fait plaisir d’avoir entre ses mains un pur objet d’art.
Bilan donc mitigé, mais non dénué d’intérêt.

-Le site du label Alien 8